1.2 Plurilinguisme

Il est bien clair que la possibilité d’avoir un continent où tous les individus parlent au moins une langue étrangère est assez utopique, mais c’est à partir de cet idéal que le Conseil de l’Europe met en place plusieurs projets dans le continent. Sa planification linguistique, reprenant le terme utilisé par Calvet (1999), semble efficace jusqu’à maintenant, puisque l’augmentation de l’apprentissage de langues étrangères en Europe a été bien prouvée par des recherches (Eurobaromètre Standard EB55.1 de 2001 et Vague 63.4 de 2005) dans les dernières années.

Toutefois, ces résultats ne sont pas dus au hasard. La planification et implantation des différentes actions en Europe est importante et cela se matérialise sous forme de plusieurs séminaires et publications réalisés par le Conseil de l’Europe, discutant les politiques linguistiques des institutions, comme « Un nouveau cadre stratégique pour le multilinguisme : communication de la Commission au Conseil au Parlement européen au Comité économique et social européen et au Comité des régions. 26 », « L’évolution de l’enseignement en Europe : le plurilinguisme ouvre de nouvelles perspectives. 27 », « Promouvoir l'apprentissage des langues et la diversité linguistique : un plan d'action 2004-2006. 28 », « Guide pour l’élaboration des politiques linguistiques éducatives en Europe : de la diversité linguistique à l’éducation plurilingue. 29 », ou le rapport « Langues, diversité, citoyenneté : politiques pour la promotion du plurilinguisme en Europe : rapport de la conférence de Strasbourg 13-15 novembre 2002.30 », pour ne citer que quelques-unes des dernières actions et publications du Conseil.

À partir de ces exemples nous pouvons voir que l’intérêt et les actions envers la promotion des langues en Europe sont mises en pratique de façon constante, afin d’établir un vrai plurilinguisme dans le continent, qui a été défini par le Conseil de l’Europe, à travers le Cadre Européen Commun de Référence (2001) comme

« La compétence à communiquer langagièrement et à interagir culturellement d’un acteur social qui possède, à des degrés divers, la maîtrise de plusieurs langues et l’expérience de plusieurs cultures. On considérera qu’il n’y a pas là superposition ou juxtaposition de compétences distinctes, mais bien existence d’une compétence complexe, voire composite, dans laquelle l’utilisateur peut puiser. » (Conseil de l’Europe, 2001 : 168)

Cette définition du Conseil de l’Europe nous montre une grande diversité de ce qui est considéré comme plurilingue ; nous ne voyons pas une seule perspective, celle de la question linguistique, mais une complémentarité apportée par une perspective culturelle de cette compétence. Pour la question linguistique, beaucoup plus transparente, il s’agit de la connaissance de plusieurs langues pour arriver à une communication efficace entre les interlocuteurs, même si elle n’est pas totalement dans une seule langue.

Autrement dit, le plurilinguisme est le fait qu’un individu connaisse plusieurs langues et s’en serve pour établir une communication, monolingue ou bilingue, à partir de ses possibilités et celles de son interlocuteur. Pour cela, il aura besoin de développer aussi une capacité d’utilisation des stratégies de communication pour transmettre ce qu’il veut, même sans avoir un niveau très avancé de la langue. Plus fort est son niveau de langue, moins il nécessitera l’utilisation de ces stratégies.

D’un autre côté, le caractère interculturel de cette compétence exige de l’individu la maîtrise et la compréhension de plusieurs cultures, de manière à permettre ou à faciliter la communication entre les interlocuteurs en situation d’interaction. Ce type de maîtrise est beaucoup plus complexe que le linguistique, considérant spécialement ses caractères subjectif et multiple.

Une des principales difficultés liées à l’apprentissage interculturel vient du fait qu’elle est mieux ou peut-être même totalement comprise à partir d’un contact direct entre les interlocuteurs. Cela parce qu’elle exige la compréhension de l’autre, son acceptation et le respect par rapport à lui. Comme l’affirme Byram (2004 : 30) :

« Si l’apprentissage interculturel n’a pas lieu dans le cadre scolaire, un facteur supplémentaire entre en jeu : la responsabilité de l’enseignant en tant qu’éducateur à encourager moralement une réflexion et une attitude appropriées. L’enseignement d’une compétence interculturelle implique notamment de vouloir entrer en contact avec d’autres personnes, d’accepter et de respecter toutes les différences : linguistiques, sexuelles, religieuses, ethniques, sociales, etc.. »

Cet extrait montre une préoccupation aussi légitime de la part de Byram concernant l’apprentissage interculturel. Comme il demande l’harmonie entre les individus et l’entendement des différences, il est un élément essentiel à la formation humaine et citoyenne des apprenants, non seulement dans l’enseignement de langues étrangères, branche qu’on souligne dans cette étude, mais aussi et probablement principalement dans l’enseignement de la langue maternelle. Ainsi le professeur en tant qu’éducateur aura l’opportunité de développer chez l’apprenant l’esprit critique et réflexif que telle situation exige.

Ce point de vue nous amène aussi à un autre, celui de l’apprentissage et de la compréhension politique nécessaire pour que l’individu soit capable de gérer la situation lorsqu’il est en interaction avec une autre personne d’un pays et d’une culture différente. Byram (2004 : 31) reprend cette relation entre le linguistique, le culturel et le politique lorsqu’il affirme que

« Il est donc évident que le plurilinguisme est linguistique, culturel et politique. Il ne s’agit pas seulement d’acquérir des compétences communicationnelles mais de s’épanouir en tant qu’être humain linguistique et culturel, désireux et capable d’interagir avec les autres et de les respecter dans le cadre des réseaux sociaux et politiques qui unissent tous les Européens à de nombreux niveaux. Le plurilinguisme dépasse la simple acquisition des langues ; c’est le sentiment d’être et de devenir une personne qui peut vivre et d’épanouir dans le monde multilingue et multiculturel qu’est déjà l’Europe, et au-delà. »

La déclaration de Byram nous expose donc la complexité liée au désir du développement d’un plurilinguisme réel en Europe, qui va beaucoup plus loin qu’un simple protectionnisme linguistique que plusieurs peuvent l’imaginer. Il passe par des questions liées à l’apprentissage des langues étrangères, bien sûr, mais aussi par la compréhension du fait que parler une autre langue est aussi avoir une culture et une pensée différentes, qui sont plus ou moins éloignés de la sienne, mais quand même distinctes, ce qui exige une position cohérente à la situation de la part des interlocuteurs en interaction.

Pourtant et sans oublier ces obstacles et le long chemin à parcourir, le Conseil de l’Europe maintient plus intensément à partir des années 1990 une politique linguistique de préservation des langues dans les pays qui forment l’Union Européenne, à travers une planification linguistique concrète qui vise, probablement de manière idéale, le but que la totalité des citoyens européens soient un jour au minimum bilingues.

Notes
26.

Commission européenne, novembre 2005, 33 p.

27.

Conférence mars 2005

28.

Commission des Communautés européennes, 2004, 82 p.

29.

Conseil de l’Europe, avril 2003, 115 p.

30.

Francis Goullier, Michaël Byram, Jean-Claude Beacco, et al. Conseil de l’Europe, Division des politiques linguistiques, 2002, 161 p.