3. Les niveaux Communs de Référence

L’établissement des Niveaux de Référence pour les langues est, selon plusieurs chercheurs de la didactique, l’impact principal du Cadre dans la pratique et même son objectif premier, vu que l’intention fondamentale du document est de donner la base pour que toutes les personnes concernées dans le processus d’enseignement/apprentissage d’une langue étrangère aient une référence pour évaluer le niveau de langue de l’individu ou l’aider à l’atteindre. Comme l’affirme Coste (2007 : 06), « il est clair que les six niveaux ont constitué, pour le Cadre, le facteur principal de mise en visibilité et la composante la plus « portée » par les mouvements du moment. »

Avec un champ élargi de langues, d’abord celles parlées à l’intérieur du périmètre d’action du Conseil de l’Europe, il fallait établir une échelle de niveaux qui permettrait une homogénéisation des curriculums au niveau européen et faciliterait la mobilité des individus dans l’ensemble de l’Union européenne, soit pour étudier, soit pour travailler ou faire du tourisme. Ainsi, les Niveaux Communs de Référence ont été crées pour repérer des caractéristiques capables d’être comparées au niveau d’évaluation des locuteurs de toutes les langues européennes, afin de faciliter les correspondances entre les diplômes.

Il fallait donc que cela soit fondé sur une base solide du point de vue linguistique, méthodologique et didactique, ce qui a été fait avec la construction du texte théorique du Cadre, comme nous l’avons vu antérieurement. Par conséquent, les niveaux communs de référence pour les langues ont été constitués pour aider à l’établissement des objectifs de l’enseignement/apprentissage de la langue, ainsi que pour distinguer un profil de performance de l’apprenant dans ces différentes étapes. Selon le document,

« L’un des buts du Cadre de référence est d’aider les partenaires à décrire les niveaux de compétence exigés par les normes, les tests et les examens existants afin de faciliter la comparaison entre les différents systèmes de qualifications. C’est à cet effet que l’on a conçu le Schéma descriptif et les Niveaux communs de référence. Ensemble, ils fournissent une grille conceptuelle que les utilisateurs exploiteront pour décrire leur système. » (Conseil de l’Europe, 2001 : 23)

Cet instrument présente donc un nouveau syllabus de l’enseignement/ apprentissage des langues, maternelles et étrangères, et sa base est fondée sur une échelle globale commune de compétences qui doivent être atteintes par l’apprenant pendant son processus d’apprentissage. Cette échelle classifie l’apprenant dans les niveaux « élémentaire », « indépendant » et « expérimenté », sous divisés en six catégories – Introductif ou découverte (A1), Intermédiaire ou de survie (A2), Niveau seuil (B1), Avancé ou indépendant (B2) Autonome (C1) et Maîtrise (C2) –, et utilise la nomenclature d’ « utilisateur » à l’apprenant, ce qui montre clairement une vision utilitaire et pratique de l’apprentissage de la langue. Ainsi, on a à disposition de l’enseignant et de l’apprenant une grille qui présente chaque niveau de compétence espéré de l’apprenant.

Même si apparemment cette classification en six niveaux peut paraître trop ferme et rigide, le document donne la possibilité d’une flexibilité à plusieurs moments, avec l’introduction de trois autres degrés intermédiaires qui pourraient être utilisés dès que nécessaire : les niveaux A2+, B1+ et B2+, totalisant ainsi neuf possibilités d’encadrement. Cela est instauré spécialement par le caractère subjectif que les frontières entre les échelons établissent, mais le comité affirme que c’est une manière de permettre une utilisation plus ou moins vaste des références, sans perdre de vue les caractéristiques de base de l’échelle.

« Certaines institutions préfèrent des degrés larges, d’autres préfèrent étroits. L’avantage d’une approche de type hypertexte est qu’un ensemble de niveaux et/ou descripteurs peut être « découpé » par différents utilisateurs selon les niveaux locaux qui existent en fait, et en des points différents, afin de répondre aux besoins locaux et de rester pourtant relié au système général. » (Conseil de l’Europe, 2001 : 31)

Le concept défendu par le Conseil de l’Europe est donc l’établissement d’une échelle plus large, à partir de laquelle il serait possible de s’adapter aux besoins des différents apprenants. Cette idée est renforcée par Daniel Coste (2007 : 03), lorsqu’il affirme que

« Le Cadre de référence est modulable, malléable, multiréférentiel, comportant de nombreux paramètres ajustables et c’est en contexte qu’une valeur est attribuée à chacun de ces paramètres, qu’un profil est établi, que des standards et des seuils indicateurs sont éventuellement fixés. »

À partir de cet extrait, il nous est possible de percevoir l’intention au moins initiale du Cadre reprise par Coste (2007). Nous analyserons plus tard si cela correspond à la pratique au moment de la transposition didactique, mais en principe ce qui est important à relever est le caractère d’amplitude avec lequel il a été conçu.

L’élaboration de la grille de référence, ainsi que la détermination de ce qui est espéré de l’apprenant pour chacun d’eux, a été conçue à partir des études menées par un comité formé au sein du Conseil de l’Europe par plusieurs chercheurs européens du domaine de la linguistique qui pendant dix ans ont repris et discuté les paramètres présentés par Un Niveau-Seuil et les ont adaptés aux nouvelles attentes d’une Europe en expansion et plurilingue. Le document présente en annexe les aspects techniques qui ont servi de base à la description des niveaux de référence. Appliquées dans des pays avec différentes réalités et nécessités, le croisement d’informations a rendu possible une sélection d’éléments qui se présentaient de manière constante, déterminant un paramètre commun fiable. Comme l’affirme le Comité

« En fait, il semble qu’il y ait un large consensus (encore que non universel) sur le nombre des niveaux appropriés pour l’organisation de l’apprentissage en langues et une reconnaissance publique du résultat. Tout cela permet de penser qu’un cadre de référence sur six niveaux généraux couvrirait complètement l’espace d’apprentissage pertinent pour les apprenants européens en langues. » (Conseil de l’Europe, 2001 : 24)

L’objectif de l’établissement de ces niveaux de référence est donc de tenter de rendre plus palpable ce qui est naturellement complexe à déterminer : les niveaux de compétence d’un apprenant. Il est vrai que le professeur est exposé à cette difficulté en permanence et c’est probablement de là que viennent les doutes concernant l’évaluation du processus d’enseignement/apprentissage d’une langue. Comment déterminer la limite entre un apprenant de niveau débutant ou faux débutant ; élémentaire ou intermédiaire ? Une des intentions donc de l’élaboration de cette grille est d’aider le professeur dans cette détermination.

Pourtant, l’évaluation n’est pas considérée comme une tâche restreint à l’enseignant. Au contraire, il est essentiel que l’apprenant lui-même puisse faire constamment un exercice d’auto-évaluation, pour avoir l’opportunité de rétablir ses objectifs ou ses stratégies à partir de résultats de ses actions et de ses apprentissages. Par contre, de la même manière que cette tâche est difficile pour le professeur, elle devient toujours plus complexe pour l’apprenant, qui est impliqué dans l’étude de la langue de manière affective et généralement peu rationnelle, ce qui rend difficile une vision plus objective de la situation. Le paramètre servirait donc comme un indicateur pour l’apprenant, afin de l’aider dans le but d’une auto-évaluation plus précise et plus proche de la réalité de son acquisition ; cela sera repris à travers le document Portfolio, dont nous parlerons ultérieurement.

Pour correspondre à ce besoin pratique et pour faciliter dans sa consultation et son application postérieure, l’attention à la progression des contenus est grande, à tel point qu’un tableau de cohérence de contenus a été élaboré, déterminant un ensemble de spécifications linguistiques pour chaque degré, généraux (A1, A2, B1, B2, C1 et C2) et, dans le cas du français, intermédiaires (A2+, B1+ et B2+).

Mais cette échelle n’a pas été développée que pour répondre à une sollicitation des apprenants et des professeurs, sans doute les acteurs principaux de ce processus. Elle a été établie principalement pour permettre une standardisation nécessaire des critères d’évaluation, dont la diversité est inévitable si on considère la diversité de réalités qui composent la communauté européenne, renforcé par le stimulus d’une augmentation de mobilité concernant les études ou les carrières professionnelles, c’est-à-dire, à partir d’une politique éducative et professionnelle qui favorise le déplacement dans les pays européens et qui exigera une relation entre les niveaux d’étude en particulier. Ainsi, quand une catégorisation est faite, même si elle n’est pas 100% précise ou ferme, elle rend possible qu’un étudiant finisse ses études ou fasse un cours au 3e. cycle, par exemple, sans perdre son année scolaire. Comme l’affirme Beacco (2004 : 26)

« Ce qui a grandement contribué à l’influence du Cadre a été son échelle de maîtrise des compétences, articulée en six niveaux (de A1 à C2), qui sert de point de départ à l’élaboration de tests de connaissance ou de certifications en langues. Si cette échelle est effectivement utilisée dans l’élaboration des épreuves de vérification des compétences langagières, celles-ci et les examens correspondants sont alors comparables d’une langue à l’autre. Se crée ainsi un réseau de certifications potentiellement transparentes ou en tout état de cause, explicites (c’est-à-dire dont les résultats attendus sont décrits de manière discrète), ce qui fonde, par ailleurs, des démarches de production ou de contrôle de qualité des enseignements impartis. »

L’objectif centré sur ce réseau de certifications dont nous parle Beacco sera en effet responsable d’une séquence d’utilisations du document beaucoup plus importante que celle qui a probablement été imaginée en principe par les chercheurs. Il est clair durant la lecture du document que l’intention du Conseil de l’Europe concernait les États membres, mais la qualité du matériel ainsi que son application pratique ont motivé son utilisation à niveau mondial, spécialement avec le but d’adapter les curriculums aux examens internationaux de langue, facilitant aussi une mobilité qui n’était pas peut être l’objectif premier du comité, à travers des échanges mondiaux. Cette intention est légitimée par le Cadre, lorsqu’on affirme que

« L’apprentissage à moyen ou à long terme doit s’organiser en unités qui tiennent compte de la progression et assurent un suivi. Les programmes et les supports doivent se situer les uns par rapport aux autres. Un cadre de référence de niveaux peut faciliter cette opération. » (Conseil de l’Europe, 2001 : 20)

Ces paramètres serviront aussi à une autre proposition, qui est centrale pour cette étude, d’auxiliaire dans l’établissement des objectifs et du fonctionnement des matériels didactiques, ainsi que l’adaptation des manuels aux niveaux de référence. Il est rare de trouver aujourd’hui un manuel ou un matériel complémentaire pour l’enseignement du français qui n’apporte pas dans sa couverture ou dans son avant-propos une référence au Cadre, qui apparaît comme une validation de la qualité et une marque de crédibilité du matériel. Comme l’affirme Beacco (2004 : 26) :

« On peut aussi s’en prévaloir, en tant que garant d’une certaine forme de qualité, comme ces manuels de français, toujours plus nombreux qui se décernent le label Conseil de l’Europe, sans que quiconque songe à vérifier le bien-fondé d’une telle auto certification, qui vaut argument de vente. Invoquer le Cadre dans les préfaces des manuels ou dans les préambules des programmes officiels ne signifie pas pour autant en utiliser effectivement les potentialités. »

C’est le cas de la méthode Forum I, dont l’analyse sera approfondie dans les pages suivantes de cette étude et qui se présente comme la première méthode pour l’enseignement du français comme langue étrangère basée sur les préceptes établis et diffusés par le Cadre. Comme l’expose Beacco dans le passage ci-dessus, le simple fait d’avoir invoqué le Cadre dans le préface de la méthode ne signifie pas forcement son utilisation réelle dans le matériel et sera le point entre autres que nous étudierons de façon plus détaillée dans les chapitres suivants.

Finalement, pour que les compétences exigées dans la grille du Cadre soient bien maîtrisées et connues par l’apprenant et par le professeur, pour une évaluation autonome de l’apprenant par rapport à son apprentissage de la langue étrangère, un document complémentaire a été créé, le Portfolio européen de langues, sur lequel nous reviendrons encore dans ce chapitre.