4. Théories concernées

Les auteurs du Cadre sont très réservés en ce qui concerne la prise de position considérant l’utilisation d’une ou autre théorie linguistique ou pédagogique comme fondement à ses principes. L’importance du choix des professeurs pour une ligne de travail où il se sent mieux adapté est plusieurs fois remarquée au long du document, soulignant qu’il doit prendre en compte son style, sa formation et les besoins et intérêts des apprenants.

Selon le document,

« La perspective privilégiée ici est, très généralement aussi, de type actionnel en ce qu’elle considère avant tout l’usager et l’apprenant d’une langue comme des acteurs sociaux ayant à accomplir des tâches (qui ne sont pas seulement langagières) dans des circonstances et un environnement donnés, à l’intérieur d’un domaine d’action particulier. » (Conseil de l’Europe, 2001 : 15)

Par là même, la perspective actionnelle apporte un nouveau regard méthodologique vers l’apprenant, en le considérant socialement en action et pour cela, il doit réaliser des activités dans un contexte déterminé. Cette perspective met l’apprenant de façon toujours plus centralisée dans le processus d’apprentissage, en exigeant de lui une présence active en vue de sa capacité à accomplir les tâches dont il a besoin.

En conséquence, pour qu’il puisse agir de manière adaptée aux situations auxquelles il sera confronté, certains concepts sont introduits ou repris d’une manière différente dans la nouvelle perspective. Une des notions centrales de cette vision est le plurilinguisme, une approche qui renforce la relation entre langue, culture et construction de la personnalité de l’individu, établissant un maillage dont les éléments sont indissociables l’un de l’autre, et qui forme la compétence à communiquer avec d’autres individus. Dans cette perspective, c’est la compréhension exacte de cette chaîne qui donnera à l’apprenant la possibilité de trouver le succès dans son apprentissage. Dans un premier temps cela se produit avec la langue parlée à la maison, avec la famille, pour ensuite passer à la société dans laquelle il habite ou à d’autres sociétés. Ainsi,

« De ce point de vue, le but de l’enseignement des langues se trouve profondément modifié. Il ne s’agit plus simplement d’acquérir la « maîtrise » d’une, deux, voire même trois langues, chacune de son côté, avec le « locuteur natif idéal » comme ultime modèle. Le but est de développer un répertoire langagier dans lequel toutes les capacités linguistiques trouvent leur place. » (Conseil de l’Europe, 2001 : 11)

De ce fait, apprendre une langue est connaître et comprendre sa culture, ce qui produit un effet direct sur la personnalité de l’apprenant lui-même, en changeant sa manière de penser et d’agir, l’adaptant au contexte dans lequel il est inséré. Lorsque l’individu est confronté à une nouvelle situation, il cherchera dans son éventail de possibilités d’actions celle qui lui sera la plus appropriée.

Pourtant, la confrontation de l’apprenant dans cette diversité de contexte ne peut pas se restreindre aux possibles changements externes dont il est victime, mais elle doit d’abord prendre en compte l’état affectif, volitif et cognitif de l’apprenant au moment de l’action. Pour un même contexte avec les mêmes interlocuteurs il est possible que l’individu réagisse de manières différentes s’il est en bonne santé ou malade, s’il vient d’être admis dans un nouvel emploi ou, au contraire, s’il a été renvoyé, s’il est fatigué, etc.

Il est important que ce caractère imprévisible de la communication soit connu et perçu par l’apprenant. Dans la perspective précédente d’enseignement de langue – l’approche communicative, diffusée aussi par le Conseil de l’Europe et consolidée dans les années 80 et 90, l’importance de l’acte de communication était déjà établie, mais se préoccupait plus de la capacité de communication de l’apprenant lui-même que de l’attitude de son interlocuteur, bien que l’importance de celle-ci dans la situation communicationnelle ne fasse pas de doute. La différence maintenant est apportée spécialement par l’autre à ce moment et ce que l’apprenant doit prendre en considération n’est pas seulement le rôle de son interlocuteur dans la conversation, mais aussi ses caractéristiques en temps qu’autre individu qui possède une langue différente avec une culture aussi différente, et que le contact mutuel de cette diversité produira des changements chez tous les interlocuteurs.

« La communication met tout l’être humain en jeu. Les compétences isolées et classifiées ci-après se combinent de manière complexe pour faire de chaque individu un être unique. En tant qu’acteur social, chaque individu établit des relations avec un nombre toujours croissant de groupes sociaux qui se chevauchent et qui, tous ensemble, définissent une identité. » (Conseil de l’Europe, 2001 : 09)

Cependant, pour que le processus de définition d’identité puisse se consolider, il est indispensable que l’individu ait la conscience de l’existence d’une diversité culturelle et sociale significative. Cette perception ne va apparaître que si on est ouvert à la compréhension de la culture de l’autre et pour cela, le Cadre souligne l’importance de la préparation à ce contact que l’apprentissage d’une langue étrangère peut et doit fournir.

Comme il est possible de l’observer, l’introduction d’une nouvelle perspective exige la consolidation, la transformation ou la création des nouveaux paradigmes qui puissent donner la base à ce nouveau regard proposé. Dans le cas de la proposition établit par le Cadre Commun de Référence concernant les caractéristiques de l’usage et de l’apprentissage d’une langue, elle affirme que

« L’usage d’une langue, y compris son apprentissage, comprend les actions accomplies par des gens qui, comme individus et comme acteurs sociaux, développent un ensemble de compétences générales et, notamment une compétence à communiquer langagièrement . Ils mettent en œuvre les compétences dont ils disposent dans des contextes et des conditions variés et en se pliant à différentes contraintes afin de réaliser des activités langagières permettant de traiter (en réception et en production) des textes portant sur des thèmes à l’intérieur de domaines particuliers, en mobilisant les stratégies qui paraissent le mieux convenir à l’accomplissement des tâches à effectuer. Le contrôle de ces activités par les interlocuteurs conduit au renforcement ou à la modification des compétences. » (Conseil de l’Europe, 2001 : 15)

Parmi les concepts déjà connus, la proposition reprend les acteurs du processus d’enseignement/apprentissage d’une langue étrangère, ainsi que la notion de stratégie qui composait la compétence communicative ou même de contextes, par exemple. Par contre, elle introduit l’idée de domaines, tâches et activités langagières, qui sont des innovations par rapport au concept pris jusqu’à présent. Ces notions sont soulignées et présentées de manière détaillée dans le document.

Le premier terme cité dans la proposition est la notion de compétence, qui est « l’ensemble des connaissances, des habilités et des dispositions qui permettent d’agir » (Conseil de l’Europe, 2000 :15). Le Cadre établit deux grands groupes de compétences, générales et à communiquer langagièrement, où les premières sont extérieures à la langue, exigeant de l’apprenant une compréhension et une possibilité d’application postérieure d’activités diverses, menées en pratique à travers des savoirs, des savoir-faire, des savoir-être et des savoir-apprendre. Ces différents types de savoirs résument la connaissance générale non linguistique nécessaire pour que l’apprenant communique.

Les savoirs – ou la connaissance déclarative – sont les résultats d’un apprentissage pratique (empirique) et théorique (académiques) de l’individu, importants pour une utilisation plus ample de la langue, à travers la capacité de compréhension de situations qu’il a vécu et la transposition de cette expérience à des nouveaux contextes, soit en la répétant quand positive, soit en la restructurant quand négative. Le savoir-faire est l’habileté à maîtriser des actions qui, de prime abord semblent difficiles ou coûteuses pour l’individu mais qui après une certaine pratique deviennent naturelles et automatiques. Le savoir-être est une compétence de caractère interne à l’individu, concernant sa personnalité, ses attitudes, sa manière de comprendre le monde ainsi que sa relation avec les autres. Cette capacité n’est pas immuable chez l’apprenant mais, au contraire, elle peut se modifier au fur et à mesure des expériences vécues par l’individu. Finalement, le savoir-apprendre est la compétence qui unit toutes les autres, car elle se montre comme la prédisposition de l’individu à connaître l’autre, une nouvelle culture, une nouvelle langue, à apprendre des nouvelles choses, etc. Comme le document l’affirme

« Dans une visée d’apprentissage, les stratégies que l’individu sélectionne pour accomplir une tâche donnée peuvent jouer de la diversité des savoir-apprendre qu’il a à sa disposition. Mais c’est aussi au travers de la diversité des expériences d’apprentissage, dès lors que celles-ci ne sont ni cloisonnées entre elles ni strictement répétitives, qu’il enrichit ses capacités à apprendre. » (Conseil de l’Europe, 2001 : 17)

C’est dans cette aptitude qu’il faut prendre en compte aussi des caractéristiques comme les différences individuelles de chaque apprenant, son style d’apprentissage et profil, ainsi que l’intérêt qu’il peut apporter à ce qu’il apprend.

En ce qui concerne les compétences à communiquer langagièrement, elles sont composées par la compétence linguistique, la sociolinguistique et la pragmatique. La première comprend le savoir-faire du système de la langue, comme le lexique, la phonétique, la syntaxe, etc. C’est la capacité de l’individu à reconnaître une certaine quantité d’informations avec la qualité nécessaire à la communication, ainsi que son organisation cognitive et son accessibilité. La compétence sociolinguistique est associée à la compréhension culturelle de l’individu qui doit s’adapter au contexte social d’usage de la langue. Sa connaissance est essentielle à la communication linguistique, considérant la nécessité d’adéquation entre le code et son utilisation. Enfin, la compétence pragmatique concerne l’usage de la langue de manière fonctionnelle, basé sur des échanges interactionnels, ainsi que les éléments référents au discours, comme la cohésion, la cohérence et l’adaptation aux genres et types de textes.

Un autre élément qui compose la proposition du Cadre Commun de Référenceest les activités langagières, qui couvrent les activités de réception orale et écrite, de production orale et écrite, d’interaction et de médiation. Considérant les activités de réception et de production essentielles à toutes les formes de communication, l’interaction est l’élément qui apporte complexité au processus car il met en relation la réception et la production, qui en alternance créent les tours de parole et par conséquent le discours. Comme l’affirme le Cadre

« Ainsi, apprendre à interagir suppose plus que d’apprendre à recevoir et à produire des énoncés. On accorde généralement une grande importance à l’interaction dans l’usage et l’apprentissage de la langue étant donné le rôle central qu’elle joue dans la communication. » (Conseil de l’Europe, 2001 : 18)

Dans cette optique, l’interaction fonctionne comme la mise en pratique de la communication, où différents éléments jouent et créent des situations les plus diverses, comme un simple discours où les interlocuteurs alternent leurs participations ou un discours plus complexe où les chevauchements sont constants et les interlocuteurs s’expriment en même temps.

Parmi les activités langagières, et différemment de ce qu’on avait traditionnellement dans les théories jusqu’à présent, le Cadre montre l’activité de médiation comme un élément séparé dans la pratique communicative. Il a comme caractéristique la reprise et reformulation d’un discours pour quelqu’un qui n’a pas participé ou n’a pas eu un accès direct à l’acte lui-même. Cette activité peut être représentée par les actions de traduction ou interprétation, ainsi que dans plusieurs types de textes : compte rendu, résumé, rapport, etc.

Un autre différentiel du matériel est de placer ces activités langagières dans des domaines, établissant pour cela quatre grandes groupes : le domaine public, le professionnel, l’éducatif et le personnel. Chacun de ces domaines couvre une situation de communication possible où l’individu sera inséré, déterminant par conséquent le type d’activité qui sera mise en œuvre, ainsi que les savoirs dont il aura besoin. Les domaines public et personnel sont d’une certaine manière complémentaires, car on a une préoccupation avec les relations sociales et individuelles, consécutivement. Il est possible d’établir aussi un pont entre les deux autres domaines, le professionnel et l’éducatif, dans lesquels les individus sont appelés à développer leurs habilités dans un contexte professionnel ou de formation, à travers l’utilisation d’aptitudes définies.

Avec ces grands domaines il est possible d’établir, même si le Cadre ne le fait à aucun moment, une relation entre la classification des matériels didactiques qui sont à disposition sur le marché éditorial, où les manuels de Français Langue Étrangère (FLE) sont destinés aux apprenants intéressés à l’utilisation de la langue dans un domaine public ou personnel, et les manuels de Français sur Objectifs Spécifiques (FOS) qui sont plutôt destinés à ceux qui veulent utiliser la langue dans un domaine professionnel ou éducatif.

Pour conclure cette proposition, c’est avec l’idée de tâches qu’il est possible de percevoir la base de la méthodologie dans l’approche actionnelle, où l’apprenant doit accomplir des activités au travers de sa compétence à communiquer. Si ces activités ou tâches lui sont méconnues, il sera obligatoire d’utiliser des stratégies de différentes modalités (communicative ou d’apprentissage par exemple) pour garantir le succès de son accomplissement. D’un autre côté, si ces tâches sont de caractère langagier, oral ou écrit, elles exigeront le traitement de textes oraux ou écrits, dans la forme de réception, production ou médiation.