5. Différences méthodologiques présentées

Après 20 ans de mise en œuvre des paradigmes d’une méthodologie, un renouvellement de ses concepts et de ses pratiques devient naturel et nécessaire. De ce fait, le Cadre Commun de Référence introduit quelques différences significatives concernant des concepts antérieurement préconisés par le Conseil de l’Europe dans les années 80, à travers l’« Un Niveau-Seuil », qui a introduit la méthodologie de l’approche communicative.

Cette approche, étant basée sur la notion de communication conçue par Hymes (1971, version française de 1984) dans les années 70, reprenait le concept de compétence de communication de Canale et Swain (1980), composée par la compétence grammaticale, la compétence sociolinguistique, la compétence discursive et la compétence stratégique.

C’est exactement dans ce concept qu’on trouve un des principaux changements apportés par le Cadre ; la notion de compétence de communication est restructurée dans le document, ouvrant la possibilité d’un changement méthodologique important dans l’enseignement des langues. Ainsi, comme indiqué auparavant, la compétence à communiquer langagièrement est donc divisée en trois composantes : linguistique, sociolinguistique et pragmatique.

Jean-Jacques Richer, du Centre de Formation Ouverte et à Distance de l’Université de Bourgogne33, dans un dossier consacré à l’analyse du Cadre attire l’attention sur le fait d’un changement de paradigme dans la terminologie adoptée par le Cadre par rapport à celle adoptée dans le Un Niveau-Seuil.

« Derrière le changement de désignation (la compétence de communication devenue compétence à communiquer langagièrement) se profile un déplacement de paradigme. En effet, le terme de compétence change de contenu sémantique : la notion de compétence, concept sociolinguistique dans les Niveaux Seuils, renvoie dans le CECR moins à un concept linguistique qu’à un concept emprunté au monde du travail où il revêt ce sens. » (RICHER : en ligne)

En suivant cette analyse, il apparaît clairement qu’un apprentissage lié à la pratique, à l’action, où on apprend à travers la mise en œuvre d’opérations, permet d’atteindre un but déterminé. Pour cela, l’individu doit être capable d’utiliser ses connaissances préalables pour réussir dans la tâche. De ce fait, ce changement ne se limite pas au titre « compétence de communication » et « compétence à communiquer langagièrement », avec le revirement de paradigme que nous venons d’expliciter. Au delà de la capacité langagière, le nouveau concept présuppose une autre capacité de communication, plus générale et individuelle, qui exige une aptitude à apprendre et à mettre en œuvre ces apprentissages, utilisant différentes stratégies.

Ainsi, la capacité langagière apparaît comme une des possibilités de communication et non la seule, transférant la centralisation de communication de la langue à une combinaison entre langue et attitude. Cette modification de paradigme est en accord avec la théorie selon laquelle la nouvelle méthodologie se fonde, soulignant l’importance de l’action dans un apprentissage, particulièrement ici, sur l’apprentissage d’une langue étrangère, à travers la réalisation de tâches, ainsi que l’utilisation des stratégies pour les accomplir.

Comme il est souligné dans le Cadre, ces tâches ne sont pas forcément de caractère langagier, mais lorsqu’elles le sont, cela veut dire qu’on travaille avec des textes, soit oraux ou écrits. Dans ce thème, on aperçoit une autre différence en comparaison avec la méthodologie antérieure. Pour l’approche communicative, l’importance des textes était significative, car c’était à partir d’eux qu’il devenait possible de comprendre le contexte des faits présentés. Mais pour que ce contexte soit réel et significatif pour l’apprenant, il devait représenter avec exactitude la réalité d’un natif et cela ne serait possible que si on utilisait des documents authentiques qui serviraient de modèle de la langue à apprendre.

Pour l’approche actionnelle, cette optique est déplacée et on voit la notion de texte d’une façon différente. Toutes les constructions de discours, oraux ou écrit sont considérées comme textes, soit de réception, de production, d’interaction ou de médiation, et l’important pour l’accomplissement de la tâche est que le texte soit compris par l’interlocuteur, indépendamment de sa nature. En d’autres termes, il n’est pas obligatoire ou essentiel que ce texte soit authentique, mais qu’il soit accessible à l’apprenant. Comme il est affirmé dans le document

« Dans la perspective retenue, stratégies de communication et stratégies d’apprentissage ne sont donc que des stratégies parmi d’autres, tout comme tâches communicationnelles et tâches d’apprentissage ne sont que des tâches parmi d’autres. De même, textes « authentiques » ou textes fabriqués à des fins pédagogiques, textes de manuels ou textes produit par les apprenants ne sont que des textes parmi d’autres. » (Conseil de l’Europe, 2001 : 19)

Cette vision est élargie à la notion de stratégie et de tâches, où tous les types de stratégies ont la même finalité et le même traitement et où toutes les tâches conduisent l’apprenant à agir, même si on n’a pas besoin d’une intervention langagière pour cela. De ce fait, une des grandes différences entre les deux méthodologies apparaît : l’approche communicative prévoyait une interaction entre les individus, de caractère essentiellement langagier, de tours de parole ; l’approche actionnelle prévoit, maintenant, l’accomplissement d’une action par l’individu, avec l’utilisation de tous les recours dont il a besoin et dont il dispose pour réussir, soit en utilisant un geste, un mot, la parole, un dessin, etc.

Considérant ainsi toutes les adaptations nécessaires à la mise en œuvre des objectifs, il faut prévoir et connaître les différents domaines d’utilisation de la langue. Nous trouvons ici une nouvelle distinction concernant les deux documents : des cinq dans Un Niveau-Seuil (touristes, voyageurs ; travailleurs migrants et familles ; spécialistes, professionnels, dans leur pays ; adolescents en système scolaire ; grands adolescents, jeunes adultes) on passe à quatre dans le Cadre (personnel, public, professionnel et éducationnel). La classification présentée par les deux montre aussi une nette distinction de paradigmes : pour le premier, l’important est l’individu, le sujet de la communication, qui s’adapte à une fonction sociale dans un moment déterminé ; pour le deuxième, ce qui est important c’est le domaine lui-même, où les sujets ou « acteurs » développeront leurs actions.

Cette nouvelle formulation est donc plus ouverte que la première et d’une certaine manière l’absorbe, considérant que les touristes et voyageurs utilisent la langue dans un domaine public ; les travailleurs migrants et familles dans une combinaison des domaines professionnel, public et personnel, ainsi que les grands adolescents et jeunes adultes ; les spécialistes, professionnels vont utiliser la langue dans un domaine professionnel et les adolescents en système scolaire dans un domaine éducationnel. Par contre, essayer de faire le chemin inverse est impossible, car ce qui est établie par l’Un Niveau-Seuil se montre restreint à des situations prédéterminées.

De toute manière, l’influence de ces domaines est évidente dans la détermination du type de méthode d’enseignement qui sera produit et mis sur le marché. Le Niveau-Seuil a influencé les manuels de Français Langue Maternelle (adolescents en système scolaire), Français Langue Étrangère (grands adolescents, jeunes adultes et touristes, voyageurs), Français Langue Seconde (travailleurs migrants et familles) et finalement, le Français sur Objectifs Spécifiques (spécialistes, professionnels, dans leur pays). Cette influence commence à être aperçue aussi dans les nouvelles méthodes inspirées par le Cadre, où il n’existe pas encore une nouvelle détermination de lignes d’édition de matériel, mais une réorganisation des thèmes à partir du changement proposé dans le nouveau document. Nous reviendrons plus loin sur l’importance de ce débat et sur ses liens avec notre étude.

Notes
33.

http://passerelle.u-bourgogne.fr/cfoad/fle/site_cadre_europeen/site/3ConceptionlinguistiquederfrenceduCECR.htm