7.1 Cadre européen ou mondial ?

Une des premières choses qui attirent l’attention est sans doute la dimension que ce document a atteinte. Même en considérant qu’il a été conçu pour une application à niveau européen, ce qui a signifié une augmentation progressive du nombre des pays au fur et à mesure de leur entrée dans la communauté européenne, son domaine d’influence a sans aucun doute dépassé les frontières de l’Europe, pour arriver jusqu’au Brésil, pays qui en principe n’a pas de relations étroites avec le continent européen à propos des questions éducatives.

Selon Mohammed Miled (2007), lors de son intervention « Quelle est la place du CECRL dans le champ du FLS ? », le Cadre ouvre tout au long de son texte les possibilités d’un élargissement considérable de son champ d’action, particulièrement lorsqu’il utilise des expressions comme « Les utilisateurs du Cadre de Référence envisageront et expliciteront selon le cas… », où le terme « selon le cas » permet une adaptation plus ample que celle qui a été imaginée au moment de la conception du document. Cette idée est partagée par Daniel Coste (2007a : 03), lorsqu’il affirme que

« Le Cadre de Référence est modulable, malléable, multiréférentiel, comportant de nombreux paramètres ajustables et c’est en contexte qu’une valeur est attribuée à chacun de ces paramètres, qu’un profil est établi, que des standards et des seuils indicateurs sont éventuellement fixés. »

Ces voies ont donc permis une reprise du texte en différents contextes, de manière très rapide et importante, à tel point que la majorité des chercheurs soulignent l’importance de prendre des précautions devant la possibilité d’utilisations indiscriminées des préceptes du Cadre. Miled (2007) même souligne qu’il convient d’éviter sa sacralisation, la « cadrôlatrie » selon les mots d’Evelyne Rosen (2007), ainsi qu’une application automatique de l’outil, qui doit être adapté aux différences sociolinguistiques de la région où il sera appliqué, par exemple. Un autre problème fait référence aussi à une possible utilisation directe de l’échelle des niveaux de référence, qui a été proposée pour des apprenants de langues étrangères et non pour ceux qui ont un contact constant avec la langue, comme c’est le cas de la langue seconde.

La question qu’on se pose donc est si les propositions du Cadre, concernant particulièrement la politique et la planification linguistiques, servent à tout le monde, de n’importe quel pays, dans n’importe quelle situation sociolinguistique. Les opinions sont diverses et parfois controverses, sans une réponse effective, mais à partir de certaines expériences, il existe une tendance à répondre de façon affirmative à cette interrogation. L’argument généralement utilisé pour l’affirmer est que le Cadre remplit un vide méthodologique et une standardisation évaluative exigée par la mobilité.

En ce qui concerne la nécessité d’une standardisation évaluative, l’argument est bien acceptable, car les facilités de mobilité actuelles ne sont pas restreintes à la situation géographique et économique de l’Europe, mais du monde en général. L’évolution technologique a fait qu’il est beaucoup plus simple et rapide de voyager à l’étranger aujourd’hui, permettant un contact beaucoup plus grand et constant entre les gens de différentes nationalités, qui se déplacent plus constamment pour aller étudier ou travailler ailleurs. Cette mobilité exige la connaissance d’une langue étrangère et sa conséquente maîtrise. Une standardisation de ces examens à niveau mondial faciliterait donc cette réalité, comme le montre Coste (2007a : 06) 

« Il est normal en effet que les usagers et les utilisateurs des langues, employeurs et employés, étudiants et universités, dans un marché européen du travail et dans une société européenne de la connaissance, attendent de l’apprentissage des langues que non seulement il développe des capacités opérationnelles, mais aussi propose des mesures fiables et reconnues de ces capacités qui les rendent validables dans différents lieux de l’espace européen et au hasard des trajectoires individuelles et des parcours de vie. »

Ainsi, nous percevons cette standardisation comme un objectif réel des concepteurs du Cadre, basée spécialement sur une demande des utilisateurs des langues qui exigent actuellement de l’apprentissage de la langue beaucoup plus que sa connaissance, mais aussi sa validation, en principe au niveau européen mais qui finalement s’est montrée comme une nécessité mondiale.

Malgré tout, l’idée que le Cadre puisse remplir un vide méthodologique est plus discutable, particulièrement parce qu’il n’apporte pas un vrai changement théorique, comme l’affirment plusieurs chercheurs (Hopkins, 1996 ; Abry, 2007) ; il serait plutôt un descripteur des situations d’apprentissage, comme nous pouvons le noter à partir de l’affirmation de Coste. Beacco (2004 : 28) refuse aussi cette perspective, lorsqu’il affirme que « ‘ Si l’on se situe ailleurs que sur le plan des contenus des stratégies méthodologiques, on peut estimer que le Cadre, qui n’est en aucune façon à considérer comme une méthodologie d’enseignement, aura cependant des effet méthodologiques » ’ ‘ , ’ ‘ en même temps qu’il dit comprendre les raisons qui ont pu provoquer cette discussion.

Une explication possible à la production de cette confusion est la densité même du texte du Cadre. Son recueil théorique et la reprise de différentes terminologies, de forme cohérente et organisée, donnent au document en même temps une force conceptuelle et une image de nouveauté, malgré son caractère d’outil plus pratique que théorique. Comme nous expose Riba (2006) :

‘« Le Cadre définit une méthodologie de description et d’analyse d’une situation d’apprentissage ou d’enseignement d’une langue vivante, avec entre autres avantages une terminologie. Nous ne nous attarderons pas sur ce point, controversé et symbolique d’évolutions épistémologiques, et prendrons le parti d’adopter cette approche, quitte à en fâcher certains. Cette terminologie a l’avantage de recueillir l’approbation d’experts européens, même si elle n’est pas dénuée de pièges dans sa traduction. Tradutore traditore. C’est en tous les cas un louable effort de transparence et de cohésion mutuelle permettant la comparaison entre les systèmes pédagogiques, élément fondamental de l’évaluation et de la qualification en langue. C’est aussi un document complet et cohérent qui prend en compte un grand nombre de situations, ainsi que la plupart des problématiques qui traversent cette discipline. Enfin, rappelons qu’il n’est pas normatif ou prescriptif et qu’il constitue un outil didactique à la disposition de tout enseignant ou responsable éducatif à quelque niveau que ce soit. » (RIBA, 2006)’

Ainsi, le fait que le Cadre donne une base épistémologique à une action récurrente des professeurs a servi probablement d’assurance à leur travail en classe, favorisant aussi l’élargissement de leurs pratiques avec des objectifs précis.

Celle-là est en effet une des qualités les plus importantes du Cadre : il est objectif et précis, ce qui peut être une autre explication à la lecture du texte comme une nouvelle méthodologie pour l’enseignement de langues. Dans les mots de Coste (2007a : 03), « dans nombre des emplois auxquels il se prête, le Cadre opère comme une norme bien définie, un mode de mesure stabilisé, un étalonnage central et unique des compétences linguistiques ». Ainsi, comme il part de points pratiques et a pour but l’établissement d’une référence concrète à tous les impliqués dans le processus d’enseignement/apprentissage de langues, il devient applicable en même temps que cohérent avec la pratique de la classe. Autrement dit, son caractère pratique et son ouverture à une adaptation ponctuelle, basée sur les besoins et attentes des apprenants, permet une transposition didactique plus concrète au professeur, en l’assurant dans sa pratique en classe.