1.6 Le guide pédagogique comme référence au professeur

Presque inconnu des apprenants, à la différence des autres outils, le guide pédagogique est un outil qui se présente comme un appui au travail du professeur en classe, comme une autre « voix » des auteurs et parfois comme « recette » d’une utilisation idéale du matériel. Il présente des informations encore plus importantes, car c’est là qu’on apprend la méthodologie à la base de sa composition, ainsi que l’utilisation considérée comme idéale par ses idéalisateurs. Il gagne donc la position de référence au professeur pour comprendre les différents aspects qui composent la méthode.

Dans le cas du manuel Forum 1, par exemple, selon les auteurs le guide comprend :

« - un exposé détaillé des principes méthodologiques de FORUM ;
- une présentation du Carnet de route;
- des propositions des différents parcours pédagogiques ;
- un exposé sur l’approche de la phonétique ;
- une présentation de la préparation du DELF avec FORUM ;
- un tableau détaillé des contenus communicatifs, linguistiques et interculturels de chaque unité avec indication des activités correspondantes et des compétences mises en œuvre ;
- des conseils d’utilisation pour chaque unité avec les corrigés des exercices du livre ;
- les corrigés du cahier d’exercices. » (Baylon, Campà et al., 2000b : 05)

Cette description est un exemple d’un moment important apporté par le guide pédagogique, qui donne aux auteurs l’opportunité de s’exprimer et de registrer leurs objectifs et intentions dans la proposition d’activités, organisation du matériau et élaboration de matériaux d’appui, comme le « Carnet de Route ».

Ce dernier bénéficie d’une attention toute particulière : il est absent des autres méthodes, et mérite une présentation plus détaillée et précise de la part des auteurs dans le guide pédagogique. Au-delà de l’exposition faite aux apprenants dans le corps du matériau, le guide apporte un approfondissement des propositions et des objectifs des auteurs en relation au carnet. C’est là qu’on découvre, par exemple, à partir d’une description détaillée de son contenu, l’intention de développement de l’autonomie de l’apprenant qui doit l’utiliser comme complément de ses études de la langue.

Tout au début nous soulignons la première phrase de cette rubrique, car elle affirme que le matériau est « un ensemble de 30 fiches que l’apprenant gère seul, pas à pas, de manière très guidée quand son professeur ou les suggestions faites dans le livre de l’élève l’y ont engagé. » (Baylon, Campà et al., 2000b : 13) Elle montre l’intention de développement de l’autonomie, idée qui est aussi renforcée par le titre de la rubrique 1 : « un outil pour favoriser l’autonomie » (Baylon, Campà et al., 2000b : 13)

En analysant de plus près cette partie, on aperçoit une contradiction méthodologique très habituelle dans l’élaboration des méthodes : l’idée de développement de l’autonomie de l’apprenant de manière guidée – très guidée même –, soit par le professeur, soit par la méthode et, dans le cas de Forum 1, par les deux. En même temps qu’on soutient le discours de l’apprentissage à partir de besoins et désirs de celui qui apprend, il est difficile d’effectivement le mettre en pratique, en laissant le professeur ou la méthode dans une position secondaire. Par contre, cet accompagnement par le professeur devient importante spécialement au début de l’apprentissage, comme c’est le cas, pour garantir la correcte appréhension des contenus et pour les exemples soient bien utilisés et appliqués, en évitant une possible fossilisation d’erreurs. Le guide suggère de faire cette vérification à la fin de chaque unité.

Pourtant, l’idée d’autonomie reste importante dans l’exposition du matériau. Une grande partie de ce moment est dédiée à sa troisième partie, celle du fichier personnel et la plus indépendante des rubriques, où les auteurs suggestionnent quelques classifications possibles des fiches. Il est important de souligner est que toutes les explications concernant le travail avec le carnet, comme des fiches exemples ou ses principes, figurent dans le guide, outil utilisé uniquement par le professeur, et non dans le carnet lui-même, utilisé par – et en principe exclusivement – l’apprenant. Cela laisse sa compréhension plus difficile, et exige une fois de plus l’intervention du professeur pour le faire déchiffrer la systématique employée, en ayant des résultats bien loin des possibilités imaginées par les auteurs, sans que l’apprenant s’implique dans la méthode.

En ce qui concerne la phonétique, thème très controverse parmi les professeurs comme on le verra plus tard, le guide pédagogique présente une large exposition de l’approche proposé par les auteurs. Ils commencent en justifiant l’importance du travail phonétique en classe de langue, et affirment que « FORUM s’attache à redonner à la phonétique le statut et le rôle importants qui sont les siens dans l’activité langagière et dans le processus d’enseignement/apprentissage. » (Baylon, Campà et al., 2000b : 16) Avec cette affirmation, il nous est possible d’avoir les premières perceptions concernant la base méthodologique qui fonde les activités phonologiques proposées. Cette importance est justifiée lorsque les auteurs affirment que :

« Si l’on doit enseigner/apprendre la prononciation, ce n’est pas seulement pour pouvoir communiquer oralement. En effet, en ne peut pas faire l’impasse sur le travail phonétique (ni d’ailleurs sur la grammaire, le vocabulaire ou les structures énonciatives), d’abord parce que les langues sont des objets essentiellement phoniques et parce que la langue orale est la seule vivante (Lacan).
Notre image mentale des langues est une image phonique (même en « lisant des yeux », même lorsque nous « pensons », notre voix intérieure [Barbizet, Angelergues] utilise l’image sonore de la langue) : l’oralité est consubstantielle aux langues, elle fait partie de leur naturalité. C’est à ce titre que la phonétique a sa place dans une méthode d’enseignement du français. On peut affirmer, sans craindre le paradoxe, que, même si l’apprenant n’avait jamais à communiquer oralement, le travail sur la prononciation serait indispensable. Cette question préalable – qui peut d’ailleurs être posée et débattue en langue maternelle – est souvent déterminante pour motiver l’apprenant. » (Baylon, Campà et al., 2000b : 16)

Ceci éclaire la vision de la langue et de la phonétique des auteurs, ce qui aura de conséquences sur d’autres facteurs du domaine. L’un de ces facteurs est la question des accents francophones : la diversification d’accents est grande et croyant l’impossibilité de connaître tous dans leur totalité a fait que les auteurs optent pour le français standard. Selon eux, « ce choix répond non seulement à des critères statistiques ou sociologiques mais aussi au fait que c’est la prononciation la plus généralisée dans les médias. » (Baylon, Campà et al., 2000b : 17) Il est important de souligner que cette position limite non seulement les questions phonétiques du travail avec le matériau, mais aussi les questions interculturelles et de vocabulaire, par exemple. Quand on affirme, comme ont fait les auteurs, que le travail sur la prononciation serait indispensable même si l’apprenant n’avait jamais à communiquer oralement, il est important de lui montrer et de lui faire reconnaître les différentes possibilités d’accents, en priorisant bien entendu une d’elles, qui servira comme référence de langue à l’apprenant.

Un autre point à remarquer est la base théorique qui fonde la méthode et par conséquent l’étude de la phonétique : la théorie de l’action. Ainsi, les auteurs affirment que :

« l’enseignement/apprentissage de la prononciation doit prendre en compte le fait que parler ne consiste pas seulement à mobiliser un savoir mais aussi et surtout à réaliser une activité : l’intervention pédagogique sur la prononciation doit se fonder sur la naturalité de l’activité langagière. » (Baylon, Campà et al., 2000b : 17)

Cela veut dire que la production orale et l’audition de la langue sont pour les auteurs des actes à réaliser, où il faut considérer globalement tous les composants de la langue qui vont au-delà de sa grammaire : l’intonation, le rythme de la parole, l’expression corporelle, les gestes articulatoires, l’état affectif du locuteur, etc. Ces points seront discutés plus profondément plus tard car la phonétique est l’une des thématiques les plus débattues en didactique des langues, au moins dans le cas du français au Centre de Langues de l’UFPR, ce qui va promouvoir des nombreux changements et adaptations de la part du professeur.

La dernière rubrique de chaque unité est toujours « pour aller plus loin… », qui présente des activités ancrées dans les préceptes de l’examen DELF qui, comme nous l’avons déjà vu, est l’examen national français reconnu par le Ministère de l’Éducation et, par conséquent, par plusieurs Universités françaises. Ceci lui donne un très bon statut, à tel point que les auteurs de la méthode ont dispensé un espace significatif du guide pédagogique dans une description assez détaillée de chacun des examens DELF valables à l’époque.

Par contre, la consécration du Cadre Commun de Référence a amené à modifier les examens pour tenter de s’adapter aux niveaux de référence, et également à transformer cette rubrique. Au début, comme il n’y avait pas encore un ajustement direct de l’examen aux niveaux de référence, les auteurs ont établi que les contenus équivalaient aux niveaux DELF A1, A2 et A3. Selon les auteurs,

« Cette page a pour objectif de familiariser les apprenants avec les types d’activités du DELF premier degré (A1, A2 et A3) et de préparer à l’examen. De plus, elle permet un réemploi des contenus linguistiques et communicatifs abordés dans l’unité ». (Baylon, Campà et al., 2000b : 13)

Aujourd’hui, après que les adéquations de l’examen ont été faites en les adaptant au Cadre, un changement de perspective, même si léger, est nécessaire pour les manuels. Dans le cas de la méthode Forum, l’Internet a été utilisé pour cette finalité et une certaine quantité d’activités interactives en ligne a été mise à disposition des apprenants.

Finalement, au-delà de se limiter à une présentation organisationnelle de la méthode, le guide pédagogique matérialise la notion et les principes méthodologiques sur lesquels sont basés les idéaux des auteurs au moment de la conception du matériel, ce qui nous verrons de manière plus détaillée dans la section qui suivre.