4.2.3 Modifications Externes

Après avoir confirmé la pratique courante de modifications des matériels didactiques, spécialement du manuel, par les enseignants du CELIN, il nous semble important de vérifier les insertions appliquées, considérant l’activité choisie. Cette observation nous montrera non seulement le type d’exercice sélectionné (compétences à renforcer, culture, thématique, centres d’intérêts) mais aussi la source de l’information (presse écrite, d’autres manuels, Internet, vidéo, films, etc).

En reprenant comme source les quatre groupes analysés dans la section antérieure, nous avons repéré un grand nombre d’insertions d’activités externes à celles proposées par le matériel ; plus spécifiquement, nous comptons 20 insertions pour le groupe A, 21 pour le B, 15 pour le C, 12 pour le D, 13 pour le E, 14 pour le F et 23 pour le G, sans encore prendre en compte la nature de chacune d’elles. À partir de ces chiffres il nous est possible de percevoir une stabilité dans l’utilisation d’activités complémentaires, où les professeurs qui en utilisent le moins choisissent au moins une douzaine de matériels et ceux qui en utilisent le plus, arrivent à un maximum d’une vingtaine.

La première explication que nous pourrions fournir pour justifier cette différence serait, en principe, les caractéristiques des cours, extensifs ou intensifs, qui comptent exactement la même charge d’heures mais qui sont organisés différemment. Elle vient s’appuyer sur l’observation faite par les enseignants eux-mêmes, qui ont pratiqué, comme nous l’avons vu, l’utilisation de certaines activités uniquement parce qu’ils avaient le temps : « Dans cette unité spécifique j’ai tout utilisé parce que j’avais du temps. Sinon, j’aurais laissé tomber la partie phonétique. » (Me – Enseignant Groupe F) Le cours intensif, ayant une séance plus longue que le régulier (3 heures, à la place de 2 heures) et avec moins d’interruptions permettrait par conséquent une insertion plus grande d’activités.

Mais ce n’est pas la conclusion que nous pouvons dégager de la pratique des professeurs, où les groupes de A à E sont extensifs et les F et G sont intensifs. Il y a parmi les résultats trouvés une non-caractérisation de cette différence, ce qui nous renseigne sur un comportement personnel de l’enseignant vers le choix de ces activités et une acceptation plus ou moins forte de ce type d’intervention. L’enseignant particulier qui a affirmé avoir le temps pour faire toutes les propositions du manuel n’est intervenu qu’avec 14 activités complémentaires, dans un cours intensif, ce qui n’est pas beaucoup par rapport aux réalisations d’autres professeurs.

Ce choix serait donc très lié à une attitude du professeur par rapport au matériel qu’il utilise en classe, à la représentation qu’il a des besoins, difficultés et intérêts de ses apprenants ou à sa pratique personnelle en classe. Dans le premier cas, ces modifications dépendront de la manière dont il voit l’efficacité du manuel en classe ; s’il le considère efficace, il choisira moins d’activités hors du matériel, préférant suivre les propositions déjà existantes ; si par contre il le trouve faible ou insuffisant, il cherchera à l’enrichir. Dans le deuxième cas les changements auront pour but de renforcer un travail pour lequel ses apprenants ont montré plus de difficulté, de besoin ou simplement d’intérêt ; ainsi, une difficulté phonétique sera retravaillée ou une thématique sera reprise car elle intéresse les apprenants. En ce qui concerne un troisième cas, les modifications réalisées vont dépendre de l’action du professeur en classe et de son sentiment de confiance et maîtrise par rapport à la situation d’apprentissage.

L’adaptation d’un matériel didactique comme le manuel exige une bonne réflexion et connaissance de la part du professeur, puisque toute interférence doit être en accord avec la méthodologie du matériel, ainsi que sa thématique et niveau de difficulté. Pour cela, il est impératif d’avoir une bonne connaissance des apprenants, concernant leurs motivations et intérêts, mais aussi en percevant ce qui est important pour eux et leurs manques dans l’apprentissage de la langue ; en plus, du côté pratique, il faut avoir du temps en classe pour pouvoir travailler hors du livre ; pour tout sens que le manuel a dans la situation d’apprentissage, il sera sûrement préféré à n’importe quelle activité au cas où le temps limite les possibilités.

Du côté de l’enseignant, le temps est aussi un point déterminant de la pratique en classe, puisque les modifications qu’on fait exigent une préparation dont le temps n’est pas négligeable ; en prenant la réalité du Brésil, généralement les professeurs ont une charge importante de cours par semaine, sans qu’ils aient vraiment un temps pour la préparation de chaque séance et qui en plus n’est pas rémunérée. La question concernant le temps n’est pas très loin de celle concernant les moyens ; comme nous l’avons vu, particulièrement dans l’enseignement de langues étrangères, la recherche des documents authentiques n’est pas très évidente dans un pays si loin de la France qu’est le Brésil et les sources deviennent assez restreintes : Internet, en sachant qu’il faut bien choisir le texte et télévision à câble, dans laquelle on trouve la richesse de l’information avec les images, grand facilitateur du processus d’apprentissage. Mais trouver ces documents n’est pas une tâche simple. Il s’agit d’un travail minutieux dans lequel l’enseignant doit mettre en relation les différents facteurs dont nous avons parlé ici.

Le professeur du groupe G, que nous voyons comme celui qui a utilisé le plus de documents complémentaires pendant son cours, est connu pour avoir une grande quantité de matériel authentique et les utiliser en classe. Dans un cours complet de 60 heures elle a utilisé cinq vidéos, dont trois directement liées à la thématique de l’unité. Comme il s’agissait du thème « vacances », la visualisation des vidéos servait de prétexte à une utilisation postérieure des informations, à travers un jeu de rôles ; autrement dit, après le visionnement de la vidéo les apprenants devaient imaginer une situation de proposition de voyage en utilisant les informations prises à partir du reportage.

La première vidéo choisie montrait Bora-Bora ; la deuxième, diffusée quelques séances après, concernait les différents aspects de la Bourgogne et la troisième présentait un épisode de la série « Un gars, une fille », dont les personnages essayaient de choisir une destination pour voyager. Il y a donc clairement une intention d’adaptation de ce matériel authentique à la thématique du manuel, renforçant l’idée de cet élément comme ligne fondamentale qui conduit le travail développé en classe.

Comme il s’agit d’un contenu francophone, il se prête aussi à un travail interculturel, même s’il n’est pas l’objectif dans un premier temps, attirant l’attention et motivant les apprenants, spécialement ceux qui étudient la langue dans le but de partir à l’étranger pour étudier ou faire du tourisme. Dans ces situations, le professeur doit faire une analyse contrastive des connaissances culturelles de ses apprenants pour être capable de choisir les activités qui leur ajouteront des connaissances ; en plus, ces activités montrent d’autres aspects culturels, différents de ceux qui sont formellement présentés dans le manuel, donnant à l’apprenants la possibilité d’avoir un regard distinct de celui des auteurs de manuels, souvent très restreints à certains thèmes, comme la ville de Paris, la chanson française ou les films français. L’opportunité de connaître d’autres pays francophones que la France est aussi un facteur qui intéresse les étudiants et qui attire leur attention sur ce type de documents.

À part ce professeur, il est à remarquer que nous n’avons pas beaucoup plus d’activités vidéo en classe, tandis que le discours méthodologique courant il y a quelque temps confirme bien l’importance de l’utilisation de ce type de recours ; parmi les autres enseignants, seulement trois ont utilisé cet outil, dont deux étaient des documents authentiques et un, des situations faisant parties d’une autre méthode d’enseignement de français langue étrangère. Même si dans ce cas on n’arrive pas réellement à sortir de l’idée du déjà connu dans les manuels, avec la thématique de la chanson française par exemple, l’utilisation des clips de chansons apporte beaucoup plus de possibilités didactiques que le simple emploi de la chanson et de ses paroles.

Un autre facteur qui joue beaucoup dans le moment d’adaptation d’un matériel didactique est le fait que l’enseignant connaisse d’autres matériels qui soient disponibles et qui seraient mieux adaptés à chacune des situations de l’enseignement. Il est courant de choisir des exercices présents dans des manuels qui ont été utilisés antérieurement par le professeur, soit pendant sa carrière, soit pendant qu’il était lui aussi apprenant de français au Brésil. Ce choix n’exprime pas une contradiction, qui en effet ne se pose pas dans la pratique, mais qui dans une analyse plus profonde devient inévitable, puisqu’en principe la méthode et même la méthodologie a été changée parce qu’elle n’était plus adaptée aux besoins et aux intérêts des apprenants.

Cette solution a été trouvée par exemple par un des professeurs dans les classes duquel nous avons eu accès. Il est le professeur des groupes A et B et nous voyons une forte tendance de ce professeur à ajouter d’autres activités pendant ses cours, qui est extensif et destiné à un groupe de niveau 1 (unités 01 et 02 du manuel), c’est-à-dire, des débutants dans la langue française. Parmi les modifications qu’il a faites, la majorité des activités ont été retirées d’autres méthodes, comme c’est le cas de Tempo (1997, Ed. Didier), Reflets (1999, Ed. Hachette), Archipel (1982, Ed. Didier), Libre Échange (1991, Ed. Didier) et La Clé des Champs (1991, Ed. CLE International), toutes citées dans son journal de cours.

Pourtant, les choix d’activités ne sont pas faits au hasard par ce professeur. Nous pouvons constater qu’il y a une récurrence dans leurs utilisations. Dans le cas de la méthode Tempo par exemple, sans doute une des raisons pour sa sélection est que c’était la méthode adoptée juste avant Forum, si bien qu’elle était toujours fraîche dans la mémoire du professeur ; par contre, c’est une méthode bien connue au Brésil pour sa façon de travailler la phonétique, pour ses activités strictement linguistiques, hors contexte. Autrement dit, elle possède un bon nombre d’exercices avec des phrases isolées, ce qui peut être très critiqué par les nouvelles méthodologies mais qui est bien accepté par rapport au niveau de précision oral qu’elle exige et développe peu à peu.

Il nous apparaît clairement que le type d’activité sélectionnée par le professeur doit être adapté au niveau des apprenants ; pour ceux qui sont au niveau débutant ou élémentaire, comme le cas de notre exemple ici, les activités doivent présenter une référence socioculturelle claire ; au fur et à mesure que l’apprentissage se développe, les activités deviennent plus centrées dans le contexte social où la situation de communication se déroule.

« pensamos que en un primer momento las actividades tienen que dar información. Más tarde debemos programar actividades para que el alumno interprete y compare la información recibida mediante un modelo y más tarde sea capaz de valorar esa información. Por tanto, pensamos que el interés sociocultural se ha de ir integrando paulatinamente en la programación de actividades. Esto significa que no haya de introducirse desde los primeros niveles. Como ya hemos comentado, pensamos que todas las actividades deben aludir a una situación real y tener un referente sociocultural claro para el alumno. Hemos señalado como fundamental la adecuada contextualización de las muestras de lengua y modelos presentados al alumno. » 43 (Ruiz de los Paños, 2002 : 27)

Ce raisonnement justifie ainsi l’utilisation des méthodes Reflets, Archipel et Libre Échange avec les groupes. Indépendamment de leur époque de publication – qui sont d’ailleurs bien différentes, une à chaque décennie – les trois ont comme caractéristique une pertinence dans le contexte des histoires, présentant des situations larges avec plusieurs personnages, caractère qui aidait beaucoup les apprenants au début de l’apprentissage. Toutefois, dans sa pratique le professeur les a utilisées de façon différente ; pendant que dans Archipel et Libre Échange ce sont les dialogues qui sont exploités, dans Reflets le choix porte plutôt sur les situations enregistrées en vidéo, ajoutant ainsi de l’image à la compréhension orale à travers un nouveau recours physico cognitif de l’apprenant.

Finalement, dans le cas du livre La Clé des Champs, ce qui joue sans doute est le fait que l’enseignant concerné avait suivi son cours de Lettres à l’Université Fédérale utilisant cette méthode. Elle n’a pas eu spécialement de succès au Brésil, bien au contraire nous pouvons la considérer comme inconnue de la plus grande partie des professeurs brésiliens de français, mais elle est particulièrement connue de cet enseignant, et lui permettre une transition aisée par ses contenus et thématiques, et en se référant à la manière dont elle a été travaillée par son ancien professeur.

Un autre type de document authentique assez utilisé par les enseignants du CELIN est le texte, généralement extrait de quotidiens français de grande diffusion via Internet. Cette source est la plus employée afin d’éviter les problèmes très connus des sites dont les textes sont écrits à « la vitesse de la nouvelle », de ce fait on y trouve très souvent des fautes d’orthographe, entre autres. Pour une lecture informative cela ne semble peut-être pas quelque chose de très grave, mais dans le cas de l’enseignement de la langue cela devient une question importante. De cette manière, les sites institutionnels sont les plus choisis par les enseignants, soit pour développer une activité en classe, soit pour indiquer comme source de consultation aux apprenants.

Mais la plus grande intervention des enseignants se fait à partir de l’utilisation des chansons francophones ; sa présence dans les cours du CELIN est unanime et les raisons sont plurielles. Premièrement, on voit une vraie motivation par rapport à ce type d’activité, probablement pour le côté ludique qu’elle offre ; ensuite, parce que, comme une manifestation artistique, elle rapproche l’apprenant de la culture de la langue qu’il apprend et établit des références par rapport à la communauté ; elle apparaît aussi comme un bon exercice linguistique, car habituellement on effectue un travail avec ses paroles et sa mélodie abordant la question du vocabulaire et des structure grammaticales ; finalement, les lexiques sont présentés en contexte, permettant une appropriation des nouveaux mots d’une manière plus efficace par les apprenants.

Pour les enseignants, la chanson remplace très souvent la phonétique, une activité dont nous avons déjà parlé dans cette étude et qui est généralement vue comme inefficace pour atteindre ce qu’elle se propose de faire, avis non seulement des professeurs du CELIN ou des Brésiliens dont la langue maternelle est très proche du français, mais aussi d’autres enseignants qui ont manifesté leur désaccord avec ce type de proposition dans des articles spécialisés, cas de la Revue Le français dans le monde 44 et que nous avons signalé dans la section antérieure.

Personne ne nie son importance pour l’apprentissage de la langue, mais son manque d’attractivité fait que la solution trouvée est son remplacement et, pour cela, la chanson est considérée comme la meilleure option, à tel point que nous pouvons nous demander si elle ne serait pas la « motivation par excellence » : lexique, ludique, phonétique, culturel, décontractant, tous dans une seule activité. Ces caractéristiques sont sûrement déjà suffisantes pour justifier sa présence unanime dans les cours de français au CELIN.

Considérant les résultats trouvés à partir de l’analyse des questionnaires et des plans de travail des enseignants, il est inévitable de nous demander si nous pouvons parler, après toutes ces modifications, de l’existence d’une vraie ou unique méthodologie ? En effet, ce que nous percevons après ces analyses est qu’au moment de la transposition didactique du discours méthodologique, considéré à priori comme une référence « idéale », l’enseignant doit mettre en relation une quantité importante de facteurs – conditions d’apprentissage, motivation des apprenants, sa propre motivation, le manuel adopté par l’institution, les possibilités d’accès à d’autres matériels didactiques, temps disponible, etc. – à tel point que la méthodologie initiale devient plurielle et éclectique, avec les touches personnelles de chaque professeur, ainsi que de chaque groupe d’apprenants.

Notes
43.

« nous pensons que dans un premier temps les activités doivent donner une information. Plus tard nous devons programmer des activités pour que l'élève interprète et compare l'information reçue par un modèle et plus tard soit capable d'évaluer cette information. Par conséquent, nous pensons que l'intérêt socioculturel doit intégrer progressivement dans la programmation d'activités. Ceci signifie qu'il ne doit pas être introduit depuis les premiers niveaux. Comme nous avons déjà commenté, nous pensons que toutes les activités doivent faire allusion à une situation réelle et avoir un relatif socioculturel clairement pour l'élève. Nous avons indiqué comme fondamental la contextualisation adéquate des échantillons langue et modèles présentés à l'élève. »

44.

Revue Le français dans le Monde. CLE International http://www.fdlm.org