2-2-2- Des différences positionnelles dans les groupes

Certaines recherches ont tenté d’observer d’autres variables que la disposition à l’ennui, et plus particulièrement en fonction de l’âge. On a pu constater que les jeunes sont plus disposé-e-s à l’ennui que les personnes plus âgées (Drory, 1982 ; Hill, 1975 ; Studak et Workman, 2004 ; Sundberg et al, 1991 ; Vodanovich et Kass, 1990). Les raisons de cette différence de disposition à l’ennui sont que les personnes âgées ont plus de résistance et de contrôle d’elles-mêmes, plus particulièrement si l’on se réfère aux facteurs de la BPS28, au niveau de la stimulation interne. On peut également expliquer cela par le fait que les plus jeunes expriment plus leur ennui, car ils auraient d’avantage envie de faire évoluer, changer les choses. Enfin, une dernière manière de justifier cette différence est, comme nous l’avons évoqué, le fait que l’ennui revêt une signification spécifique pendant adolescence, comme refus des règles des adultes.

Un dernier point, qui peut pourtant, selon nous, se révéler être un biais, et assez rarement souligné dans toutes les recherches, est le fait que la majeure partie des études évoquées sont réalisées auprès d’étudiant-e-s à l’université. La plupart du temps, la population interrogée est âgée en moyenne d’une vingtaine d’années. D’après nous, cela signifie qu’ils et qu’elles sont dans une situation sociale qui nous semble particulière, puisque bien souvent en début d’études. Or, si l’ennui est dit spécifique de l’adolescence, on peut se demander si à vingt ans, bien qu’appelé-e-s jeunes adultes, les sujets de ces études n’ont pas encore également des spécificités de l’adolescence. Il semble donc que la majeure partie des résultats obtenus par l’intermédiaire de la BPS soit à utiliser avec précautions.

On observe également une différence de disposition à l’ennui entre les hommes et les femmes. Les résultats sont assez paradoxaux. Selon les études, on trouve ou non des différences significatives, mais la tendance va plutôt dans le sens d’une disposition à l’ennui plus importante chez les hommes que chez les femmes. La recherche menée par Gana et Akremi (2000) ne met pas en évidence de différences significatives dans la disposition à l’ennui, tout comme McLeod et Vodanovich (1991). En revanche, selon Seib et Vodanovich (1998), les hommes sont plus susceptibles à l’ennui que les femmes, constat confirmé par les recherches de Kass et Vodanovich (1990), Tolor (1989), Sundberg et al (1991) ou encore Farmer et Sundberg (1986). Certaines hypothèses sont avancées, comme par exemple par Sundberg et al (1991) qui constatent que les hommes ont plutôt tendance à invoquer l’ennui, alors que les femmes font plus souvent référence à la dépression. On peut alors imaginer que l’ennui est plutôt réservé aux hommes, et la dépression aux femmes, un peu comme l’était l’hystérie pour les femmes autrefois. D’autres remarques font état d’une plus grande disposition à l’ennui chez les hommes par rapport aux femmes car ils sont plus sensibles à la stimulation externe, et leur score est plus élevé avec le BPS29 avec le facteur stimulation externe. Cela provoquerait alors chez les hommes un plus grand besoin de stimulation et de changement, aussi bien en fonction d’une tâche, que de la vie en général (Watt et Blanchard, in von Gemmingen et al, 2003). L’explication fournie par Dahlen et al (2004) est que selon les facteurs de disposition, les hommes ont un score de disposition à l’ennui plus élevé autour de l’agression physique et verbale, ainsi que la recherche de sensation, ce qui confirme les comportements observés chez les adolescent-e-s (Wasson, 1981).

En effet, on peut penser que le biais qui vient du fait que la majeure partie des recherches sont réalisées auprès de jeunes adultes, qui appartiennent encore au système scolaire, accentue la différence d’ennui entre les hommes et les femmes. On sait que les jeunes étudiantes se conforment très vite au stéréotype qui veut qu’elles soient plus sages, plus studieuses, et qu’elles sont très précocement perçues comme telles par l’environnement social et scolaire (Duru-Bellat, 2004 ; Mosconi, 1994 ; Zaidman, 1996). C’est ce qu’évoquent Shaw, Caldwell et Kleiber (1996) dans leur recherche auprès d’adolescentes et d’adolescents : les filles sont plus préoccupées par le domaine scolaire en général, mais elles sont également sollicitées dans la sphère familiale (par les corvées ménagères par exemple), ce qui laisserait globalement moins de temps à l’ennui en général, dans l’école mais aussi pendant le temps libre.

L’ennui est donc à la fois intrinsèque et extrinsèque, parfois les deux en même temps (Barnett et Kitlzing, 2006). Conformément aux représentations qu’il véhicule depuis des siècles, il est donc social, normal et pathologique, il permet également une distinction entre les groupes que l’on peut qualifier de dominants, même si la particularité de cet ennui dit moderne (Bouchez, 1973 ; Huguet, 1984 ;1987 ; Sparks, in Conrad, 1997 ; Svendsen, 1999) est justement de se vulgariser, et toucher tous les groupes. La psychologie, comme les autres disciplines qui se sont intéressées à ce sujet, n’est pas parvenue à théoriser l’ennui. La plupart des articles traitant de ce sujet soulignent ce paradoxe : objet de sens commun, dans la mesure où tout le monde est en mesure d’évoquer et donner une définition de l’ennui, il n’est jamais complètement théorisé. Farmer et Sundberg (1986) justifient l’absence de compréhension de l’ennui parce qu’il n’existait auparavant pas d’échelles. Nous nous apercevons que même avec des outils de mesure, l’ennui échappe encore à une analyse.

Cela confirme notre hypothèse selon laquelle l’ennui n’est finalement pas un objet de recherche voué à être théorisé, mais un objet qui permettrait aux sociétés, dans une perspective historique, de penser, mais également de créer des normes selon les époques, en fournissant une sorte de grille de lecture, qui s’adapterait et évoluerait. Le champ de la psychologie sociale et particulièrement des représentations sociales semble permettre une lecture originale et différente de toutes les recherches déjà réalisées sur l’ennui, ainsi que de nouvelles perspectives.

Notes
28.

Boredom Proneness Scale

29.

Boredom Proneness Scale.