3-3- Une utilisation stratégique de l’ennui par les acteurs et actrices de l’enseignement ?

3-3-1- L’ennui inverse de la motivation dans l’apprentissage ?

La motivation est récurrente dans les théories issues de la psychologie et de l’apprentissage. On distingue un certain nombre de « théories du développement humain » (Bee et Boyd, 2003) : les théories psychanalytiques (Freud, Erikson) et humanistes (Maslow, Rogers), ainsi que les théories cognitives et de l’apprentissage, alliant à la fois les théories behavioristes et l’imitation sociale. La définition reprise par tous les manuels traitant de la motivation est celle de Vallerand et Thill (2003) qui définissent ce concept de motivation comme : « le construit hypothétique utilisé afin de décrire les forces internes et/ou externes produisant le déclenchement, la direction, l’insistance et la persistance du comportement » (p. 18).

On distingue communément la motivation intrinsèque et la motivation extrinsèque, qui met en évidence non plus une conception homéostasique des besoins biologiques, mais une motivation par renforcement et par l’intérêt pour une activité (Lieury et Fenouillet, 2006 ; Fenouillet, 2005). L’idéal est de produire une motivation intrinsèque dans l’apprentissage, puisqu’il s’agit d’une motivation pour l’activité proposée, la curiosité. Dans le cas d’une motivation extrinsèque, la réalisation d’une tâche dépend de la récompense obtenue, or « le renforcement "tue" la motivation instrinsèque » (Lieury et Fenouillet, 2006, p. 23), d’où cette représentation de la motivation interne à l’individu ou régulée par l’extérieur ou le contexte, par exemple la contrainte ou la compétition, provoquant une baisse de la motivation intrinsèque (Lieury et Fenouillet, 2006).

Broonen (2007) résume les différents courants de recherches issus de la motivation. Il s’agit de : « […] construits fondamentaux des principales théories de la motivation convoqués par la psychologie sociale ou la psychologie de l’éducation et de la formation –locus de contrôle, croyances d’auto-efficacité, motivation intrinsèque et motivation extrinsèque, perspective future, buts, attente-valeur, attribution causale, sens des valeurs, etc. » (p. 4).

Cette énumération met en évidence toute la difficulté à définir la motivation. Dans le champ de l’apprentissage, Viau (2007) définit la motivation scolaire comme : « Un état dynamique qui a ses origines dans les perceptions qu’un élève a de lui-même et de son environnement et qui l’incite à choisir une activité, à s’engager et à persévérer dans son accomplissement afin d’atteindre un but » (p. 7). Au sujet de l’estime de soi : « Plusieurs théories de la motivation "tournent autour" de ce concept avec des mots variés : Murray parle d’"estime de soi", Deci et Ryan de "compétence perçue", Nicholls reprend le terme d’"ego". Ce concept a été élaboré de manière originale par Bandura comme un développement de sa première théorie sur l’anticipation du renforcement » (Lieury et Fenouillet, 2006, p. 53).

Et selon Bandura  (2003) : «Les hommes sont peu incités à agir s’ils ne croient pas que leurs actes peuvent produire les effets qu’ils souhaitent […] L’efficacité personnelle perçue concerne la croyance de l’individu en sa capacité d’organiser et d’exécuter la ligne de conduite requise pour produire des résultats souhaités » (p. 12).

Dans la lignée des travaux de Bandura, Deci et Ryan ont développé le concept d’autodétermination. Un des points communs à ces deux théories est la question du but d’apprentissage (Dweck, 1986, in Viau, 2007). On distingue les buts d’apprentissage et les buts de performance, qui vont orienter les conduites des élèves, aussi bien au niveau des stratégies de résolution de tâche, qu’en termes de représentations par l’élève de la réussite ou l’échec (Cosnefroy, 2004 ; Darnon, Buchs et Butera, 2006 ; Galand, Philippot et Franay, 2006).

« En synthétisant l’effet de compétence perçue (ou auto-efficacité chez Bandura) avec la baisse de la motivation intrinsèque par les contraintes, Edward Deci et Richard Ryan ont proposé la théorie de l’évaluation cognitive. Dans cette théorie, la motivation est une résultante de deux besoins, l’un de compétence perçue et l’autre d’auto-détermination (opposée à la contrainte, au contrôle…) » (Lieury et Fenouillet, 2006, p.63), Cette figure a l’avantage de mettre en évidence qu’il ne s’agit pas d’une opposition intrinsèque/extrinsèque, mais d’un continuum, qui prend en compte à la fois la manière dont se pense l’élève, et le contexte plus ou moins contraignant, qui régulent la motivation. Pour autant, ce modèle, comme le souligne Viau (2007), laisse supposer qu’il faut diriger les élèves vers une motivation intrinsèque, ce qui ne semble pas toujours réalisable en contexte scolaire. Par exemple, on peut se demander si le système scolaire, essentiellement basé sur une évaluation sommative, ne casserait pas la motivation intrinsèque ; ou que l’école par son aspect obligatoire, n’accentuerait donc pas le sentiment de contrainte (Lieury et Fenouillet, 2006). La plupart du temps, dans les travaux traitant de la motivation, l’ennui est assimilé à un manque de motivation (Bourgeois et Galand, 2006 ; Leloup, 2003 ; Nizet et Hiernaux, 1984). Mais l’ennui n’appartient à aucun modèle de la motivation explicitement ; et inversement, les recherches sociocognitives sur l’ennui ne font pas référence aux modèles de la motivation, exception faite de Lieury et Fenouillet (2006), entre l’ennui et le modèle de la motivation de Deci et Ryan. Dans ce modèle, l’ennui est un équivalent de l’amotivation ou comportement de résignation, encore différent de la démotivation. En effet, l’amotivation est une absence de motivation, alors que la démotivation, en termes de temporalité, laisse la possibilité d’une « re-motivation », qu’elle soit intrinsèque ou extrinsèque, puisque les deux ont leur importance.

Lieury et Fenouillet (2006) ont mis en évidence qu’il n’y avait pas de corrélation entre la réussite scolaire et l’ennui. Pourtant, comme le souligne Leloup (2003), ils dégagent des « typologies d’élèves » en fonction de la théorie de Deci et Ryan. On trouve « le nul » défini ainsi : « Le nul, le cancre, n’a plus de motivation, il est amotivé, résigné, résultats d’échecs à répétitions dans un contexte de contrainte d’où il ne peut s’échapper, l’institution scolaire. » (Lieury et Fenouillet, 2006, p. 137).

En positionnant l’amotivation, l’ennui et le « nul » se situent au même endroit, cela laisse donc entendre qu’ils établissent un lien entre échec scolaire, amotivation et ennui. Ce qui conduit Leloup (2003) à poser la question suivante : « L’ensemble des élèves qui obtiennent des résultats médiocres, et qui sont pourtant obligés de se rendre à l’école s’ennuyent-ils vraiment tous ? ». Elle complète : « [qu]’il faut reconnaître que pour ces deux auteurs, la motivation n’influence pas directement la performance de l’élève mais agit plutôt sur d’autres composantes qui, elles, influencent plus directement sa performance. La relation entre la motivation et la réussite de l’élève est difficile à analyser, car elle pose un certain nombre de problème » (p. 108).

Nous adhérons à ses propos, eux-mêmes confirmés par le nombre croissant de travaux sur l’ennui en contexte éducatif, comme nous l’avons précédemment évoqué. C’est également pour cette raison qu’étudier l’ennui sous le prisme des représentations sociales nous semble pertinent, car il offre une nouvelle approche, qui répond au constat initial issu du sens commun et que tout un chacun peut expérimenter dans la vie quotidienne lorsque l’on évoque l’ennui à l’école : chacun a un avis, ou a une « théorie naïve », et bien souvent un témoignage personnel. De même, il est rare d’entendre un élève dire qu’il est démotivé (encore moins amotivé), et ce d’autant plus si l’élève est jeune, en revanche il va plutôt dire qu’il s’ennuie. C’est donc bien qu’il y a des enjeux, et une utilisation de ce terme qui, nous nous sommes attachée à le démontrer, est dialogique et déclinée dans le domaine éducatif autour des notions de l’inné avec le don et d’acquis, termes qui posent problème dans l’école et l’apprentissage. On peut donc se demander dans quels contextes et par qui est sollicité l’ennui.