5-3- Conclusion : quelles représentations de l’ennui ?

5-3-1-Les grands champs d’oppositions

Nous l’avons souligné précédemment, lorsque les enseignant-e-s décrivent leurs élèves qui s’ennuient en classe, ils et elles qualifient dans un même discours des comportements scolaires à la fois dans la passivité et l’activité, même s’il nous paraît important de bien préciser qu’en définitif, la finalité est identique en termes de désengagement, ainsi que de comportement « déviant » de la norme scolaire. Cette première forme d’opposition dans les discours, partagée par le corps enseignant en général, confirme notre hypothèse selon laquelle il existe bien un champ structuré et structurant, qui permet de qualifier des comportements scolaires, qui justement ne rentreraient pas dans des « patrons », ou des types. Cela nous semble renforcé par la question de l’intérêt, qui ressort encore très nettement dans cette recherche. Or, évoquer l’intérêt fait référence à un système d’explication, en termes de stratégies, instable, mais surtout non évaluable puisque personnologisant, contrairement à la motivation, où il est proposé des outils diagnostic (Viau, 2007). L’ennui prend alors sens pour qualifier des situations « hors normes » scolaires.

L’ennui incomberait dans une certaine mesure à l’élève, notamment du fait d’un comportement passif, inactif, ou inversement d’un bavardage, ou du chahut. Cependant, en termes d’explication, on peut dégager la problématique du sens des apprentissages. C’est une autre manière de se désengager, en faisant référence à un degré supérieur, auquel ils n’auraient pas accès.

Nous pouvons noter qu’il y a un certain consensus en termes de représentations lorsque l’on évoque la thématique de l’ennui, autour d’une description relativement « universelle », tout comme l’était la description des manifestations dans la première étude. C’est-à-dire qu’il n’intervient pas dans ce cas de variables spécifiques.

Ce n’est pas le cas dans la zone dite « périphérique », où les positions scolaires des élèves sont invoquées. Les enseignant-e-s associent l’ennui à la très forte réussite scolaire (surdoué), ou la réussite plus généralement (en avance), ainsi qu’aux difficultés scolaires (difficultés, décrochage). L’ennui qualifie alors les positions extrêmes d’élèves dans la classe. En termes de rang, on peut noter que les élèves en difficulté sont évoqués, puis le cas de ceux en avance. Ensuite, on trouve surdoué puis décrochage, qui semblent cette fois qualifier non plus des phénomènes qui pourraient s’avérer ponctuels, mais des postures scolaires plus figées. Que les difficultés soient soulignées en premier est conforme aux remarques formulées par Gosling (1992) qui constate que lorsque l’on interroge de manière général des enseignant-e-s sans évoquer le niveau scolaire, ils et elles décrivent d’abord les élèves en situation d’échec scolaire. C’est également le cas de l’ennui, d’abord en termes de manque, dans ce cas d’intérêt, et ensuite en termes de difficultés.

Mais, et il nous paraît extrêmement important de le souligner, la particularité de l’ennui est justement ce constant aller/retour, cet entre-deux, qui contre-balance un aspect par un autre. L’ennui qualifie donc bien les élèves plutôt en difficulté scolaire, mais aussi ceux qui ont un « don », et même « sur-doués ». C’est ce que Leloup (2003) appelle « le mythe de l’enfant précoce », qui renvoie à « l’idéologie du don » de Bourdieu et Passeron dans les années 60, inscrivant alors l’ennui dans un système essentialiste, qui pose problème en contexte éducatif. Comme nous l’avons développé (chapitre 3), en termes d’attribution, faire référence au don lorsque l’on évoque l’ennui, c’est le penser comme une donnée stable et non contrôlable. Nous dégageons donc dans le discours des enseignant-e-s une représentation de l’ennui oscillant entre l’inné et l’acquis, en lien avec la temporalité, c’est-à-dire un désengagement plus ou moins ponctuel.