6-3- Conclusion : l’ennui des élèves

6-3-1- Un ennui contextuel et positionnel

Il nous semble important de repréciser que ces différents résultats s’inscrivent dans une démarche exploratoire, c’est-à-dire qu’ils sont à considérer et utiliser comme allant dans le sens de nos hypothèses, et non comme confirmation d’hypothèse. En effet, ces résultats nous offrent un certain nombre de piste à exploiter, mais avec toute la prudence qu’implique une démarche inversée, puisqu’initialement cette recherche n’avait pas pour objet d’étudier le phénomène de l’ennui.

Pour autant, un certain nombre de points dégagés nous confortent dans notre problématique générale et nos hypothèses. Le premier point qui ressort de cette recherche, et qui nous semble le plus important, est que l’ennui est significatif pour les élèves. D’abord en termes de sens, puisqu’ils et elles l’utilisent ; et également en termes stratégiques, puisqu’il est sollicité dans des contextes et des situations assez variées. Cela confirme donc notre hypothèse générale selon laquelle l’ennui consiste en un système de représentations opposées qui structurent ce champ, et dans lequel l’individu va piocher, en fonction justement de variables contextuelles, c’est-à-dire selon les représentations des matières scolaires et leurs enjeux, mais aussi de variables positionnelles, selon le sexe et le niveau scolaire.

Il est porteur de sens dès l’école primaire pour les élèves, qui sont toutes et tous en mesure d’évaluer leur ennui (à l’exception, comme nous l’avons mentionné, de 24 élèves qui n’ont pas répondu, mais dans la plupart des cas ils ou elles n’ont pas répondu au questionnaire dans sa globalité). Pour autant, nous devons également noter que les élèves qui ont répondu ne s’ennuient globalement pas ou moyennement à l’école.

Nous nous sommes penchée sur les variables du sexe de l’élève, et de l’habillage de la tâche, et nous avons constaté que selon ces variables, non seulement l’ennui mais également les performances des élèves variaient. C’est donc, selon nous, là encore un indice nous confortant dans la perspective d’un ennui qui serait le produit d’une construction sociale, véhiculée, transmise et activée dans l’école, et ce, dès l’école primaire.

Comme nous l’avons observé, les garçons déclarent plus s’ennuyer que les filles. Que l’on se réfère aux travaux attestant d’une différence ou non, nous pouvons constater qu’il y a donc une intégration dès l’école primaire d’une différence dans les formes d’attribution de l’ennui, selon la variable du sexe. Nous l’avons souligné, cela s’expliquerait par le fait que les garçons auraient plus de facilité à dire qu’ils s’ennuient que les filles (Sundberg et al., 1991). Or, en contexte scolaire, cet effet de l’ennui peut apparaître renforcé par les stéréotypes filles/garçons. Les filles considérées comme travailleuses et studieuses (Duru-Bellat, 2004 ; Mosconi, 1994 ; Zaidman, 1996) invoqueraient moins l’ennui que les garçons.

En effet, soit l’ennui est considéré dans le système scolaire comme contre-productif à la réussite scolaire, en provoquant l’échec scolaire, l’absentéisme, la violence, et plus généralement les comportements déviants de la norme scolaire (Chapitre 2) ; soit à l’inverse, il fait partie du processus d’apprentissage, et donc est inhérent au système scolaire (Chapitre 3). Quel que soit l’argument avancé (on retrouve dans ces positions les deux pédagogies de l’intérêt et de l’exercice (Meirieu, 2003), il semble alors plus difficile pour une fille définie comme « studieuse » et « scolaire » d’utiliser l’ennui, qualifiant dans un cas des comportements hors norme scolaire, où alors dans l’autre cas, des comportements qui seraient jugés « normaux » car conformes aux attentes de l’école.

Nous avons également observé un effet de l’habillage de la tâche, à la fois dans la réalisation d’une tâche, en termes de performance (résolution des énigmes), et dans l’appréciation que les élèves font de l’ennui une fois la tâche réalisée. Conformément aux nombreuses recherches traitant de l’habillage de la tâche, les élèves garçons et filles, déclarent moins s’ennuyer en mathématiques qu’en français. Cela n’a rien d’étonnant, en effet toutes les recherches traitant de la hiérarchie des matières scolaires (Lieury et Fenouillet, 2004 ; Monteil, 1988 ; Morin, 1997 ; Mugny et Carugati, 1985), et plus largement, dans le système éducatif, les mathématiques, et les matières scientifiques sont en haut de cette hiérarchie, et sont considérées comme un critère de réussite. Dans la mesure où les mathématiques sont considérées comme la matière d’excellence, il vaut mieux dire que l’on ne s’ennuie pas. A l’inverse, le fait de déclarer un plus fort ennui en français confirme également les représentations de cette matière, moins valorisée (Aebischer, 1995 ; Archer et Macrae, 1991).

Ces quelques résultats sont conformes à notre hypothèse selon laquelle il existerait une variable d’ordre contextuel et social dans la sollicitation de l’ennui en contexte scolaire, puisque l’on observe une variation selon l’habillage de la tâche, et les enjeux véhiculés par les matières scolaires.

Si l’on observe les effets de l’habillage de la tâche en fonction du sexe de l’élève, nous l’avons évoqué, les garçons comme les filles, s’ennuient plus en habillage français. Par contre, les garçons s’ennuient le moins en habillage mathématiques, alors que chez les filles c’est en habillage jeu. Comme nous l’avons évoqué, à la lumière du stéréotype prégnant qui veut que les filles soient plus « scolaires », on aurait pu s’attendre à ce que l’habillage jeu, sans forcement provoquer de l’ennui, soit dans la hiérarchie des matières provoquant de l’ennui après l’habillage français, qui est une matière scolaire. Les filles se conforment donc plutôt à la logique scolaire, non pas à entendre en termes de matières scolaires, nous le constatons par l’intermédiaire du jeu, mais de la hiérarchie soulignée au sein des matières scolaires en termes d’opposition français vs mathématiques. Ce rapport au jeu pose question dans le champ éducatif.