7-3- Conclusions : des représentations différenciées de l’ennui

7-3-1- Les élèves ennuyé-e-s en réussite vs difficulté scolaire

Ce premier niveau de comparaison, entre un profil d’élève en difficulté scolaire, et un profil en réussite scolaire, avec un commentaire identique autour de l’ennui est un référentiel d’attribution causale. En effet, il est soit fait référence à l’élève et sa personne, ses traits de caractères, ses particularités au niveau cognitif, soit en termes plus pédagogiques et scolaire, autour des compétences acquises, non acquises ou en voie d’acquisition, selon le relevé proposé ; soit des raisons institutionnelles. C’est-à-dire que lorsque l’on interroge des enseignant-e-s quant à la description d’un ou une élève, cela induit pour eux de trouver dans une certaine mesure des explications. En classant en fonction des trois critères d’explication (interne/externe, stable/instable, contrôlable/incontrôlable)73, se dégagent le profil et les représentations que les enseignant-e-s ont d’élèves en réussite scolaire et s’ennuyant, l’ennui étant récurent et se situant dans les premiers rangs, en zone centrale.

Tableau 29 : Traits centraux et périphériques en réussite scolaire (garçons et filles)
  Interne Externe
Stable Modifiable Stable Modifiable
zone centrale Contrôlable bon élève ; scolaire ; sérieux ; travailleur   compétences globales acquises bons résultats
Incontrôlable intelligent ; polyvalent ; complet ; littéraire      
zone périphérique Contrôlabe homogène ; assidu ; dans les apprentissages concentration ; manque motivation ; passivité ; inattentif pas difficulté particulière  
Incontrôlable   distrait ; étourdi    

On distingue très clairement que l’ennui et la réussite sont liés à l’élève, car les termes qui sont associés sont majoritairement internes. Cela signifierait alors que selon le corps enseignant les élèves sont responsables de leur réussite. Il est peu fait référence aux points forts des élèves, si ce n’est par l’intermédiaire du terme « littéraire », mais qui ne met pas en avant des points forts ou des acquis, mais plutôt dans une dynamique innéiste. L’ennui induit en position de réussite scolaire est donc bien assimilé à un caractère proche de l’innéisme, dans la mesure où il s’agit principalement de traits internes à l’élève, et incontrôlables.

Tableau 30 : Traits centraux et périphériques en difficulté scolaire (garçons et filles)
  Interne Externe
Stable Modifiable Stable Modifiable
zone centrale Contrôlable en difficulté manque motivation beaucoup compétences Non Acquises difficulté ; en retard
Incontrôlable difficulté d'abstraction rêveur    
zone périphérique Contrôlabe pas scolaire passivité EPS point fort ; lecteur  
Incontrôlable   distrait ; étourdi ; désintérêt ; discret    

En contexte de difficultés scolaire, les termes les plus récurrents et les plus cités spontanément sont à la fois internes et externes. En effet, les enseignant-e-s qualifient non pas l’élève comme « personne », avec des traits, comme c’est le cas en réussite scolaire, mais plutôt sur ces compétences scolaires, les acquisitions ou non. On peut donc dire qu’il s’agit plutôt de termes issus, selon nous, du versant pédagogique et scolaire. Lautier (2001) résume ainsi les travaux de Gosling au sujet de la responsabilité de l’échec scolaire  : « […] si l’attitude face à la réussite peut être pédagogique, face à l’échec la réponse est d’ordre "idéologique". Le sentiment d’impuissance est donc fortement répandu » (p. 58). En cas d’échec scolaire, il est fait référence à l’idéologie, dans la mesure où les causes sont imputables à l’élève ou la société. Mais nous pensons plus précisément que faire référence à des traits de personnalité est plus proche de l’idéologie ; et que faire référence aux compétences scolaires, aux acquis, est plus proche de la pédagogie. L’ennui, de par son aspect dialogique, permet alors de faire bouger les représentations. Ces résultats vont dans le sens de nos hypothèses faisant état d’une opposition véhiculée historiquement autour de l’inné et l’acquis. Une forte réussite liée à l’ennui serait donc plutôt attribuée à des aptitudes intellectuelles indépendantes de l’enseignant-e (intelligent, complet…). A l’inverse, les attributions en cas de difficulté sont en lien avec les acquisitions scolaires (beaucoup d’acquisition NA ou EPS point fort). Ces résultats semblent également dûs au fait que les enseignant-e-s interrogé-e-s répondent suite à la lecture d’un relevé issu d’un ou une élève qu’ils et elles ne connaissent pas. Or, un certain nombre de recherches font état d’une attitude défensive de la part du corps enseignant en termes d’attribution et d’explication lorsqu’il s’agit de décrire ses propres élèves (Gosling, 1992).

Notes
73.

Afin de classer les différents termes cités, nous nous sommes basée sur les exemples et les classifications réalisées par Viau (2007) et Gosling (1992), qui se sont eux-mêmes inspirés des théories de Weiner sur l’attribution de l’échec et la réussite scolaires. Nous soulignons de nouveau le caractère non figé de ce type de classification, également évoqué par les auteurs. On distingue selon les exemples fournis : stratégies d’apprentissage (interne, stable, contrôlable) ; aptitudes intellectuelles, capacités (interne, stable, incontrôlable) ; efforts (interne, modifiable, contrôlable) ; traits personnels, maladies (interne, modifiable, incontrôlable) ; programme scolaire (externe, stable, contrôlable) ; niveau de difficulté (externe, stable, incontrôlable) ; perception enseignant (externe, modifiable, contrôlable) ; humeur de l’enseignant, difficultés tâche (externe, modifiable, incontrôlable).