8-3- Implications pédagogiques et didactiques de modèles d’élèves s’ennuyant en classe

8-3-1- Prédiction et remédiation : quelles différences et quelles conséquences

Si l’on se penche sur les prédictions formulées, il faut d’abord noter qu’en fonction des variables signalétiques, on distingue trois grandes représentations : les garçons en difficulté, les filles en difficulté et les « élèves » en réussite. Au sein de ces trois grands systèmes représentationnels, différentes prédictions sont formulées. On observe par exemple que l’inscription dans le temps du relevé de notes est différent selon qu’il s’agit d’un garçon ou d’une fille, et ce quelle que soit sa position dans l’espace scolaire. On constate que les enseignant-e-s ont plutôt tendance à positionner ce bulletin de 1er trimestre de fin de cycle dans l’ensemble du Cycle 3, c’est-à-dire à le mettre en lien avec le CE2 et le CM1, voire la scolarité en général d’une fille, en faisant référence à des bases non acquises en cas de difficultés, aux compétences et à un bon niveau en réussite. Dans le cas des garçons, en position de réussite, il est par exemple fait référence à la période, et en difficulté à l’année de CM2. En termes de prédiction, cela met en avant le fait que les enseignant-e-s ont un traitement différencié de l’outil d’analyse qu’est le relevé de notes. Cela interroge alors un champ que nous avons jusqu’à présent peu évoqué, mais en lien avec les représentations véhiculées par les enseignant-e-s, autour de l’évaluation. En effet, cette question relative à la prédiction est très proche d’une évaluation pour l’année de l’élève, et ce en fonction du début d’année. Les recherches de Jarlégan (1999) sur l’évaluation des résultats scolaires, traitant également d’élèves de CM2, ne font pas état d’une grande différence entre les élèves filles et les élèves garçons, si ce n’est le stéréotype des filles plus scolaires, ayant besoin de fournir plus d’efforts que les garçons (remarques que nous avons également retrouvée dans la recherche précédente). Dans ce cas, il ne s’agit pas tant de stéréotypes très marqués selon le sexe de l’élève, mais plutôt d’une perspective temporelle, ou de projection de la part des enseignant-e-s.

Mais cela peut alors avoir des conséquences tant en termes de remédiations, que de suivi des élèves. C’est par exemple ce que l’on a pu mettre en évidence en cas de réussite scolaire lorsqu’il s’agit de filles. On distingue de la part des enseignant-e-s une différenciation genrée, axée vers la responsabilité, et donc dans une certaine mesure la question du contrôle de la part de l’élève. Cela conduit les enseignant-e-s à plus de vigilance lorsqu’il s’agit d’une fille en réussite. On note également une différenciation selon le sexe de l’élève en contexte de difficulté scolaire, comme nous l’avons mis bien en évidence avec deux remarques pratiquement identiques. La différence en termes d’explications illustre bien que même dans le cas de prédictions identiques (dans cet exemple une année longue), les conséquences sont la mise en place de remédiations différentes.

Et c’est bien ce que l’on constate à la question suivante, spécifiquement relative aux remédiations. On aurait pu s’attendre à trouver les trois axes représentationnels que nous venons de dégager ; ou bien à une différenciation selon le sexe induit de l’élève puisque l’inscription temporelle est différente. Or, on dégage par l’intermédiaire de cette seconde question d’abord deux grands profils en fonction de la position scolaire des élèves, avec deux grands types de remédiations évoquées : le travail en cas de réussite et la différenciation en cas de difficulté. Puis, il se dégage ensuite quatre profils, en fonction toujours de la position des élèves, et également du sexe de l’élève.

En cas de réussite, les remédiations sont différentes : axées vers la responsabilisation des garçons, avec le tutorat ; alors que la prise en charge est plus autonome et scolaire pour les filles, par l’intermédiaire d’exercices.

En cas de difficulté, les remédiations sont assez individualisées pour les garçons, alors que lorsqu’il s’agit des filles, nous l’avons souligné, le terme de remédiation est explicitement évoqué, et dans certains cas il est même préconisé de faire appel au RASED. On peut alors penser que pour les enseignant-e-s, une fille en difficulté l’est « plus » qu’un garçon, au regard des outils et moyens employés. Cela laisse entendre qu’une fille en difficulté pose plus de souci dans le cadre scolaire qu’un garçon, en termes de prise en charge. Au niveau de la responsabilité des enseignants, on peut donc dire que face à une fille en difficulté, il y a une sorte de déresponsabilisation de la part des enseignant-e-s. En effet, comme l’illustre Gosling (1992), on distingue dans le cas de la réussite et de l’échec différents profils. Par rapport aux remédiations les plus fréquemment proposées en fonction des occurrences dans les réponses fournies par les sujets, nous avons également mis en évidence plusieurs profils, mais qui pourraient être expliqués par les représentations genrées des élèves. En effet, si l’on reprend le diagramme de Gosling (1992) qui illustre les oppositions réussite et échec scolaire, on pourrait le compléter avec un niveau supplémentaire qu’est la variable du sexe de l’élève.

Figure 16 : Diagramme illustrant les oppositions réussite et échec scolaire selon le sexe de l’élève (inspiré du modèle de réussite vs échec scolaire (Gosling, 1992)
Figure 16 : Diagramme illustrant les oppositions réussite et échec scolaire selon le sexe de l’élève (inspiré du modèle de réussite vs échec scolaire (Gosling, 1992)

En effet, la variable réussite vs échec est identique (dans le diagramme de Gosling, la réussite est extrême ou moyenne, et en échec moyen ou extrême). Dans notre cas, au niveau des prédictions et des remédiations, on distingue bien une différence de représentations qui s’opère dans le cas de la réussite autour du « modifiable vs non modifiable », qui fait référence à une sorte de stabilité et de risque. Lorsque les sujets commentent le relevé d’une fille, ils font référence aux risques de démotivation, de démobilisation etc. qui pourraient alors conduire à l’échec ou à des difficultés scolaires. Cette réussite est alors dans une certaine mesure modifiable, ou en tout cas peu stable. Lorsqu’il s’agit d’un garçon, il est plutôt fait référence, comme nous l’avons noté, à des pistes d’explications intrinsèques à l’élève, donc dans une perspective moins modifiable.

Mais cette « variable genrée » qui ferait basculer les types de raisonnement à l’intérieur même d’une catégorisation clairement identifiée comme réussite vs difficulté scolaire, est encore plus forte lorsque l’on est en contexte d’échec ou de difficulté scolaire, et dans les choix d’outils de remédiation. L’échec est plutôt imputable à l’élève garçon, en tant qu’individu, ce qui conduit alors l’enseignant-e à proposer des exemples, à mettre en place des choses, du travail etc. Dans le cas d’une fille, il s’agirait de la société en général (comme le met bien évidence l’occurrence du terme parents), voire d’un problème plus « psychologique » avec le RASED.

On peut donc dire que le sexe de l’élève est un biais évaluatif dans la prédiction, et notamment dans la prise en charge des élèves selon le niveau scolaire, ce qui semble assez logique. Mais l’effet de variation des remédiations, une fois la différence réalisée sur le niveau scolaire, s’accentue ensuite selon le sexe des élèves, ce qui par contre pose problème. En effet, cette différenciation, alors que les données permettant d’évaluer cet-te élève fictif ou fictive sont strictement identiques, nous offre des clefs permettant ensuite de comprendre les transmissions différenciées dans l’école. Même s’il existe une représentation d’abord axée sur le niveau scolaire des élèves, il se dégage de façon sous-jacente une autre distinction genrée, autour de traits de personnalité, mais également relatifs à des compétences et des qualités intrinsèques et extrinsèques, en lien avec ce que nous avons mis en évidence dans la recherche précédente.