8-3-3- Des refus argumentés, reflets des représentations de l’ennui en échec scolaire

Nous observons assez nettement que lorsque l’on demande à des Professeur-e-s des Ecoles de décrire le relevé d’un ou une élève de CM2, il se dégage des profils assez spécifiques. Dans la première partie, qui est la plus neutre, puisqu’il s’agit moins de commenter et juger que d’inférer des traits de manière spontanée et libre (nous n’avons pas proposé d’items à choisir ou classer), nous avons vu se dessiner des profils d’élèves en fonction des variables positionnelles (voir Chapitre 7). Dans cette seconde partie du questionnaire, le sujet est dans une position où il commente un relevé, mais il juge également dans une certaine mesure un ou une collègue. Les deux premières questions proposées sont relatives à la description des élèves, et les deux dernières amènent plutôt à un positionnement par rapport à ce ou cette collègue au niveau du commentaire.

Comme nous l’avons signalé au début de cette étude (Chapitre 7), nous n’avons pas traité un certain nombre de relevés qui nous semble néanmoins assez révélateurs à la fois de l’incompréhension de l’ennui que nous venons de mettre en évidence, et qui provoque alors une série de réponses assez « agressives » ou dans le refus.

Il est intéressant de noter que ces relevés concernent exclusivement des élèves en difficultés, et que tous les sujets ont refusé de répondre à la première question autour de cinq termes pour décrire l’élève, mais tout en fournissant une réponse argumentée, à la fois pour cette question, mais également pour les suivantes :

Encadré 12 : Refus argumenté de décrire un élève par 5 termes
- « Comment peut-on décrire un élève à partir d’une grille standard et sans connaître l’enfant ? » (Sujet A)

- « On ne peut pas décrire un élève uniquement à partir de ce genre de document. » (Sujet B)

- « Je ne peux pas décrire cet élève, je ne connais pas son contexte familial et son contexte scolaire. Les évaluations ne révèlent pas forcément les réelles compétences des élèves. L’a-t-on évalué de façon continue ou ponctuelle ? Pleins de questions qui ne permettent pas de décrire objectivement l’élève. » (Sujet C)

- « Cette question semble ne pas avoir de réponse. Comment décrire un élève à partir d’un relevé de compétences, sans avoir vu les évaluations proposées, son passif (peut-être absent…) » (Sujet D)

- « Je ne sais pas je ne peux pas m’exprimer sans connaître l’élève. En plus je vais être conditionnée par les réponses de la maîtresse. » (Sujet E)

- « Jusqu’à preuve du contraire on évalue le travail, les compétences d’un élève, on ne le qualifie avec des adjectifs (cf. une année de formation PE2). » (Sujet F)

La question des « prédictions » provoque aussi un certain rejet. Nous précisons ici que ce type de question n’a rien d’isolé dans leur pratique professionnelle, et que la formulation de la question n’a pas provoqué de réponse de ce type pour les 249 autres sujets. Au regard des commentaires, et en ne perdant pas de vue qu’il s’agit d’élèves en difficulté, il s’agirait plutôt pour ces sujets ne pas « prédire » une année difficile pour l’élève :

Encadré 13 : Refus de prédire l’année scolaire
- « En cette période de l’année aucune prédiction n’est à faire en ce qui concerne un enfant. Si l’on commence des prédictions en octobre à quoi servons-nous, nous les enseignants ? » (Sujet A)

- « Il semble plus intéressant de prédire l’année scolaire de l’enseignant qui devra s’attacher à différencier (peut-être) son enseignement pour cet élève, et mettre en place (si son évaluation était adaptée) un programme pour cet élève. Si on pouvait prédire son année scolaire, alors autant passer directement à l’année suivante et ainsi de suite. » (Sujet D)

- « Non, je ne fais pas de « prédiction » sur les élèves. Je ne suis pas devin et je m’adapte à l’élève et je veux penser qu’il n’y a pas de déterminisme dans ma manière d’agir et dans celle des élèves. » (Sujet E)

- « Les prédictions étant le privilège des voyants, je peux seulement supposer que cette élève aura des difficultés pour l’année. Il n’existe pas de déterminisme scolaire qui me permette de l’affirmer, elle peut donc (avec l’aide de l’enseignant ou non) rentrer dans les apprentissages et progresser. » (Sujet F)

Enfin, le jugement est assez sévère envers l’enseignant-e au niveau du commentaire, s’il n’a pas déjà été souligné dans les autres questions :

Encadré 14 : Commentaire de l’enseignant-e
- « Qu’il n’a pas compris grand chose à l’enseignement et la relation aux élèves. » (Sujet A)

- « Plein de choses, je ne connais pas l’élève. Par contre, il prouve que l’enseignant(e ) ne s’interroge pas ou peu sur son comportement. » (Sujet C)

- « Il juge, ne donne pas de conseils, de solutions, d’encouragement. Ne donne pas les points positifs (il y en a toujours !). Pour moi ce commentaire signifie que ce PE s’intéresse peu à cette élève (pas de valorisation…) » (Sujet E)

Il s’agit ici de cas isolés, mais qui nous semblent bien éclairer les autres remarques et problématiques dégagées à travers le traitement du corpus global. En effet, il nous apparaît qu’un premier facteur explicatif est la variable positionnelle, qui se trouve être la plus puissante, car il s’agit d’élèves en difficulté. De manière plus générale, les élèves en difficulté sont plus « problématiques » que les élèves en réussite. Un second point, autour de la responsabilisation de l’enseignant-e met bien en avant le besoin des sujets de se distinguer des commentaires. Enfin, concernant le cas spécifique de l’ennui, deux sujets explicitent leur incompréhension :

Encadré 15 : Incompréhension de l’ennui
- « Non applicable » (Sujet B)

- « ? » (Sujet F)

Les autres commentaires illustrent parfaitement la complexité du phénomène d’ennui en cas de difficulté scolaire :

Encadré 16 : Réponses à l’ennui d’élèves en difficulté
- « Si son enseignement est à la hauteur de son appréciation générale, je pense que je m’ennuierais aussi. » (Sujet A)

- « Il peut y avoir plein de raisons :
- niveau scolaire trop élevé
- niveau scolaire trop bas
- problèmes qui le préoccupent trop pour se plonger dans les apprentissages » (Sujet C)

- « D’après les infos, on ne peut pas savoir pourquoi il s’ennuie. Ce n’est pas avec une évaluation aussi peu précise et uniquement cela que l’on peut se faire une idée sur un élève. » (Sujet D)

- « Peut-être pas d’intérêt, d’implication, problème de compréhension de l’écrit ? » (Sujet E)

On peut dire que l’on a cinq pistes de justification de l’ennui. D’abord l’incompréhension de l’ennui, que l’on a également constatée lorsque les sujets ont répondu au questionnaire. Ensuite une remise en question de l’enseignant-e, de ses compétences professionnelles. La position scolaire de l’élève est soulignée, et particulièrement éclairante sur les représentations dichotomiques de l’ennui avec le Sujet C, qui évoque soit un niveau scolaire trop élevé, soit trop bas, alors qu’il s’agit d’un relevé d’élève en difficulté. L’outil d’évaluation en lui-même est sollicité, et enfin, des raisons plus relatives à l’élève, allant de l’intérêt intrinsèque à la compréhension de l’écrit, donc sur des aspects scolaires sont évoquées.

Afin de clarifier les différents axes représentationnels qui se dégagent, à la fois sur un versant proche d’une pensée de type informative, et sur un second versant d’une pensée représentative (Clémence et Green, 2006 ; Moscovici et Hewstone, 1984), afin de dégager un modèle explicatif général de l’ennui en contexte éducatif, nous allons donc analyser les données recueillies cette fois en s’appuyant sur les co-occurrences du corpus.