9-3-3- Analyse par triangulation des résultats obtenus

Si l’on reprend les conclusions dégagées par l’intermédiaire des deux analyses (ce chapitre et le précédent), on retrouve un même système d’explication, ou de compréhension dichotomique qui, nous l’avons souligné, va même jusqu’à entrer en complète contradiction. Lorsqu’il s’agit pour les enseignant-e-s de faire une prédiction, nous avons dégagé par l’intermédiaire de l’analyse des occurrences trois voies de prédictions que l’on peut résumer ainsi :

Figure 23 : Les voies représentationnelles de prédiction
Figure 23 : Les voies représentationnelles de prédiction

La distinction réalisée lorsqu’il s’agit d’élèves en difficulté scolaire a des conséquences, nous l’avons vu, au niveau des remédiations proposées. Mais c’est également le cas lorsqu’ils et elles sont en réussite scolaire, dans un second temps. Il y aurait donc également différents types de remédiations : en réussite vs en échec, et ces deux constats sont ensuite envisagés selon le sexe de l’élève :

Figure 24 : Des remédiations variables
Figure 24 : Des remédiations variables

En dégageant ces quatre profils en termes de remédiation, on retrouve bien les stéréotypes véhiculés dans le monde scolaire. La responsabilisation du garçon en réussite présuppose une stabilité et une maîtrise des acquisitions scolaires suffisante pour venir en aide aux autres, notamment avec le tutorat. Lorsqu’il s’agit d’une fille, également en réussite, il semble que cela soit bien moins stable, et qu’il faille entretenir les acquis, par l’intermédiaire du travail en autonomie, des exercices. En contexte de réussite se trouvent activées les représentations genrées relatives au masculin et au féminin pour trouver une remédiation adaptée.

Lorsqu’il s’agit d’élève en difficulté, cette fois-ci le raisonnement est fondé sur des représentations plutôt idéologiques : l’individualisation pour les garçons, impliquant donc l’élève et les acteurs extérieurs à la classe pour les filles. Là encore, le fait qu’il s’agisse d’un garçon ou d’une fille induit cette différence de remédiation.

Avec la seconde analyse, cette fois sur le corpus global, on trouve également trois représentations de l’ennui en fonction des variables étudiées, que l’on pourrait résumer ainsi :

Figure 25 : Trois représentations de l’ennui en contexte scolaire
Figure 25 : Trois représentations de l’ennui en contexte scolaire

Au même titre que dans l’analyse des occurrences, lorsqu’il s’agit d’une fille en réussite scolaire, il est question d’instabilité : il faut rester vigilant, et une distinction est réalisée en termes d’acquisition et de facilités, degré supérieur aux acquisitions, sur lequel l’enseignant-e n’a alors pas prise. C’est également ce qui ressort des traits caractéristiques d’élèves en réussite, d’aptitudes non contrôlables.

Ces différents résultats mettent en évidence que la première information prise en compte, et cela est tout-à-fait logique, est le niveau scolaire de l’élève. Ce qui l’est beaucoup moins en revanche, est l’effet dans un second temps du sexe de l’élève, qui fait varier à la fois les remédiations proposées, mais aussi des aspects plus pédagogiques et didactiques. Cependant, il paraît difficile de mesurer l’impact de l’ennui dans ces différentes différenciations. C’est pour cette raison que nous avons explicitement posé la question de l’ennui, après un certain nombre de questions plus « générales ».

Et que ce soit dans le traitement spécifique de cette dernière question, ou dans la place qu’occupe le terme « ennui » dans les autres questions et les traits attribués par les enseignant-e-s en fonction du relevé de notes, on prend alors toute la mesure de la dialogie, mais également de l’utilisation dans le champ scolaire de l’ennui.

En effet, on trouve, toutes variables confondues en termes de rang : bon élèveen difficulté puis s’ennuie. Cela confirme donc bien que ce terme, malgré les nombreuses critiques émises par la suite notamment sur la question relative au commentaire, est signifiant.

Lorsque l’on décompose les traits attribués selon les variables induites, pour les garçons en difficulté on a : en difficulté, s’ennuie et ennui ; pour les filles en difficulté : en difficulté, difficulté et ennui ; pour les garçons en réussite : bon élève et s’ennuie ; pour les filles en réussite, on note l’absence d’ennui.

L’ennui est donc significatif, en réussite ou en difficulté scolaire, sauf dans le cas de réussite des filles. On note également que s’ennuie, interne, est plus attribué aux garçons. Dans la suite du questionnaire, on note toujours la présence de l’ennui, mais semble-t-il plus masqué par les fortes variables reliées aux questions. Par exemple, il paraît bien compréhensible, et heureusement, qu’à la question des prévisions pour l’année scolaire de l’élève, le plus significatif soit, comme nous l’avons vu, les résultats des élèves. Idem pour les remédiations, même si le sexe de l’élève joue également un rôle important. Pourtant, on trouve systématiquement l’ennui. Pour les pronostics il est plutôt significatif en réussite, et vers les filles ; pour les remédiations, toujours en réussite, mais cette fois plutôt vers les garçons ; pour le commentaire émis, toujours en réussite, et évoqué de façon quasi identique pour les garçons et les filles, avec une supériorité pour les garçons en réussite. L’ennui prend donc sens particulièrement en réussite scolaire, et c’est également ce qui est confirmé par l’analyse des co-occurences, avec une petite dominante pour les garçons.

A la question spécifique de la compréhension de l’ennui, posée très explicitement, on ne trouve plus la cohérence que l’on vient de dégager. En effet, on distingue une sorte de mise à distance lorsqu’il s’agit de filles, ce que nous avons également rapproché d’une vision pédagogique, qui est différente d’une vision plutôt didactique lorsqu’il s’agit de garçons. En s’appuyant sur une différenciation prenant appui sur le sexe de l’élève, les enseignant-e-s font alors référence à un modèle de compréhension issu des représentations qu’ils et elles ont intégré, dans un premier temps sur les représentations échec vs réussite scolaire, puis fille vs garçons dans l’espace scolaire. Lorsque la question est spécifiquement axée sur l’ennui, les modèles explicatifs ne tiennent plus. Une explication pourrait être, en référence aux travaux de Mugny et Carugati (1985) sur l’intelligence, que la situation d’une fille en réussite scolaire et s’ennuyant, et d’un garçon en échec scolaire et s’ennuyant, puisqu’il s’agit de ces deux profils où on trouve les plus fortes oppositions, sont incongrues, ou « ambiguës ». Il est donc fait appel à des notions de « précocité » pour les filles en réussite et s’ennuyant, comme c’est le cas pour les garçons ; et dans le cas de garçons en difficulté et s’ennuyant, le « modèle didactique » ne fonctionnerait pas. Les sujets ont une explication proche de celles fournies lorsqu’il s’agit des filles en général, c’est-à-dire pédagogique, notamment avec le sens de l’école.

L’ennui, comme nous l’avons démontré, appartient au sens commun. Mais à l’intérieur du champ éducatif, où il est également signifiant, on voit s’activer plus particulièrement toute sa complexité. Les discours produits et analysés par l’intermédiaire de la triangulation méthodologique, nous permettent alors de dégager et de mettre à jour une articulation sur plusieurs niveaux de l’ennui en contexte éducatif.

A travers ces niveaux d’analyse, se dégage également une sorte d’état des lieux des « normes » scolaires qu’ont les enseignant-e-s, et dans une certains mesure leurs conséquences plus appliquées au niveau à la fois de la transmission des représentations sociales dans le champ éducatif, mais aussi en termes de systèmes explicatifs. C’est ce que nous allons détailler et analyser dans la dernière partie de ce travail, qui recoupe toutes les recherches menées.

Mais auparavant, nous avons souhaité mettre en place une démarche qualitative. En effet, au regard des différents résultats obtenus, il nous paraît nécessaire de compléter ce travail par des illustrations empiriques, malgré toute la difficulté d’y accéder, et d’évoquer ce sujet.