10-1-2- La population

Nous avons dans un premier temps, et notamment du fait d’un accès facilité à la population, souhaité mettre en place des entretiens semi-directifs auprès de Professeur-e-s des Ecoles stagiaires, population largement étudiée dans nos recherches précédentes. Mais nous avons rapidement pris conscience de l’importance et du poids de notre rôle institutionnel au sein de l’I.U.F.M85, qui semble avoir été plus puissant que le rôle d’intervieweur. En effet, nous avons contacté et relancé un certain nombre d’étudiant-e-s, d’accord pour participer à des entretiens, mais au final, aucun n’a abouti. Même en expliquant bien qu’il s’agissait d’un travail de recherche, il semble que le rôle institutionnel ait pris le dessus, et notamment par rapport à la charge évaluative de cette dernière année pour les sujets. Il semble que nous touchions sur ce point la question de la confiance, aussi bien au niveau personnel de la part des sujets, que plus institutionnelle (Marková, 2004). Nous avons donc pris toute la mesure de la relation entre l’interviewer et l’interviewé (Haas et Masson, 2006), et ses conséquences en termes de recueil de données.

Nous avons donc changé de stratégie, et avons procédé, par l’intermédiaire d’un mode d’accès indirect : « Les modes d’accès indirects passent […] par l’entremise de tiers, institutionnels ou personnels. Ils ont l’avantage d’être plus contraignants pour l’interviewé, et l’inconvénient de n’être pas neutres, dans la mesure où la demande de l’enquêteur (qui est une demande de recherche) se double d’une demande tierce (amicale, sociale, institutionnelle) pouvant brouiller le cadre contractuel de communication. » (Ghiglione et Blanchet, 199, p. 57). Par l’intermédiaire de cette technique, c’est-à-dire contacter le chef d’établissement, le premier niveau de refus est amoindri. Cela permet en effet d’occulter dans la demande le statut de formatrice, qui indéniablement a des conséquences en termes de jugement pour les sujets. Nous avons donc été présentée comme étudiante, afin d’éviter ce biais, souhaitant recueillir le témoignage d’enseignant-e-s ayant des élèves qui s’ennuient dans leur classe. Nous n’avons pas plus spécifié notre échantillonnage, si ce n’est au niveau du sexe de l’enseignant, où nous souhaitions avoir une parité, au regard des différents résultats observés autour de cette variable.

Nous avons reçu l’accord de six enseignant-e-s de Cycle 3, et nous avons interrogé trois femmes et trois hommes, afin de « discuter » de cas d’élèves s’ennuyant dans leur classe. Il est important de souligner que nous n’avons fait allusion à aucune variable, ni à un nombre spécifique de « cas » d’élèves. La plupart des entretiens se sont déroulés dans les établissements scolaires, à l’exception de deux entretiens au domicile des interwivées, qui devaient toutes les deux garder leur petite fille en bas âge. En moyenne les entretiens ont duré une heure. Sur ces six enseignant-e-s, notre attention a été retenue par les années d’expérience. En effet, trois (deux femmes et un homme) ont une dizaine d’années d’expérience ; et les trois autres (deux hommes et une femme), plus d’une vingtaine d’années. Cela nous offre déjà une indication en termes d’implication de la part des enseignant-e-s. C’est également ce que Bouchamma (2002) souligne dans une recherche concernant des enseignant-e-s de collège face à l’échec scolaire, en reprenant un certain nombre de recherches dans le domaine : les enseignant-e-s qui débutent et les enseignant-e-s ayant de nombreuses années d’expériences se sentent plus responsables que les enseignant-e-s ayant une expérience « moyenne ». Cela confirme les résultats que nous avons déjà observés dans le Chapitre 3, où l’on retrouve cette même tendance.

La seconde phase de ces entretiens a découlé de ces premiers entretiens auprès d’enseignant-e-s. Nous sommes revenus dans les établissements, cette fois dans l’objectif de réaliser un entretien avec les élèves décrit-e-s par leurs enseignant-e-s. Il est important de noter que même si dans la majorité des cas nous avons interviewé les élèves décrit-e-s, cela n’a pas toujours été le cas. Cela est peut-être dû au fait que les entretiens n’ont pas été réalisés juste après. Cependant, nous avons réalisé les entretiens en fonction des élèves « sélectionnés » par les enseignant-e-s. Nous avons été présentée dans trois classes (avec les enseignantes), soit en début de matinée, soit en début d’après-midi, comme une étudiante à l’université, et sommes restée dans la classe au minimum une heure, afin que notre présence soit jugée moins « incongrue », et qu’ils et elles aient tout loisir de nous observer. Nous n’avons pour notre part pas réalisé d’observation, ni de prise de note, pour justement être positionnée comme « objet d’observation » pour les élèves. Dans le cas des trois enseignants, tout est passé par eux, ils nous ont ensuite fait part d’un moment où nous pourrions nous entretenir avec le ou les élèves.

Nous avons été très vigilante et intransigeante concernant un certain nombre de conditions :

  • l’accord des parents, par l’intermédiaire d’un mot sur le carnet de texte 
  • disposer d’un lieu pour la passation de l’entretien en dehors de leur classe
  • que ces entretiens ne se déroulent ni en fin de matinée ou de journée, ni pendant les récréations
  • d’expliquer que les élèves interrogé-e-s avaient été tiré-e-s au sort, car il n’était pas possible de réaliser un entretien avec tous les élèves

Les entretiens auprès de douze élèves ont duré en moyenne quinze minutes, et leur contenu respectif est très inégal (certain-e-s n’ont pas beaucoup parlé mais ont répondu aux questions, alors que d’autres ont été beaucoup plus prolixes, mais sur des thèmes pas toujours en lien avec les questions).

Enfin, nous avons proposé à chaque enseignant-e d’intervenir avec le groupe classe autour du thème de l’ennui, afin de ne pas stigmatiser les élèves interrogé-e-s, mais également de laisser la parole aux autres élèves. Cette proposition a été acceptée par les trois enseignantes86.

Notes
85.

Pour cette dernière phase d’enquête, nous étions présente à l’I.UF.M. comme A.T.E.R. en Psychologie, ce qui nous amenais à la fois à dispenser des cours théoriques, faire des visites formatives et certificatives dans les écoles, mais aussi à participer en fin d’année à des soutenances de mémoire.

86.

Nous avons réalisé dans ce cas une adaptation des « atelier-philo » proposés aux Cycle 3. Ces trois séquences ont duré en moyenne 20 minutes, chaque élève a pu s’exprimer, en fonction de la grille d’entretien que nous avions réalisée. Nous n’analyserons pas ces données dans ce travail, mais nous pouvons noter qu’elles ont toutes été clôturées par un même phénomène : un retournement du groupe classe contre l’enseignante. Ce constat trouve d’abord son origine dans la temporalité, au bout de 20 minutes, mais cela nous offre encore un indice nous confortant dans l’utilisation de l’ennui social.