10-2-2- L’ennui et la motivation interchangeables dans le champ scolaire

Nous avons particulièrement orienté le discours autour de l’ennui et la motivation, ou la démotivation. Nous n’avons pas induit ce terme, dans un premier temps par choix, et il s’est avéré que les sujets l’ont tous évoqué à un moment du discours, plus ou moins tard, donc spontanément, et sans trop s’en rendre compte. Cela signifie bien qu’il y a un lien entre les deux, mais pas une équivalence systématique. Ce qui est encore plus révélateur est la définition proposée par les sujets, qui les met pour la plupart dans une réelle confusion, qu’ils et elles reconnaissent ou pas. On constate que sur cette question, la variable des années d’expérience a une influence. Cela confirme donc bien que l’ennui et la motivation ou la démotivation, souvent assimilés dans le sens commun, puisque les termes surgissent au fil du discours, ne sont pas synonymes, loin de là, comme par exemple avec Patrick, autour de l’ennui et la motivation :

Encadré 29 : Ennui et motivation selon les enseignant-e-s avec une longue pratique professionnelle
« R : Je pense qu’un élève motivé dans, à un moment donné, ben à ce moment-là oui, enfin, il me semble hein, ben s’il est motivé, au contraire, il va aller les faire, il va aller les faire. Alors après il peut y avoir des obstacles hein, qui vont, qui vont casser la motivation, et entre autres ça peut être le niveau de difficulté. » (Patrick)

Les trois autres témoignages mettent très bien évidence non pas une définition de l’ennui et de la motivation, mais bien le fait que nous abordons deux concepts très proches, comme le fait remarquer Stéphane, qui se rend compte en parlant de la proximité des deux, et s’étonne de ne pas avoir fait référence à la motivation avant :

Encadré 30 : Référence à la motivation
« - R : […] Et c’est à-dire que, c’est-à-dire que, pour que, l’apprentissage réussisse avec un, pour qu’il y ait un intérêt, et pour que les élèves s’y retrouvent quoi hein, il faut qu’y ait une grosse motivation… tient motivation… (rire), c’est marrant je l’ai pas dit avant…[…] (Stéphane)

Il y a une assimilation issue du sens commun entre les deux, mais on se rend très vite compte qu’en réalité, c’est assez différent, et que ce thème provoque chez les trois sujets un dialogue entre ennui et motivation, qui finalement aboutit à des issues opposées. Selon Béatrice, la démotivation est « inquiétante » comparée à l’ennui, alors que Natacha se trouve plus « démunie » face à la démotivation d’un élève. Pourtant les conséquences évoquées sont identiques : le décrochage scolaire. Quant à Stéphane, il hésite entre ennui et démotivation, pour finalement conclure qu’il s’agit de la question du sens, qu’il raccroche ensuite à l’ennui :

Encadré 31 : Ennui et motivation
- « R : Non quoique c’est vrai que, pour les deux élèves auxquels je pense et que je dis qu’ils s’ennuient, c’est vrai que je pense qu’ils sont démotivés ouais, ils ont pas la motivation de, heu… c’est délicat quand même parce que… ils sont motivés pour réussir mine de rien, heu, mais pas assez… » (Natacha)

« R : Ouais je pense, je pense, alors, mais la démotivation peut-être sur heu, la différence avec la démotivation c’est peut-être sur heu du long terme, plus ou moins long terme, alors que l’ennui, c’est peut-être plus ponctuel. […] Bah un enfant qui est pas motivé il s’ennuie pas forcément non plus, je pense. C’est parce que je me dis heu, heu, j’en sais rien là je suis en train de faire, j’ai commencé la bande dessinée, y en a certains que ça motive pas du tout parce qu’ils aiment pas ce genre-là, heu, est-ce que pour autant ils vont s’ennuyer… peut-être, peut-être, ho je m’embrouille !. » (Béatrice)

Autour de cette réflexion, Béatrice conclut finalement que : « […] c’est intéressant quand-même cette question de l’ennui et la motivation…l’œuf ou la poule… ». Quoi qu’il en soit, ces deux termes sont semble-t-il interchangeables au premier abord, sans pour autant être synonymes. On retrouve cette tendance à raccrocher l’ennui à un autre terme, un autre concept, pour parvenir à en définir les contours. Une seconde façon de cerner l’ennui pour les sujets, et même lui donner du sens, est de le mettre en lien avec des variables positionnelles et contexuelles.