10-3-3- La déresponsabilisation par le contexte

On retrouve également une autre variable contextuelle, d’ordre social, qui se situe à plusieurs niveaux : « l’effet établissement » (Duru-Bellat et Suchaut, 2005), et l’effet classe, notamment autour du nombre d’élèves, et de la dynamique de classe ; les parents et la famille, avec les représentations du sens de l’école transmises, mais également la catégorie socio-professionnelle. Ces différents arguments sont généralement sollicités par le corps enseignant sur le thème de la réussite ou l’échec scolaire. Là encore, dans la même dynamique que les références faites aux stéréotypes, on peut penser que face à un sujet qu’il est difficile de définir, ils et elles vont piocher dans des références qui, à l’heure actuelle, sont extrêmement présentes dans leur quotidien : l’échec scolaire et la réponse du « handicap socioculturel » comme système d’explication, qui permet une déresponsabilisation. On distingue bien ce phénomène dans la manière dont les sujets font référence à ces arguments :

Encadré 36 : Le social et la famille provoquant l’ennui à l’école
- « R : […] Parce qu’il y a des cas particuliers qui font que ça nous échappe, ça nous échappe et on est pas les seuls acteurs heu, quand un enfant arrive avec la faim au ventre, hein, ça m’est aussi arrivé, bon heu, ben oui il a faim hein, heu, voilà… » (Patrick)

- « R : […] puis la relation école/ famille. » (Annie)

- « R : Elle est pas en train de penser à sa famille en permanence mais ce qu’elle vit dans sa famille fait que elle arrive pas être disponible pour l’école en tout cas. Et elle je crois que c’est la raison qui fait qu’elle s’ennuie. » (Natacha)

- « R : […] Je pense que y a la variable aussi moi du niveau social, je pense clairement que ça joue…[…] Parce que y a pas de repères je pense, parce que c’est trop loin d’eux. Je pense, voilà. » (Béatrice)

On peut penser que ces stratégies sont un moyen, en termes de responsabilité, de se décharger, comme ce qu’a mis en évidence Gosling (1992) avec l’échec. Car il est évident que malgré un discours qui se veut globalement non alarmiste, tous les sujets dans le discours mettent en avant le fait qu’ils se sentent responsables de l’ennui de leurs élèves. Cette position ressort au détour d’une remarque sur un autre thème, mais les termes employés mettent clairement en exergue à la fois cette culpabilité et cette responsabilité, en expliquant que, même s’il y a d’autres causes, ils et elles « se remettent en question », « en cause » :

Encadré 37 : Le message de l’ennui
- «  Q : Mais aussi on peut s’apercevoir qu’effectivement ça on l’a loupé. Oui, la remise en cause elle est, elle est régulière, enfin pour moi hein, elle est régulière et fréquente. » (Patrick)

- « . Ce qui n’empêche pas l’enseignant que je suis de me remettre en question et de me dire des fois : est-ce que c’est pas moi qui les aient amenés dans la passivité, est-ce que c’est pas moi qui suis ennuyeux à ce moment-là… » (Michel)

- « R : Ben moi c’est ce que je pense hein, moi je me remets en question, quand ils s’ennuient je me dis que j’ai fait une matière qui était heu, soit trop loin de leurs préoccupations, encore que ça j’essaye de, d’y travailler, ou pas assez de manipulation, ou, ou le sujet est abordé d’une manière qui les touche pas suffisamment. » (Natacha)

- « R : Bon heu, après évidemment heu, si les élèves s’ennuient c’est moi qui suis en cause essentiellement je pense. Voilà, c’est mon travail, c’est de heu, faire apprendre aux élèves. […] j’essaye, j’essaye toujours de considérer que c’est… que, que, je peux intéresser l’élève, et que si il s’ennuie, c’est ma part heu, c’est c’est c’est, j’allais, j’allais dire c’est ma faute, mais c’est pas ça, heu, c’est que je pourrais l’intéresser si je faisais autrement. » (Stéphane)

- « R : […] bah quand il s’ennuie, on se pose des questions sur soi en tant qu’enseignant, on se dit : tiens je, je réponds pas à ces manques, à ses besoins heu, mince qu’est-ce que je rate, qu’est-ce que je suis en train de rater en tant qu’enseignante. Donc heu l’ennui est moins bien perçu du coup du côté de l’enseignant je pense. » (Béatrice)

Un certain nombre d’autres variables contextuelles sont sollicitées, notamment autour du rythme scolaire, corrélé à la fatigue des élèves, et la temporalité. Il y a donc une mise à distance de la part des enseignant-e-s dans la responsabilité, mise à distance également en sollicitant comme nous l’avons souligné précédemment des aspects pathologiques et psychopathologiques, orthophoniques…

Pour résumer, le discours sur l’ennui en contexte éducatif se décompose en plusieurs étapes. Il est d’abord compris par l’enseignant-e comme un signal en termes de désengagement. Les stratégies sont axées autour de l’activité, la mise en action de l’élève, l’habillage de la tâche pour la rendre moins ennuyeuse. Mais une fois ces recours épuisés, les enseignant-e-s font alors référence à des causes externes.