11-2- L’ennui selon les élèves

11-2-1- La polysémie du mot

Lorsque l’on interroge les élèves sur l’ennui en contexte éducatif, trois élèves affirment ne pas s’ennuyer actuellement en classe, et deux disent qu’ils s’ennuient « pas très souvent », ou « pas beaucoup », pour plus loin affirmer qu’ils ne s’ennuient pas ou jamais. Deux élèves disent s’ennuyer, et les cinq autres élèves n’ont pas une position tranchée, c’est-à-dire qu’ils et elles modulent leurs réponses, avec des remarques du type : « des fois », « un peu », ou encore « ça arrive ». Même si cet échantillon est loin d’être significatif, on peut cependant noter que globalement, les élèves ne s’ennuient pas ou peu, et qu’une petite part affirme s’ennuyer, comme ce que nous avions déjà constaté au Chapitre 695 sur une population beaucoup plus importante.

A la question de la définition de l’ennui, on a deux systèmes d’explications, aussi bien de la part des élèves en réussite qu’en difficulté, que des filles et des garçons. L’ennui est défini par son aspect passif, autour du « rien », ou alors le fait de ne pas s’ennuyer est justifié par toutes les activités proposées :

Encadré 46 : L’ennui défini par la passivité
- « R : Ben, c’est quand on sait pas quoi faire… Ben c’est tout. » (Marine)

- « R : Ben, oui quand même mais, enfin, je m’ennuie, on s’ennuie pas très souvent parce que on a beaucoup de choses à faire déjà… » (Paul)
- « R : Ben c’est heu, par exemple dans la classe, quand y a personne heu, c’est rester tout seul, rester sur un banc à rien faire, et regarder les autres jouer et pas jouer. (Annabelle)

R : Heu, l’ennui c’est que, on ne sait pas trop quoi, on ne sait pas trop quoi faire, heu, on, on est ennuyé heu, on heu… » (Alice)

- « R : Ben, c’est … c’est quand on a rien à faire. » (Bérénice)

- « R : Heu l’ennui heu, enfin je m’ennuie heu à l’école je m’ennuie heu, pas beaucoup, parce qu’on a toujours des choses à faire heu, et puis j’aime bien donc heu je m’ennuie pas… je me dis que ça servira plus tard… donc heu l’ennui… non je m’ennuie pas beaucoup. » (Samuel)

A ce premier stade, on peut déjà s’attendre à avoir une définition de l’ennui conforme aux représentations actuelles, plutôt axées sur le versant négatif, puisqu’il semble contre-productif, et que s’il est mentionné, il est très vite contrebalancé avec des indices de fréquences, et le peu d’ennui. L’ennui est inscrit dans le « rien », le vide. Paul explique que l’ennui : « c’est pas très bien parce que faut, enfin [il] arrive pas à rester inactif », ce qui illustre bien le lien fait entre les deux. On distingue un fort consensus sur la posture physique du camarade de classe qui s’ennuie :

Encadré 47 : Posture physique de l’ennui en classe
- « R : Heu, mon voisin il est tout le temps comme ça (tête sur la main), on dirait qu’il dort, et heu une fois on devait faire une dictée, et bien toute la dictée il était comme ça, il a pas fait la dictée. » (Alice)

- « R : Ben ils parlent à voix haute. Heu… on arrête de travailler, on est affalé sur la chaise et on attend. » (Mickaël)

- « R : Bah il est comme ça (mime tête dans la main). » (Noémie)

- « R : Parce que quand la maîtresse elle est en train de parler elle fait, elle est comme ça (mime)
Q : Elle met la tête dans sa main…
R : Ouais… » (Nina)

L’ennui est également lié à la fatigue, le fait de ne pas avoir assez dormi, ainsi que le rêve et somnoler. Il s’inscrit donc bien dans une dynamique de passivité. Mais il est également lié à l’énervement, voire à la violence. Et on retrouve bien ici la dichotomie de l’ennui passif vs actif : soit l’ennui rend passif comme nous l’avons vu, soit il provoque des réactions, certainement en lien avec une sorte d’impuissance soulignée par des remarques autour de l’attente, de ne pas savoir quoi faire, ne pas savoir s’occuper :

Encadré 48 : Impuissance face à l’ennui
- « R : Non y en a ils discutent ou ils se… celui qui est devant moi, un garçon, et ben il me tape avec son équerre ! » (Noémie)

- « R : Bah je sais pas, Sophie je sais pas si elle s’ennuie parce que à chaque fois elle me tape, donc je sais pas si elle s’ennuie. » (Marine)

- « R : Ben oui, mais des fois quand t’es en colère heu, on reste assis, et on peut rien faire, et on est en train de s’énerver tout seul, sur soi-même. Ou des fois y en a qui sont, y en a un jour dans notre classe, y en une fois elle s’est endormie en classe, pendant qu’on écoutait de la musique, donc ça prouve qu’elle s’est ennuyée quoi. » (Annabelle)

Nous avons également proposé aux élèves de donner un synonyme de l’ennui. Les trois termes qui sont le plus récurrents sont « rouiller », « être saoulé » et « embêté ». Nous avions mis en avant dans le discours des enseignant-e-s une ambiguïté sémantique entre l’ennui et des ennuis. Si cette ambiguïté transparaît au détour d’une remarque, elle est très présente chez les élèves, qui ne parviennent pas ou mal à distinguer les deux :

Encadré 49 : l’ennui et les ennuis
- « R : Et puis là ça nous aide, parce que avant heu, on, on, ben, avant d’écrire heu ce qu’y pensent et on règle en classe, avant bah c’était pas pareil, c’était y règlent leurs heu histoires tout seul et après bah ça fait beaucoup d’ennuis, et après on commence à plus avoir d’amis parce qu’on fait des, enfin, parce que on se bat et quelque chose comme ça, et après on se retrouve tout seul et on s’ennuie. » (Nina)

- « R : Et heu, et aussi le, les maths c’est un peu plus ennuyant parce que, heu, le problème, heu, y a des fois des problèmes qui sont très durs à résoudre, alors on a, on doit faire des calculs, on doit faire des dessins des schémas, enfin pleins de choses pour heu, pour trouver enfin, une solution, pour résoudre au problème. (Annabelle)

Cette remarque d’Annabelle sur les mathématiques met bien en avant les amalgames entre problème et ennuis. L’ennui est bien signifiant pour toutes et tous, même si on prend toute la mesure de la difficulté à décrire, à définir l’ennui. On notera également qu’aucun élève n’a employé ou fait référence à la motivation et la démotivation, ce qui confirme bien la différence en contexte scolaire de l’ennui et la motivation. Malgré les difficultés, ils et elles sont toutes et tous en mesure de parler de l’ennui, et nous allons le voir, d’autant plus sous l’action de variables positionnelles et contextuelles, tout comme chez les enseignant-e-s.

Notes
95.

Après la réalisation des énigmes, quel que soit l’habillage de la tâche 54,48% des élèves déclarent ne pas s’être ennuyé-e-s, 22,01% moyennement, et 21,51% beaucoup.