11-2-2- Les variables de l’ennui chez les élèves

Le contexte dans l’ennui est un élément très fort pour les élèves, et plus précisément la distinction entre l’ennui dans la classe, et l’ennui à la récréation. Pour résumer, on pourrait dire qu’il existe pour les élèves un ennui autour de la solitude en récréation, et de l’exclusion du jeu vs un ennui dans le travail en classe, qui cette fois est relié à la compréhension, soit laborieuse, soit effective, et la question de la réussite.

Encadré 50 : le jeu et la solitude
- « R : Ben ils bougent pas (stop bruit), ils sont assis, ils jouent avec personne, voilà. » (Paul)

- « R : Des fois je m’amuse à la récréation, mais c’est quand même, mais la plupart du temps je… reste assise sur un banc parce que y a personne qui vient jouer avec moi. » (Annabelle)

- « R : Ben je sais pas, j’attends, je marche… » (Marine)

- « R : Oui oui, je connais. Ben oui, parce que aussi je m’ennuie, mais qu’à la récréation. » (Nina)

- « R : (silence) je pense que c’est plus les filles qui s’ennuient parce que les garçons y jouent plus au foot à la récréation donc heu y a presque que des garçons qui jouent au foot heu après heu je suis pas sûre hein parce que… » (Bérénice)

- « R : En cours de récréation heu, j’ai des copains et puis je joue avec heu, et des fois je joue au foot et des fois je joue avec les copains, mais heu… » (Boris)

Après une première analyse du corpus, nous avons constaté que nous avions posé systématiquement la question de l’ennui en cour de récréation aux filles, et pas aux garçons, que nous avons plutôt relancé sur l’ennui à la maison. Peut-être avons-nous nous même été influencée par les stéréotypes fille/ garçon que nous avons longuement développés, et l’idée que les filles seraient plus susceptibles de s’ennuyer en cour de récréation car ce n’est pas un lieu où l’on travaille. Et à l’inverse, que les garçons dans la cour de récréation jouant au foot ou autres jeux collectifs, ne s’ennuieraient pas, ou moins (Delalande, 2001 ; 2003). C’est d’ailleurs ce qu’explique Samuel : « Heu les filles elles peuvent finir trop tôt et elles s’ennuient heu en récréation, c’est, elles ont pas, c’est leur copine elle est entrain de jouer mais en, en général je pense que c’est un peu pareil. ».

On peut cependant noter que l’ennui en cour de récréation est très fortement lié à l’isolement et la solitude, ce qui n’est pas le cas dans la classe. On pourrait alors distinguer un ennui social groupal, d’un ennui individuel. L’ennui est donc bien contextuel, et en contexte scolaire, conformément aux représentations qu’ont les enseignant-e-s, l’ennui est binaire : soit parce que l’élève connaît déjà, ou a fini avant les autres ; soit parce qu’il ou elle ne comprend pas. Là encore, il est important de souligner qu’il n’y a pas de différence entre les élèves estimés en réussite, et ceux plus en difficulté dans les descriptions générales, même si pour les élèves en réussite, ils et elles font plutôt référence à l’attente :

Encadré 51 : ambivalence de l’ennui
- « R : Parce que je comprends pas trop le sujet, à un moment c’est un peu trop difficile d’un côté et heu, voilà… » (Pierrick, difficulté)

- « R : Ben quand… quand j’arrive pas à les résoudre tout à fait et que j’arrive pas à trouver des solutions pour heu, pour les résoudre heu, plus facilement. » (Annabelle, difficulté)

- « R : Bah non pas trop, mais c’est que y a des trucs que je connais et c’est que ça… y a des trucs que je connais et que je trouve que c’est tellement ennuyeux de faire ça, que je connais déjà, que j’en ai marre et que je les fait pas. » (Mickaël, difficulté)

- « R : Bah… (silence). En faite je m’ennuie parce que je comprends pas. » (Noémie, en réussite)

- « R : A part un petit peu la géographie, heu, j’aime bien, sauf que comme je connais pas trop je, j’arrive pas, et donc ben des fois je, ça m’ennuie, parce que y a des choses que je connais déjà, que j’avais déjà travaillé à la maison donc heu après comme je connais déjà ben j’ai juste à lever le doigt ou de faire quelque chose comme ça… » (Nina, difficulté)

- « R : Bah je sais pas… Des fois c’est facile alors je prends pas… » (Nicolas, réussite)

- « R : Ben c’est quand on a fini un travail ou quand… voilà. » (Bérénice, réussite)

- « R : Y en a certains qui sont en avance et qui s’ennuient. » (Samuel, réussite)

La motivation, nous l’avons signalé, n’est pas un terme significatif. En revanche, la question de l’intérêt ou non, mais également du sens, est souvent évoqué, et notamment en lien avec les matières scolaires. Pour Bérénice, Paul et Nina, il n’y a pas de différence selon les matières scolaires, la différence d’ennui étant dépendante de l’intérêt porté aux matières, intérêt principalement défini par le verbe « aimer » :

Encadré 52 : L’ennui selon l’intérêt personnel porté à la matière
R : Quand on aime pas cette matière. (Paul)

R : Ben si y aiment pas trop y vont s’ennuyer. (Nina)

R : Ben heu y en a qui préfèrent d’autres matières que d’autres. (Bérénice)

Pour les autres, hormis Boris qui ne se prononce pas, les élèves, sur le critère d’ennui, proposent une hiérarchisation des matières scolaires. La matière qui ennuie le plus est l’histoire pour Noémie, Nicolas, Samuel, Pierrick et Marine ; les mathématiques pour Annabelle et Alice ; et la conjugaison pour Marine et Mickaël. Cela est mis en lien avec la question du sens, et de l’intérêt, comme l’illustre très bien Nicolas, qui compare l’intérêt de la géographie par rapport à l’histoire :

Encadré 53 : Manque de sens en histoire-géographie
R : [la géographie] Bah je sais pas… ça sert à… à savoir si les autres pays y sont riches ou pauvres… La France ce qu’elle fait dans le monde et tout là… je sais pas… (Nicolas)

R : C’est le meurtrier, c’est, tu vas rien, tu peux pas y, tu peux pas y, tu peux rien y faire. C’est… c’est voilà, c’est des gens qui meurent, tu t’ennuies un moment… (Pierrick)

R : Non je comprends pas tout mais heu, j’essaye de m’intéresser, et puis heu… ben surtout en histoire je m’ennuie. Et puis aussi des fois en géographie. (Noémie)

A l’inverse, les matières qui n’ennuieraient pas ou moins sont les mathématiques et les arts visuels. On distingue un croisement de variables autour des mathématiques qui vont dans le sens de toutes les recherches sur les représentations positives des mathématiques chez les garçons et les filles, et corrélées dans notre cas à l’ennui. Par exemple les filles disent plus s’ennuyer en mathématiques, quel que soit leur niveau scolaire, et justifient toujours par la suite qu’elles et ils aiment voire « adorent » les mathématiques Donc les mathématiques entrent dans un domaine proche de l’affect, à la différence du désintérêt, plus proche du sens en histoire par exemple :

Encadré 54 : l’affect dans les mathématiques
- « R : Ben alors en mathématiques, moi heu, moins, parce que je suis plus fort en calcul que en français. Mais en fait heu la maths, les maths j’aime bien. J’adore. C’est pour ça. » (Pierrick)

- « R : Non moi y a, le français j’aime bien, tout ce qui est les maths, la géographie, l’histoire j’adore ça quoi, j’adore toutes les matières » (Paul)

- « R : Par contre j’adore les maths quand on fait des fiches, mais le reste heu, les mathématiques, heu, ce qu’on vient de faire j’aime bien, mais y a des mathématiques heu, ça me saoule un peu… des problèmes à régler… » (Annabelle)

- « R : Celle que j’aime moins c’est les mathématiques mais heu j’aime bien quand même, ça dépend ce que, ça dépend les exercices en fait. (Bérénice)

C’est beaucoup moins le cas pour le français, qui notons-le, est une matière communément fractionnée, entre l’orthographe, la conjugaison, la grammaire, la lecture, la poésie, la compréhension de texte. Alors que les « maths » sont les maths, sans distinction, si ce n’est Pierrick qui évoque la géométrie et Annabelle les problèmes. Il y a donc un système de représentations des matières dites principales, autour d’une matière globale.

Nous avons interrogé les élèves autour d’une différence d’ennui entre filles et garçons. Là encore, nous ne dégageons pas de consensus. On a des positions assez tranchées pour Nicolas et Boris qui pensent que les garçons s’ennuient plus ; Bérénice et Annabelle pensent que ce sont les filles qui s’ennuient plus, car elles disposent de moins d’activités. Selon Nina, Pierrick et Noémie : « on est tous pareils ». Enfin Paul et Samuel disent spontanément qu’il y a une différence puis se rétractent, et les autres ne se prononcent pas. Pour argumenter leur point de vue, et ce quel qu’il soit, les élèves prennent alors appui sur les stéréotypes genrés autour des distinctions fille/ garçon, comme nous allons le développer plus loin.

Mais ils et elles font aussi référence à des explications plus générales, sur l’intérêt de l’école, et le sens de l’école, comme l’illustrent ces témoignages :

Encadré 55 : Le sens de l’école
R : Non y participait et puis, ben des fois, à un moment et ben il est énervé, et il s’est déjà enfui de l’école donc heu…
Q : Ha oui ?
R : Ouais ! Plusieurs fois il s’est déjà enfui. (Annabelle)

R : Et que pourtant heu, ça se voit qu’elle heu s’ennuie à l’école mais surtout en classe elle s’ennuie beaucoup, elle dit qu’elle aime pas l’école parce que on fait trop de choses, on fait trop d’écriture donc ça fait mal à la main ou des choses comme ça, et que à la récréation elle se défoule. » (Nina)

Mais il faut préciser que ce type de discours est féminin, les garçons ont plus globalement un discours individuel, et réalisent moins de comparaisons, sauf si la question est ouvertement posée. A travers cette thématique de l’ennui, on voit donc bien s’activer sous des effets à la fois contextuels et positionnels les différents stéréotypes que nous avons observés dans ce travail, comme révélateur de l’utilisation de l’ennui en contexte scolaire.