Lire et écrire le “Journal”

Ce sont les lecteurs eux-mêmes qui éprouvent le besoin de donner des détails sur l’acte de lecture du Journal, dans les lettres qui lui sont adressées. Une fois les lettres publiées, ces détails appartiennent au texte du quotidien, qui s’offre tous les jours à la lecture par son public, tout en renvoyant l’image de ce même public dans l’acte de lire. Où, quand est comment les abonnés s’adonnent-ils à la lecture du Journal de Paris ? Quels sont les comportements et les habitudes de lecture relevés par les abonnés ?

D’aucuns se déclarent des lecteurs fidèles, à savoir, ils lisent la feuille de Paris “‘ exactement ’”537 et ’“‘ assidûment ’”538.‘ ’Un abonné doué d’une sensibilité particulière avoue s’être‘ ’“‘ sévèrement interdit ’”‘ ’dans les lectures assidues du Journal la rubrique “Nécrologie ”,‘ ’“‘ le seul article que parmi tant de dissolutions naturelles et communes, nous annonce la mort toujours inattendue de ces personnages rares et privilégiés qui devraient être immortels ’”539 Il prétend être si fidèle à sa lecture sélective du Journal, que ce n’est que par “‘ un hasard malheureux ’”540 ’que son regard distrait l’amène à s’arrêter sur les disparitions des “immortels”.

Présence indispensable sur la table de petit déjeuner des salons parisiens aisés, le Journal est lu quotidiennement, comme signe d’appartenance à une modernité galopante. Rappelons la lecture matinale du Journal de l’Anglaise Sara Goudar, dont le logement donne sur le jardin du Palais Royal, en compagnie de son petit-déjeuner à l’anglaise et de son voleur de chat, Cartouche, grand amateur de périodiques tartinés de beurre541. ’“La C de B”, elle aussi abonnée et lectrice assidue de la feuille de Paris, raconte, en revanche, une de ses lectures matinales de la feuille, accomplie par un de ses parents, ancien mousquetaire, dans les aboiements assourdissants de Zéphirette, sa chienne, particulièrement irritée par le ton des articles du correspondant sur les arts visuels542. ’Peut-on conclure qu’il y‘ ’a, chez les lectrices du Journal, la conviction que le règne animal est impliqué dans l’acte de lecture du quotidien avec la même passion, sinon plus, que ses souscripteurs ?

La lecture journalière du quotidien peut aussi advenir dans un cadre plus sobre, telle la maison d’un abonné père de famille, épris d’histoire et d’instruction, qui transforme ses petits déjeuners en assemblées familiales de lecture critique. La lecture du Journal n’est plus une coquetterie, un acte mondain, une mise au courant distraite et superficielle, mais une occupation extrêmement sérieuse et systématique, qui réunit et implique activement tous les membres de la famille, indépendamment de leur âge.‘ ’Qui plus est, l’abonné tient à mentionner que la lecture du Journal n’est pas isolée, elle s’inscrit dans une familiarité de longue date avec la lecture comme moyen principal d’instruction, cultivée d’abord de manière individuelle, transformée en rituel et perfectionnée au sein de la famille :

‘J’aime la lecture, et les occupations de mon état me permettent heureusement de me livrer à mon goût. De tous les genres de sciences, celui de l’histoire a obtenu ma préférence. Dans ma jeunesse j’ai beaucoup lu ; mais le peu de mémoire que la nature m’a départi, me laissait le désespoir de paraître et d’être en effet moins instruit que beaucoup d’autres qui s’étaient moins appliqués que moi.(…)
Tous les matins ma belle-mère, ma femme, mes enfants et moi, nous nous rassemblons au déjeuner. Là après la lecture de votre Journal, ma fille aînée, à qui j’ai confié le département de la bibliothèque, ouvre notre répertoire historique et nous lit le trait historique dont la date se rapporte à celle du jour. Chacun fait ensuite ses réflexions. On se rappelle l’anecdote de la veille, on compare, mes enfants m’interrogent ; leurs questions me mettent à portée de juger de la justesse de leur esprit, et je m’aperçois avec plaisir qu’ils s’éclairent en s’amusant, et que leur raison se forme sans aucun effort de mon côté ni du leur543.’

La lecture du Journal est décrite comme acte pur d’instruction et s’inscrit dans un méticuleux travail de stimulation du raisonnement. Pas de place, dans ce tableau de lecture concentrée, faite de réflexion, de comparaisons et d’interrogations, pour les objets matériels qui composent les petits-déjeuners des salons frivoles, ni de réactions bruyantes et inopportunes de quadrupèdes gâtés. La famille choisit le moment du petit-déjeuner pour se réunir dans une espèce de cabinet de travail, chaque membre a des tâches précises, il existe un “‘ département de la bibliothèque ’”, et même un‘ ’“‘ répertoire historique ’”‘ ’organisé par jours. Le père est le centre de la conversation, c’est vers lui que convergent les interrogations des enfants, même s’ils sont parfaitement capables de s’éclairer les demandes par la force de leur propre esprit. A en croire l’abonné, il n’y a pas d’effort dans l’exercice journalier de lecture et de réflexion de sa laborieuse famille, au contraire, ils travaillent et collaborent avec plaisir. Il souligne aussi que c’est la lecture du Journal de Paris qui ouvre tous les matins les travaux de réflexion, ce qui revient à dire qu’il y a de quoi nourrir journellement son esprit. Cet exercice‘ ’matinal de l’esprit par la lecture semble rappeler la conviction d’un autre abonné du Journal, pour lequel, le matin, “‘ jeunesse de la journée ’”‘ , ’est le moment le plus opportun pour ce genre d’activité, puisque le seul où l’âme possède une disponibilité et une pureté authentiques, que les soucis et les nombreux rôles endossés au cours de la journée ne cessent de corrompre544.

A la lecture systématique et quotidienne du Journal de qui est habitué à l’avoir sous les yeux au réveil, s’oppose une lecture rétrospective, par plusieurs numéros à la fois, des lecteurs qui, pour différentes raisons, s’éloignent pendant un certain temps de leur foyer. C’est le cas de “L’Habitant de Carouges” qui précise : “‘ Un voyage assez long que mes affaires m’ont obligé de faire m’a privé de la lecture de votre Journal pendant quelque temps ’”545.‘ ’L’interruption de la lecture journalière n’est pas pour autant un obstacle à une lecture passionnée des numéros accumulés pendant son absence, car, raconte le lecteur,‘ ’“‘ A mon arrivée, j’ai demandé mes feuilles. Ma femme me les a données en souriant, et je les ai parcourues avec empressement ’”546 ’Bien que rétrospective, la lecture du Journal par “L’Habitant de Carouges” est avide et impatiente, en témoigne le sourire discret de complicité et de compréhension de sa femme et la familiarité affectueuse qu’il semble avoir avec “‘ ses feuilles ’”.

Le Journal est lu rétrospectivement surtout par des abonnés parisiens de retour d’un séjour à la campagne. L’éloignement de la métropole est souvent compris comme une plongée dans un temps uniforme, si bien qu’au retour, la lecture avide des numéros manqués sert de retour au rythme mouvementé de la vie urbaine, à son temps plein, scandé par les débats et les querelles, les inventions et les découvertes du monde scientifique et artistique, les anecdotes, les récits extraordinaires et les disparitions de personnages célèbres. Il n’est donc pas étonnant que le lecteur qui revient en France au bout d’une absence de huit ans passe son temps dans le cabinet d’un souscripteur du Journal de Paris, à fouiller dans les périodiques547.‘ ’Lire le Journal, au bout d’une absence physique de la capitale, a le sens d’une récupération du temps perdu, et d’une réadaptation à une réalité géographique et à une temporalité différentes.‘ ’“‘ En arrivant hier soir de la campagne, je vis, Messieurs, dans votre Journal du 17 de ce mois, que M Azema, Maître Apothicaire, expose ’ ‘ en vente le Cabinet d’Histoire naturelle de feu M Geoffroi, son Prédécesseur (…) ’”548,‘ ’observe un lecteur. Un adepte acharné des corps de baleines profite, en revanche, de son retour à la vie parisienne pour défendre ces derniers des critiques des journalistes :‘ ’“‘ J’arrive de la campagne. Pour me remettre au courant, je viens de parcourir votre Journal depuis le premier d’août jusque aujourd’hui, et j’ai été fort scandalisé de la manière dont vous parlez des corps de baleine ’”549.‘ ’Si la lettre est publiée le 23 septembre et que le lecteur parcourt les numéros du Journal depuis le 1er août, on compte plus d’un mois d’arriérés, dont la lecture aussi assidue ou fugitive qu’elle soit, correspond à la “mise au courant” des mutations de la vie dans la capitale.

Toutefois, la lecture des numéros qui couvrent des périodes d’absence de Paris n’est pas toujours exhaustive. Parfois, elle vise uniquement le numéro et l’article qui intéressent directement le lecteur, comme c’est le cas de “Messier, Mécanicien du Roi” qui explique :‘ ’“‘ A mon retour de la campagne, on m’a fait lire le n°174 de votre Journal ’”,‘ ’numéro qui ne lui est pas indifférent, puisqu’on y mentionne l’invention d’une machine dont il se considère l’auteur depuis 1733550. ’Pendant que certains lecteurs foncent simplement sur les numéros du Journal parus dans leur absence de la capitale, pour se mettre au courant des dernières nouvelles, d’autres s’adonnent également à la mise en ordre des feuilles de leur collection du quotidien. Tel est l’aveu du lecteur qui signe “Ut supra”, dont les gestes révèlent, outre un lecteur assidu du Journal, un collectionneur passionné de ses numéros :

‘Après un séjour de trois semaines en une Campagne assez éloignée de Paris, pour y être sans intérêt sur les prix des œufs, du beurre, du foin, de la paille, et de l’avoine, ainsi que sur les représentations diurnes et nocturnes de nos grands et petits théâtres ; j’ai pourtant voulu à mon retour mettre en ordre l’importante collection de vos follicules (car je suis de votre grande confrérie). Par hasard, ou par quelque attraction sympathique mes yeux se sont fixés sur votre numéro 229551.’

Les lecteurs marquent dans leur correspondance au Journal soit leurs habitudes de lecture, que des comportements de lecture passagers. Ainsi, “Ut Supra” avoue ne lire le quotidien “‘ que par collection ’”552, ’sans spécifier la nature des “‘ circonstances particulières ’”‘ ’qui l’y poussent. Un prêtre qui répond au projet promu par le quotidien pour la construction d’un nouvel Hôtel-Dieu, affirme, ne pas profiter autant qu’il le désirerait de la lecture du‘ Journal, ’et avoue‘  : ’“‘ ce n’est que par occasion que j’en ai vu les dernières feuilles ’”553. ’Le premier lecteur pratique un type de lecture continue, mais pareille à la lecture d’un ouvrage non périodique, le second fait, en revanche, une lecture discontinue, incomplète et occasionnelle du quotidien, suscitée peut-être par les échos parlés des nouvelles éclatantes du Journal. Ces exemples nous amènent à distinguer un lectorat enclin à la lecture en général, fidèle à celle du Journal, jour après jour ou par collection, et un lectorat occasionnel, qui ne pratique pas beaucoup la lecture, et qui feuillette les pages ou les numéros du Journal en résonance directe avec ses intérêts et ses sensibilités du moment, sous l’influence des échos propagés par l’opinion publique. Ce dernier exemple est illustré également par “L’Avocat Fr. Ph. Magnon” qui déclare, en toute franchise :

‘Je ne lis guère que ce que je suis obligé de lire, et ce n’est pas le Journal de Paris ; mais assez d’autres le lisent, et un de mes amis, qui l’a lu pour moi, m’a apporté hier la Feuille du 21 de ce mois, où vous rapportez un passage peu honorable à la mémoire de mon bisaïeul Jean Magnon554.’

Bien qu’il ne s’inscrive pas parmi les lecteurs fidèles et enthousiastes du Journal, et que la lecture ne lui importe que pour satisfaire à ses nécessités, l’avocat avoue être entouré d’amis qui le lisent et qui lui font parvenir ce qui nourrit son intérêt personnel. La diffusion et le succès de la feuille de Paris sont tels, que même ceux qui ne le lisent pas sont soumis à une espèce de lecture passive, faite de récits qui circulent dans les cercles qu’ils fréquentent et de lectures occasionnelles, induites par leur entourage. Les deux modes de lecture du Journal se trouvent résumés, de manière comique, dans une lettre relatant le conflit d’un couple parisien dont la femme est éprise de théâtre, et donc des chroniques théâtrales du Journal de Paris, et dont le mari exaspéré consent à devenir souscripteur de la feuille, pourvu qu’il ne soit pas obligé de le lire :

‘Je suis un bon Parisien, par conséquent un bon mari. Envoyez-moi, s’il vous plaît, votre Journal. Pour moi, je ne lis que mes Lettres et le menu de mon dîner, je vous avoue bonnement que j’avais cru pouvoir m’en passer ; mais on m’assure que non, et je veux bien le payer, pourvu que je ne sois pas obligé de le lire (…)555.’

Même ceux qui lisent peu ou nullement ont le moyen ou l’occasion d’avoir accès au contenu du Journal, et finalement de s’y adresser directement. “Pierre Marchant”, qui a sauvé plusieurs personnes de la noyade, déjà présent par le récit de sa bravoure dans les pages du Journal, s’y adresse pour dénoncer un imposteur qui a pris son nom dans un article précédemment publié par le quotidien. Il admet d’emblée que sa lecture du Journal se fait par intermédiation : “‘ Je ne lis votre Journal, je ne sais pas même lire comme il faut ; mais celui du 14 de ce mois m’a été lu en ce qui me concerne ’”556.

Le malade grave, le vieillard chargé d’années, dont la vue est irrémédiablement affaiblie, et même le non voyant lisent ou se font lire le Journal de Paris. ’“Sigault, Docteur Régulier de la Faculté de Médecine de Paris” ne peut se passer du quotidien durant sa maladie :‘ ’“‘ Je n’ai pas cessé pendant la maladie grave qui vient de m’accabler de me faire lire chaque jour votre Journal ’”557.‘ ’Le correspondant signant “Bradel père” prétend avoir une âge qui ne lui permet plus de lire les périodiques, en raison de leurs caractères minuscules. Malgré cet inconvénient, il apprend que son nom figure dans le Journal à travers la lecture de l’article respectif, par un détracteur de celui-ci :

‘J’ai 91 ans : je lis peu : mon but est de conserver et ma vue et d’éviter l’usage des lunettes. La cinquième partie des Journaux, Gazettes, feuilles périodiques, etc. suffirait pour me faire perdre la vue. L’énumération seule des intitulés a quelquefois rempli ma journée, quoique je me lève toujours avec le soleil. Je suis environné de détracteurs de votre Journal, qui après avoir bien épanché leur bile contre vous et vos Souscripteurs, finissent par ne pouvoir se passer de le lire. L’un d’eux vint hier me régaler d’une lettre insérée dans le n°140, fort à son goût, disait-il, parce qu’il y est question de projets d’agrandissement pour les salles de spectacles (….)558.’

Il y a, dans ce genre d’interventions épistolaires, un plaisir de badinage et d’ironie récurent dans la feuille de Paris. Ce qui charme et amuse le lecteur de cette lettre est la compassion pour un pauvre vieillard plaisant, incapable de lire les gazettes, Journal de Paris y compris, qui y a accès à travers un détracteur du quotidien, et qui finit même par se transformer en correspondant de la feuille. Il est certain que les lecteurs du Journal de Paris saisissent l’ironie et comprennent qu’il s’agit d’une lettre fictive, mettant en scène deux personnages significatifs : le lecteur jovial, mais incapable de lire la feuille et le détracteur râleur, toujours prêt à attaquer le Journal, mais qui ne saurait se passer de sa lecture, l’infirmité de l’un servant de béquille à l’handicap de l’autre. Ne peut-on pas y déceler une vision empreinte d’ironie du lectorat et de l’idée de lecture du Journal de Paris, une espèce de miroir déformant que le quotidien offre plaisamment à son public ?

Si la vue est le sens nécessaire à l’acte de lecture, le témoignage d’un non voyant qui apprend à lire le Journal est un évènement qui relève du sensationnel, et qui illustre, à la fois, le caractère indispensable de la lecture du quotidien :

‘J’ai donc enfin le bonheur de lire chaque matin un extrait de votre Journal. Ce n’est pas sur l’imprimé, bien entendu, car il faudrait être sorcier ; mais voici par quel moyen, doublement utile, je me procure cet avantage. Un jeune garçon, muni de bons yeux, qui ne connaît encore que sa Croix de Jésus, et qui brûle d’envie d’en savoir davantage, me nomme, l’une après l’autre, les lettres qui composent votre feuille, ayant soin de m’avertir des intervalles qui séparent les mots. Je les répète sur ma planche, à l’aide de mes caractères mobiles. Je lis ensuite ; et ma lecture sert de leçon à celui même qui me l’a dictée559.’

Dans ce cas, la lecture du Journal est le fruit d’une collaboration de deux sujets qui trouvent le moyen de combler leurs imperfections par leurs habiletés non interchangeables : l’aveugle se fait aider par un garçon qui ne sait pas lire à traduire des bribes de texte du quotidien dans son alphabet et la lecture qui en résulte par le premier, sert de leçon pour le second. Tous deux sont mus par un irrésistible désir de savoir freiné par leurs limites respectives : l’aveugle est impatient de se mettre au courant de la marche d’un monde qu’il ne voit pas, le garçon, dont l’expérience réduite de lecture se limite à un texte religieux, la Croix de Jésus, s’efforce également de sortir de son ignorance. Dans les deux cas, la voie qui porte au-delà de l’obscurité passe par la lecture du Journal de Paris.

Un thème récurrent concernant la réception du Journal est la lecture de ce dernier dans la province. Pour l’habitant de province, occasionnel ou permanent, la possibilité de lecture du Journal de Paris correspond presque à une confirmation d’existence physique de l’endroit en question, à une reconnaissance géographique d’un point que les cartes de l’imaginaire n’ont pas encore localisé. Un lecteur écrit au quotidien qu’il habite “‘ depuis deux jours un coin de terre où votre Feuille, qui va partout, n’est pas encore parvenue ’”560, ’en d’autres mots, un coin perdu de la France, où le réseau de l’information n’a pas encore pénétré. Il ajoute par la suite : “‘ ce lieu fut jadis le port d’où Guillaume de Normandie partit avec une flotte pour conquérir l’Angleterre et la conquit ’”561,‘ ’comme si seule une référence historique pouvait témoigner de son existence réelle. Mais, comme le note ce même lecteur, le‘ Journal de Paris ’arrive “‘ partout ’”‘ , ’à savoir sa diffusion recouvre tous les coins de la province.

S’il existe tout de même des endroits où il n’est pas diffusé, il y en a d’autres où on ne peut lire que la feuille de Paris, comme le signale un lecteur :‘ ’“‘ J’habite ordinairement, Messieurs, une campagne assez éloignée d’une ville, dans laquelle seule je me puis procurer la lecture de votre Journal ’”562 ’Pour un autre lecteur, la diffusion de la feuille de Paris même‘ ’dans les campagnes éloignées des villes, est le signe qu’elle fait déjà le tour de toutes les villes importantes de l’Europe. Cette déduction le détermine à charger le quotidien à retrouver des connaissances qu’il a faites dans sa jeunesse, pendant dix ans de voyage, dans différentes parties de l’Europe :‘ ’“‘ J’aurais peut-être dû m’adresser au Courrier de l’Europe pour cette perquisition ; mais votre Feuille, plus légère, est ’ ‘ sûrement portée dans les principales Villes de cette petite portion de notre petit globe, puisqu’elle parvient jusqu’à mon ermitage ’”563.

Nombreuses sont les lettres, vraies ou fictives, signées par une nuée de Solitaires et d’Hermites, qui arrivent au bureau du‘ Journal, ’de la campagne, non pas endroit de l’ignorance, mais de la retraite paisible du grand âge et de la sagesse, loin du superflu et de la frénésie urbaine, où naissent et se développent les réflexions les plus posées et les plus profondes. Une lettre pompeusement intitulée‘ ’“‘ Très humbles et très respectueuses Remontrances d’un Ignorant de la campagne à Messieurs les Beaux-esprits de Paris, sur divers points d’Histoire, de Politique, de Morale, de Commerce, de Finance, de Sciences, d’Arts agréables et d’Arts utiles ’”‘ ’réfléchit sur le manque d’instruction des provinciaux et sur le devoir des périodiques parisiens d’y subvenir, en usant de la‘ ’“‘ supériorité de vos connaissances et [de] votre établissement dans la Capitale, (…) centre des lumières ’”564.‘ ’L’ironie ne manque pas pour autant de la manière dont le lecteur propose l’habituelle opposition entre les‘ ’“‘ pauvres villageois ’”‘ ’ignorants, dépourvus de moyens de remédier à leur état, et les Parisiens éclairés, incontestables possesseurs des lumières. Il prétend exposer ses idées‘ ’“‘ naïvement ’”‘ , ’ayant recours à sa‘ ’“‘ faible intelligence ’”,‘ ’et admettant sans hésitation l’ignorance provinciale :

‘Nous avons encore à la campagne des préjugés qui nous offusquent. Nous manquons de principes. La préoccupation nous empêche de sentir la liaison de vos raisonnements et de saisir l’ensemble de vos idées. Ce n’est pas votre faute ; c’est la nôtre.
Une fausse honte nous détourne, comme les jeunes gens, d’avouer notre ignorance et de vous demander l’explication des traits que nous avons eu le malheur de ne pas comprendre. Il est vrai cependant, que les Ouvrages périodiques, par qui vous avez soin de nous transmettre vos instructions analysées ; le Mercure, les Journaux accessibles à tout Littérateur seraient propres à vous reporter toutes les difficultés qui nous embarrassent. Je suis assuré que vous les résoudriez avec empressement565.’

Là où “L’Ignorant de la Campagne” semble voir la solution au manque d’instruction des provinciaux, à savoir la lecture des périodiques, un autre lecteur identifie la source même d’une fausse illusion de rapprochement au savoir. Il explique sans ambages que “‘ c’est surtout aux hommes confinés à la campagne, loin de toute communication directe avec les savants, que l’on doit pardonner de chercher quelquefois de l’instruction par la voie des Journaux ’”566. ’Le lecteur provincial enthousiaste de la lecture du Journal exprime ce sens d’ouverture de son horizon :‘ ’“‘ Dans la solitude, où je vis au fond d’une Province, votre Journal est pour moi une fenêtre ouverte chaque ’ ‘ jour sur Paris, de laquelle je me plais à voir tout ce qui arrive de nouveau dans l’empire des Arts, des Lettres et des Sciences ’”567 ’Le confinement à la campagne acquiert donc, selon le cas, le sens d’une retraite paisible, favorable aux penseurs, ou d’espace isolé, de périphérie du savoir, de frontière éloignée d’un centre éclairé, où la lecture du Journal peut être une fenêtre ouverte sur la connaissance du monde, mais aussi une limite.

Pour un “Ancien Major d’Infanterie au Régiment Provincial de**”, la lecture du Journal de Paris est une porte d’accès aux disputes parisiennes du moment, entretenues par des plaisants ou des raisonneurs, auxquelles il entend peu ou rien, et qu’il ne considère pas comme de la‘ ’“‘ vraie critique ’”‘ . ’Qui plus est, il exprime son soupçon que de tels bavardages ininterrompus, concentrés sur le recrutement de partisans et la perpétuation indéfinie des mêmes raisonnements, soient plutôt nuisibles à toute idée de progrès :

‘J’habite en Province, et je ne prétends pas faire le voyage de Paris pour y apaiser les disputes sur la musique, la peinture, sur le corps de baleine et sur la section de la symphise. M Journiac m’assignerait pour les corps de baleine ; M l’Héritier m’interpellerait en faveur de l’opération césarienne, dont aucune femme ne se plaignit jamais vingt-quatre heures après l’avoir soufferte ; les peintres de l’Académie ou ceux du Colisée, me prendraient en partie en fait de peinture ; et quant à la musique, je n’entends rien au raisonneur de M de la Harpe qui se plaint du brailler de M Gluck. Si je me mêlais d’aucune de ces controverses, j’aurai affaire à de rudes plaisants ou à de plus rudes raisonneurs ; en sorte que bien persiflé, bien honni, il faudrait reprendre le coche et m’en revenir à Château-Landon continuer à me taire ou à n’être entendu de personne.
Mais dans la paix morte de ma province, je fais des vœux pour que vos disputes de Paris ne retardent point les Arts au lieu de les avancer, et pour que ces odieuses personnalités cessent enfin de salir les Journaux et cèdent la place à une vraie critique568.’

Dans cette vision, le lecteur de province occupe une position assez ingrate : s’il fait le voyage dans la capitale, à savoir s’il décide de se mêler à son actualité tumultueuse, il risque d’en sortir “‘ bien persiflé ’”‘ ’et‘ ’“‘ bien honni ’”‘ , ’après avoir été tiraillé entre les différents disputeurs. En revanche, rester au fond de sa province signifie se taire et être ignoré par tout le monde. Le lecteur de province se sent donc divisé entre le désir de sortir du silence pesant de son monde, et la défiance du bavardage hautain et intéressé des disputeurs parisiens.

Tout de même, un autre lecteur de la province se montre plus optimiste :‘ ’“‘ Le Journal de Paris est devenu aussi le Journal de Province, et j’en fais ma lecture favorite ’”569 ’et y ajoute, en guise de preuve, une comparaison de celui-ci avec le Mercure de France, ’en faveur du premier. Le lecteur avoue être peu intéressé à ce qui constitue l’esprit et le contenu du‘ Mercure : ’ni les bouts rimés, ni les questions d’amour, ni les logogriphes savants ne sont de son goût, bref, “‘ le Mercure, qui est dans la société la pierre de touche de la sagacité de chaque bel esprit, n’[est] pour moi qu’une pierre d’achoppement ’”‘ . ’Pour le provincial, l’idée d’un Mercure galant, fait de rimes et d’amour, peu soucieux de ses problèmes actuels et peu enclin au changement, est peu attrayante, si bien qu’il refuse littéralement de l’accueillir chez lui : “‘ aussi ai-je grand soin de me tenir clos les jours où le Messager l’apporte ici ; ce qui arrive ordinairement le Dimanche, quand il n’a pas plu la veille ’”570 ’Dans les paroles et les gestes du provincial se profile l’idée d’une concurrence réelle des périodiques parisiens en province, ainsi que d’un choix motivé de la part du lecteur, conscient de ses besoins et de ses préférences, prêt à faire une sélection. Un autre correspondant signant “Don J*F*D*” confirme la large diffusion du Journal de Paris dans les provinces et surtout le grand succès qu’il y remporte, grâce à un public attentif et actif, associé à un terrain fertile :

‘(…) en l’intitulant le Journal de Paris, vous semblez borner sa sphère à la seule Capitale, et je vous assure que c’est lui en supposer une beaucoup trop étroite. Il pénètre dans les Provinces les plus reculées, et c’est peut-être là qu’il produit plus d’effet, comme les graines que les vents ont emportées ne fructifient que les lieux éloignés où leur souffle expirant permet qu’elles se déposent571.’

A en croire ce correspondant, les rédacteurs mêmes du Journal ont sous-estimé le poids et la qualité du public provincial. Cet habitant de province semble revendiquer non seulement, tel le lecteur précédent, le titre de “Journal de Province” pour la feuille de Paris, mais prédit aussi un effet majeur du Journal sur un lectorat nouveau, mais plus réceptif, moins superficiel et plus responsable, injustement négligé par le préjugé de son éloignement du centre physique du savoir et de la nouveauté. Dans une lettre au Journal, “De Longueville, Ecrivain public”572, propose une distinction qualitative entre le lectorat de la capitale et le lectorat de province en fonction des domaines d’intérêt de l’un ou de l’autre : “‘ (…) les ouvrages de pur agrément, tels que les Drames, la Musique, les tableaux sont mieux jugés à Paris que dans nos provinces, mais (…) les ouvrages d’un ordre supérieur qui ne tendent qu’au bon sens, au maintien des mœurs, aux progrès de la vertu, sont mieux jugés par nos Provinces que par la Capitale ’”573 La vieille rivalité entre ville et province se manifeste aussi au niveau de son lectorat : à la capitale donc l’agrément pur, à la province, le bon sens et les réflexions profondes. A Paris on se nourrit de musique, de théâtre et de tableaux, dans la province prennent essor les domaines de la pensée.

C’est toujours “Don J*F*D*” qui offre, en faveur de ses idées, un tableau contrastant de la lecture du Journal par le parisien et par le provincial, dont nous citons volontiers un passage assez long, mais significatif :

‘Si j’en dois croire le rapport de quelques-uns de mes amis, qui ont longtemps habité Paris, voici, à peu près, quel est dans cette grande ville le sort de votre Journal. Un Suisse, ou tout autre Domestique, l’apporte à l’heure du lever, ou à celle de la toilette ; c’est le moment où les grandes affaires commencent. Cinq ou six billets, d’une jolie petite écriture plus agréables à voir et plus commode à lire, se présentent avec lui. Il faut les parcourir, il faut y répondre par d’autres billets. On tortille les uns, on donne les autres à plier, on lit en cachette un soi-même. Pendant ce petit tracas, on jette les yeux sur l’article des Spectacles, et il n’est pas rare que cette lecture rapide n’oblige à écrire deux ou trois billets de plus. –Mon Dieu ! on donne aujourd’hui Richard, et je n’ai pas ma Loge. Madame une Telle ne peut-elle pas savoir de sa sœur si le mari de sa nièce n’a pas prêté la sienne à sa cousine ? –Rappelez ce laquais qui s’en va ; dites au postillon de seller un cheval, etc., etc. Ces grandes affaires terminées, on revient au Journal. Après l’affiche du jour, l’article le plus important est celui des Spectacles de la veille. Cette Pièce est-elle critiquée, on va jusqu’au bout. Le Journal en dit-il du bien, on le pose sur la cheminée en haussant les épaules. Que ce Journal devient ennuyeux ! on n’y trouve plus rien d’intéressant. Le voilà donc condamné à rester là, jusqu’à ce que quelque visiteur désoccupé le parcoure avec distraction en continuant un entretien qui ne perd pas grand-chose à cette diversion. Cependant, il faut sortir ; car on aurait quelque chose à faire chez soi, on n’a rien à faire dehors ; et le pauvre Journal reste abandonné au valet de chambre ou à la femme de chambre qui le lisent avec d’autant plus d’attention qu’ils n’y comprennent rien. Observez, MM, que dans ce tableau on n’a pas spécifié jusqu’ici, si le lieu de la scène est chez un homme ou chez un femme : c’est qu’on m’a assuré que cela était absolument égal, ou que s’il existait une seule différence, c’est que d’un côté, on demande ses bottes, et de l’autre son chapeau et son éventail.
Oh ! Monsieur, qu’on se conduit bien différemment en Province ! là on a du temps, de l’attention à prodiguer ; là on pèse sur les choses, et je pense que c’est pour cette raison que vous trouverez les provinciaux un peu pesants. Quoi qu’il en soit, votre Journal y est lu et relu, et même médité. Les articles plus triviaux sont soumis à la discussion, au commentaire. Je vais vous en donner un exemple. Quelle est la femme à la mode, l’homme du bon air qui ait seulement remarqué un fait dont on vous doit la publicité ? l’Académie française, nous avez-vous dit, vient de remettre pour la quatrième et la dernière fois, le Prix proposé pour un Catéchisme de morale. Eh bien, Messieurs, cet article a beaucoup occupé mes Concitoyens. L’un s’écriait : Combien ne faut-il pas que l’esprit du siècle soit devenu frivole, puisque parmi tant d’Ecrivains, aucun ne s’est trouvé capable de remplir dignement une tâche si utile et si noble ! Je ne parle pas, ajoutait-il, des Plutarque, des Cicéron, des Sénèque ; mais qui doute que les Montaigne, les la Bruyère, les la Rochefoucauld ne se fussent fait un jeu de ce qui paraît aujourd’hui si difficile ?- Un autre répondait avec douceur qu’il était plus aisé à faire de la morale qu’une morale ; que précisément nos Prédécesseurs, tant anciens que modernes, qui avaient le mieux réussi, n’étaient pas ceux qui avaient traité ce sujet en grand et dans une forme didactique ; qu’il en était peut-être de leurs ouvrages comme de ceux des Astronomes, des Physiciens, des Médecins de nos jours, qui ne cessent d’être satisfaisants que lorsqu’ils remontent aux principes et aux causes premières. –Un troisième prétendait que la morale n’étant, pour ainsi dire, que le développement, l’extension de la justice même, pouvait plutôt être inspirée qu’enseignée. Enfin, Messieurs, je vous assure qu’il se dit de très bonnes choses dans cette conversation, quoiqu’elle se tient en Province. (…)574.’

Dans la capitale, la lecture du Journal coïncide avec le moment des “‘ grandes affaires ’”‘ ’mondaines, et se résume à un regard rapide et névrotique sur les articles consacrés aux spectacles du jour et de la veille. C’est une lecture incomplète, empreinte d’automatisme, dépourvue de sens critique, expéditive et inquiète, qui se mêle d’une mise au point de la correspondance du jour et de l’organisation du rituel de la visibilité à travers un compliqué réseau de relations sociales. Le Parisien fait preuve également d’une lecture humorale, distraite, mille fois interrompue par les soubresauts d’une pensée instable, aux prises avec un tas de choses dont le point commun est l’inutilité et le superflu. Si la feuille du jour ne répond pas à son humeur matinale, elle risque de l’ennuyer et de finir sur une cheminée, en attendant que quelque visiteur profite d’un moment de désoeuvrement pour jeter sur elle un coup d’œil, ou qu’elle tombe sous les yeux curieux et ignorants des domestiques et des femmes de chambre. Cette image caricaturale des lecteurs de la capitale, réunissant paresse, superficialité et ignorance, est censée s’attaquer aux préjugés concernant le rapport des provinciaux avec la lecture.

La distinction entre le lecteur parisien et le lecteur provincial consiste essentiellement dans une perception différente du temps. Le Parisien est opprimé par une idée de temps galopant, ses journées sont remplies de devoirs mondains qui ne lui donnent pas un moment de repos et qui l’obligent à une éternelle, harassante agitation. Le temps des provinciaux est en revanche linéaire, la vie est peu troublée par des rituels sociaux spasmodiques, bref, on a le temps de lire et de relire, voire de méditer autour d’un même numéro du Journal. ’Au Parisien affairé qui lit, écrit et pense, en même temps, à sa loge de théâtre, s’oppose le provincial qui fait une lecture patiente et exhaustive du Journal, en se donnant même du temps pour la réflexion individuelle d’une part, la discussion et le commentaire publique de l’autre. Le correspondant de province assure que les articles les plus triviaux sont sujets de discussion pour lui et ses concitoyens, et en guise de preuve, il offre un échantillon d’une conversation entre plusieurs lecteurs de province à propos d’un article du Journal relatant la remise d’un prix pour un Catéchisme de morale. La conclusion est que ce qui n’aurait même pas effleuré la‘ ’“‘ femme à la mode ’”‘ ’ou‘ ’“‘ l’homme de bon air ’”,‘ ’suscite dans un cercle d’habitants de province‘ ’une discussion passionnée, où l’on cite avec désinvolture La Bruyère, Rochefoucauld et Montaigne et on réfléchit sur le rôle de la morale. De “‘ correspondance familière ’ ‘ et journalière entre les Citoyens d’une même ville ’”‘ , ’comme il s’annonçait dans le Prospectus, le Journal se transforme en une correspondance élargie, qui réunit la ville et la province.

François de Neufchâteau, correspondant de province, milite ouvertement pour une juste visibilité des villes de province par la capitale et pour faire tomber les préjugés parisiens sur le reste des centres urbains du royaume. Une bonne raison pour qu’on prête une attention plus constante et moins imbue de stéréotypes aux grandes villes de province, telles Lyon, Strasbourg, Marseille, Bordeaux, est que ces dernières‘ ’“‘ seront quand elles voudront, les émules de Paris pour l’esprit et les Beaux-Arts, comme elles sont déjà ses rivales, à bien des égards, pour l’industrie et l’opulence ’”575 ’Si ces villes n’ont plus rien à envier à la capitale ni de point de vue de la culture, ni des richesses, elles sont des sources d’informations intéressantes au même titre que Paris et, par conséquent, leurs habitants se sentent en droit d’aspirer à la fonction de correspondants du Journal :

‘Permettez-moi de finir aujourd’hui par une observation, ou plutôt par un vœu sur la possibilité qu’il y aurait à mon avis, de vous procurer, des lettres, des articles et des détails relatifs à ce qui se passe dans nos grandes Villes, telles Bordeaux, Lyon, Marseille, Rouen, Strasbourg, etc. ce serait une erreur d’imaginer que le tourbillon de la capitale fût le seul, qui vît éclore dans son sein assez de faits curieux, d’événements piquants, et de scènes variées pour remplir le Poste du Soir. Je crois que nos autres grandes viles vous offriraient en foule des sujets d’observation, et surtout de comparaison, assez intéressants, pour ne point être regardé de vos Lecteurs comme un remplissage étranger et fastidieux576.’

Avec le développement des centres urbains, le tourbillon des événements et, partant, des informations, n’est plus un trait distinctif de la capitale. Le lecteur de province observe, non sans ironie, qu’en dehors des disputes “Lyrico-Dramico-Fanatico-Mélodistes” dont se passionne le public parisien, “‘ il est des objets non moins essentiels, dont pourraient s’occuper constamment les Correspondants que je vous désire dans les grandes villes du Royaume ’”‘ . ’Pour bénéficier de cet élargissement du nombre des correspondants au-delà du cercle parisien, il suffirait de se dépouiller une fois pour toutes des préjugés concernant les provinciaux, qui règnent non seulement dans le rangs des‘ ’“‘ beaux-esprits de la capitale ’”‘ , ’imbus de‘ ’“‘ dédain superbe ’”‘ , ’mais aussi, hélas, parmi les journalistes parisiens. Le lecteur rappelle aussi qu’ “‘ en louant un très-beau Mandement de Monseigneur l’Evêque de**, la plupart des Journalistes de Paris ont paru tout étonnés de trouver tant de raison, d’esprit et d’éloquence à un évêque de province ’”577. ’En outre, il assure que les‘ ’“‘ têtes bien organisées ’”‘ , ’ainsi que le goût et les‘ ’“‘ vues saines et profondes ’”‘ ’se trouvent partout en France. Le lecteur de province plaide ouvertement pour sa reconnaissance et son égalité avec le lecteur parisien. Il n’est plus un simple observateur passif du spectacle parisien, rempli d’étonnement et d’admiration pour la vie tourbillonnante de la capitale, il demande le droit à la parole et à la visibilité, il considère ses propres expériences comme dignes d’être lues et commentées à leur tour par les lecteurs de Paris.

Les lecteurs qui parlent de leurs expériences et de leurs habitudes de lecture de la feuille quotidienne sont les mêmes qui écrivent au‘ Journal ’en tant que correspondants. Lire et écrire au Journal sont en fait deux facettes de la même médaille et les correspondants du‘ ’Journal se plaisent à farcir leurs lettres non seulement des circonstances et des modes qui président à la lecture du quotidien, mais aussi de leurs aspirations d’en devenir les acteurs, des motivations qui les poussent à écrire au‘ Journal, des moyens de fabrication de leurs lettres et de leur style et de leur rapport à l’écriture.

Un Journal qui accueille volontiers et encourage les lettres des lecteurs, publiées telles quelles, ne peut être qu’un espace qui favorise l’expansion du Moi. Les lecteurs du quotidien de Paris sont prêts à l’épanchement, ils l’utilisent non seulement pour communiquer leurs réflexions et leurs interrogations, mais aussi pour parler d’eux-mêmes et pour transmettre leurs émotions. Dans certaines lettres, le Moi s’exprime en rafale, avide de prendre la parole et de se faire voir dans son aspect commun, dépourvu d’éclat et d’exceptionnalité :‘ ’“‘ Je prends ici le ton d’un Académicien, je ne le suis pas, mais j’ai vécu dans le monde, j’ai lu de bons livres, et je sais le français ’”578.‘ ’D’autres insistent sur leurs traits physiques :‘ ’“‘ Je suis un petit homme rond et lourd ’”579,‘ ’leur profession et leurs modes d’être‘  : ’“‘ Je suis un vieux Militaire, Messieurs (…) je ne me suis jamais fait un devoir de passer pour galant ’”580 ’ou encore leur statut civil et moral : “‘ Je suis un bon Parisien, par conséquent un bon mari. ’”581 ’Quelqu’un éprouve même de l’embarras à devoir trop parler de soi : “‘ (…) je n’en éprouve pas moins un grand embarras, c’est qu’il faut que je vous parle sans cesse de moi, et que je ne puis guère me présenter sans vous faire pitié ’”582.

Souvent, les lettres sont écrites sous l’emprise d’une forte émotion, que l’auteur de la lettre tient à partager avec les rédacteurs et le public du Journal. Un lecteur poursuivi par le malheur des voisins qui jouent d’un instrument éclate :‘ ’“‘ Je suis dans une colère épouvantable. Le dépit va m’étouffer, si je ne fais pas du bruit. Permettez donc que je me soulage, ou que je me venge, en vous adressant mes plaintes ’”.‘ ’Une dame étouffée par l’envie de voir une amie plus à la mode qu’elle, s’épanche : “‘ Je suis au désespoir, Messieurs, et quand vous en connaîtrez la cause, non seulement vous ’ ‘ l’approuverez, mais j’espère que encore que vous ne me refuserez pas votre secours ’”583 ’Citons également un autre lecteur ronchonneur :‘ ’“‘ Je suis rendu ; je n’en peux plus ; mais la colère me donnera la force de vous écrire ’”584.

A en croire les lecteurs, ces épanchements ne sont pas de simples caprices, mais ils constituent le moteur même du désir d’écrire au Journal, et par conséquent, ils sont rendus tels quels, comme témoignage et explication du contenu de la lettre. Si certains lecteurs laissent parler les émotions avant de se présenter, un correspondant est convaincu du contraire : avant de parler, il faut se faire connaître :‘ ’“‘ Avant de vous dire tout ce que j’ai sur le cœur, il est bon que je vous informe de ce que je suis ; car il y a tant de gens qui se mêlent de parler de ce qu’ils ne savent pas, qu’il est bon que ceux qui par état sont faits pour prononcer, se fassent connaître ’”585 ’Quoi qu’il en soit, dans un cas et dans l’autre, le moi y occupe une place importante, comme dans tout échange épistolaire à la première personne.

Un lecteur explique le passage de la lecture du quotidien au désir d’écrire, comme un processus naturel. A travers la‘ ’“‘ fenêtre ouverte ’”‘ ’qu’est le Journal, il devient spectateur actif lorsque les nouveautés dans le domaine des Arts, des Sciences et des Lettres qui s’y trouvent relatées, stimulent son jugement :

‘Souvent ce spectacle ne m’amuse qu’un instant, et bientôt après je l’oublie. Quelquefois il captive mon attention, m’invite à réfléchir, à comparer les Acteurs les uns aux autres,vos jugements à ceux du Public ; enfin je me permets de prononcer aussi moi-même, m’établissant ainsi, sans orgueil et sans modestie, censeur des censeurs et juge des juges586.’

Pour ce lecteur, lire et écrire au Journal sont des étapes qui relèvent du fonctionnement pur de la pensée. La lecture attentive s’enchaîne à la réflexion, est suivie par la comparaison et couronnée par le jugement écrit, le tout constituant un mécanisme froid, épurée de toute émotion. Qui plus est, devenir “‘ censeur des censeurs et juge des juges ’”‘ ’“‘ sans orgueil et sans modestie ’”‘ ’correspond à un état de parfaite neutralité, qui est loin d’être propre à tous les lecteurs. Prendre la plume pour s’adresser au Journal est plus souvent un acte empreint d’émotion, l’occasion d’un soulagement, ou d’un épanchement, comme c’est le cas d’un lecteur qui se dit opprimé par les “‘ maux de l’humanité ’” :‘ ’“‘ Je gémissais dans ma retraite sur les maux de l’humanité, mais content de ne les pas avoir à augmenter, je gémissais en silence ; votre n°240 me force enfin de rompre, et à laisser échapper quelques plaintes que mon cœur ne peut retenir ’”587 ’A travers le courrier des lecteurs, le Journal acquiert toutes les caractéristiques de la correspondance épistolaire : familiarité et franchise du langage, liberté de ton, présence massive de l’oralité dans l’écrit, style brut, sans méthode.

Le Journal, nous l’avons vu, se définit essentiellement comme‘ ’“‘ correspondance familière ’”‘ ’ouverte à tous, et en tant que tel, il semble donner priorité à la prise de parole libre, plutôt qu’à la qualité de l’information transmise par le biais du courrier des lecteurs. Aussi, le Journal accueille-t-il dans ses pages même les lettres sans sujet précis, qui suivent le cours tortueux et indéfini des esprits rêveurs, paresseux ou inaptes à l’écriture. Une dame qui se dit‘ ’“‘ tentée ’”‘ ’d’écrire au Journal ne se laisse pas dissuader par son mari qui la réprimande amoureusement :‘ ’“‘ Que manderez-vous, (…) et pourquoi écrire, quand on n’a précisément rien à dire ? ’”588 ’Pour certains correspondants, écrire au Journal ’est un but en soi, peu importent le sujet et le style, principe si bien résumé par un lecteur en une seule phrase :‘ ’“‘ Il me prend fantaisie à entrer en correspondance avec vous ’”589 ’Ce qui compte finalement pour le quotidien c’est de donner libre place à l’expression sans entrave, et à travers elle, aux liens sociaux qui se tissent à travers la parole écrite et publiée, idée qui mène à la formation implicite d’une communauté de lecteurs, ayant en commun un ensemble d’idées et de valeurs.

Ce principe “démocratique” qui régit l’insertion des lettres de lecteurs est parfois sujet de dérision et d’auto-dérision de la part du Journal. Le correspondant signant par le pseudonyme “Dit-Toujours ”, qui écrit pour la rubrique “Spectacles”, met en scène une parodie de l’Auteur du Journal : au début, le défi de la publication :‘ ’“‘ Me voilà donc une fois Auteur ; tâchons de l’être au moins deux fois ’”590 ’suivi par la surprise mêlée de satisfaction de se voir imprimé : “‘ Ah ! comme me voilà changé depuis l’envoi de ma seconde lettre ! j’étais si content d’avoir été imprimé ! ’”591 ’et par la détresse de se voir attaquer‘  : ’“‘ Tandis que je m’applaudis de mon succès, ne voilà-t-il pas que M GDLR entreprend de réfuter ma première lettre ’”592 ’et finalement, le dénouement heureux, la publication d’une nouvelle lettre qui ne trouve pas de détracteur, l’ivresse de la gloire d’être “Auteur” :

‘Enfin, depuis ma dernière Lettre imprimée, je jouis d’un plaisir pur. Ma gloire ne trouve point de contradicteurs ; il me semble que personne n’a pris la plume pour me réfuter. C’est une jouissance que cela. Si je l’osais, je vous prierais de fermer votre Journal à tous mes censeurs, et de faire fête à tous ceux qui auront à me louer. Oh ! on dieu, comme me voilà Auteur593.’

Tout en donnant libre voie à l’expression, le Journal semble en exorciser plaisamment les inconvénients, en publiant des parodies de lecteurs pris par la folie de l’écriture et l’acharnement de se voir publier à tout prix. Le correspondant “Fulvius” va encore plus loin que son confrère, “Dit-Toujours”, lorsqu’il propose une parodie du lecteur-Auteur qui, une fois imprimé, parle du “‘ changement subit qui s’opérait ’”594 ’en lui, et plonge dans la conviction obsessive et puérile que ses expériences les plus banales peuvent devenir objet de publication :

‘Je sors de mon lit. J’ai vu cette nuit tant de choses si curieuses, que je suis tenté d’en jouir encore par le souvenir, en me les rappelant, je vais les transcrire pour vous prier de les imprimer dans votre Feuille ; car depuis que vous m’avez délivré mon brevet d’Auteur, j’ai la rage de parler au Public, persuadé que tout, jusqu’à mes rêves, est fait pour l’intéresser595.’

A l’image du lecteur enivré de l’illusion de son succès d’auteur d’articles, s’ajoute aussi celle du pauvre littérateur qui presse son talent jusqu’à en tirer un maigre logogriphe, qui, une fois agréé par le Journal de Paris, déchaîne contre lui une foule de critiques. Cet exemple badin et pittoresque nous semble significatif pour être un autre témoignage de la force du quotidien de prendre au sérieux ses engagements avec le public, tout en sachant rire des risques et des limites qu’ils impliquent :

‘C’est une terrible chose que le monde littéraire ! Je viens d’y débuter par un des efforts du génie et de l’art qu’on ne saurait trop apprécier, par un Logogriphe enfin . Il vous a plu l’insérer dans votre Feuille du 13 de ce mois, et ce jour était à mes yeux l’un des plus beaux de ma vie. Mais hélas que mon triomphe a peu duré ! La Feuille du 16 m’est remise… une terreur secrète s’empare de mes sens… Je brise d’une main tremblante les liens qui captivent votre Journal…. J’ouvre, et le premier objet dont je suis frappé, est la Lettre qui m’annonce que ma chère production m’a fait encourir à la fois l’indignation d’un Avare, d’un Economiste, d’un Négociant, d’un Géographe, d’un Courtisan, d’un Musicien, d’une Vieille enrhumée, et surtout d’une jolie Brune. Je dis surtout :que personne ne s’en offense ! Je suis encore dans l’âge où rien n’affecte plus vivement que le courroux d’une jolie femme596.’

Ecrites sous l’emprise de l’urgence de parler ou par pure “fantaisie”, “Lettres aux Auteurs du Journal” se caractérisent par le refus de méthode dans le style. La feuille de Paris est, rappelons-nous, le réceptacle‘ ’“‘ des idées fugitives de ceux qui n’ont ni le temps, ni la volonté de composer des ouvrages de longue haleine ’”597 ’C’est d’ailleurs sur le terrain même de la brièveté, de la légèreté et du caractère fragmentaire, inachevé, que se rencontrent le périodique et la correspondance épistolaire, comme formes d’énonciation. Qu’il s’agisse de projets et de rêveries, le procès d’écriture suit librement les méandres de la pensée, avec ses obstacles, ses points d’apogée et ses hésitations. La‘ ’“‘ correspondance familière ’”‘ ’dont rêvent les rédacteurs du Journal n’est pas moins une conversation élargie à tous les correspondants, caractérisée par oralité, ton détendu et franc, et style brut. Les séries de lettres échangées entre correspondants autour d’un sujet, et les lettres dialoguées598 ’reproduites par le Journal, relèvent aussi du plaisir de la conversation. C’est ce dernier, associé à l’utilité d’un sujet, tel la bienfaisance, qui a priorité sur le style des lettres.

En effet, après avoir expliqué que son métier ne lui a pas permis‘ ’“‘ d’étudier l’art de bien dire ’”‘ ’et tout en demandant‘ ’“‘ grâce pour [son] style ’”‘ , ’un capitaine de dragons assure les rédacteurs qu’il a‘ ’“‘ des bienfaits à (…) révéler, des vertus à (…) peindre ’”‘ , ’persuadé que‘ ’“‘ de pareils sujets peuvent se passer du charme des expressions, et de la magie des couleurs ’”599 ’Si l’art d’écrire semble constituer un obstacle pour le lecteur qui veut s’adresser au Journal, il découvre vite que les ornements stylistiques ne sont pas essentiels pour entrer en correspondance, et que des thèmes tels la vertu, la bienfaisance, le bonheur public touchent suffisamment fort la communauté des lecteurs du Journal pour en avoir la pleine adhésion.

Le périodique quotidien est aussi le support idéal pour les esprits qui, las d’organiser leurs réflexions dans des ouvrages massifs, régis par une méthode, et soumis aux pressions de la gloire littéraire, préfèrent s’adonner à la libre méditation, accueillir les pensées dans leur désordre et leur spontanéité. Tel est le cas du “Solitaire des Pyrénées”, qui justifie ses lettres au Journal comme une entreprise dépourvue de toute ambition et de toute contrainte stylistique : “‘ je ne veux pas faire un roman. Je reviens après tant d’années d’insouciance sur les objets la gloriole de la Littérature ce qui me détermine, après un si long sommeil de mon esprit, à vous prier d’imprimer les songes d’un réveil ’”600 ’Cependant, une fois sa première lettre publiée, il ne peut pas s’empêcher d’éprouver une‘ ’“‘ émotion vraiment paternelle ’”‘ ’envers sa production, observe :‘ ’“‘ L’Amour-propre d’Auteur survit donc à tous les intérêts qui peuvent l’exciter et le nourrir ! ’”601.

Le Journal de Paris est le réceptacle des ouvrages embryonnaires ou inachevés, des projets en cours d’élaboration, des idées indéfinies et fragmentaires, des esquisses, des rêves et des songes éveillés. A la différence des lecteurs de Paris, empressés, impatients et emportés par les émotions, passionnés par les débats, les querelles et les nouveautés de toutes sortes, et qui mettent souvent leurs lettres sous le signe de l’urgence et de l’imminence, “Le Solitaire des Pyrénées”, comme d’autres “Solitaires”, correspondants du quotidien, vivant et écrivant dans un‘ ’“‘ état de douce mélancolie ’”‘ , ’“‘ d’indépendance de tous les devoirs de la société et de tous les besoins de la vie, d’entier abandon aux instincts de la nature et aux mouvements de la fantaisie ’”602, ’semble annoncer l’esprit romantique603 :

‘Ce goût pour la lecture et la méditation qui m’a repris avec une vivacité qui m’étonne souvent moi-même, m’a fait concevoir plusieurs fois l’idée d’écrire un grand ouvrage. J’ai fait le plan de plusieurs ; j’en ai commencé quelques-uns ; mais le courage m’a bientôt manqué ; j’ai senti que, pour un esprit actif et accoutumé à réfléchir, ce n’était qu’un amusement agréable que de jeter sur le papier les idées à mesure qu’elles naissent à la vue des objets qui nous frappent, ou à la suite des méditations qui nous ont occupés. Mais concevoir un grand plan, en disposer avec ordre toutes les parties, donner à chaque idée de la place, l’étendue, la couleur qui conviennent à son objet, c’est un travail long et pénible auquel on ne peut être encouragé que par un grand intérêt. Mais à mon âge, dans la solitude et l’oubli du monde où je veux achever de vivre, quel intérêt assez puissant pour me payer d’un si grand sacrifice !604

Il est d’ailleurs intéressant de voir cet “esprit romantique” avant la lettre trouver dans le Journal de Paris son espace d’expression idéal, où ses idées sont accueillies à mesure qu’elles naissent, dans l’ordre aléatoire de la pensée et dans l’absence consciente et voulue d’un plan, d’une organisation raisonnée, d’une harmonisation longuement recherchée de la forme et du contenu. Le Journal s’ouvre par sa nature fragmentaire, inachevée, au tourbillon de la pensée, au domaine des rêves éveillés et de la fantaisie. Ce qu’ils ont encore en commun, “Le Solitaire des Pyrénées ” et le Journal de Paris, c’est qu’ils sont tous les deux ennemis des formes élaborées et des travaux longs et pénibles. Le premier lui préfère les associations libres de la pensée, quant au Journal, il cultive la brièveté , la légèreté plaisante, la familiarité et la franchise, traits propres à la “conversation”, ayant pour interlocuteurs la totalité de ses correspondants.

Tout en étant le lieu de l’expression personnelle, et de la mise en scène du Moi du lecteur-correspondant, avec ses idiosyncrasies, ses sensibilités, ses émotions et ses habitudes de lecture et d’écriture, le Journal de Paris se donne un rôle actif de liant et de réformateur social. Rappelons les paroles d’Eugène Hatin qui relèvent cette dimension du quotidien :

‘(…) le Journal de Paris continua d’être, comme on dirait aujourd’hui, une tribune accessible à tous, ouverte à toutes les plaintes, à toutes les réclamations, à tous les débats. C’est là surtout ce qui fait l’intérêt de cette feuille, où venaient se répercuter tous les jours le bruit et les préoccupations, et, en quelque sorte, la physionomie de la grande ville605.’

De quelle manière se manifeste cette fonction réformatrice du Journal et quel en est le rapport avec le pouvoir en place ? Le rôle réformateur du quotidien n’est pas seulement exprimé explicitement, il se manifeste aussi à travers une volonté manifeste d’agir sur le réel, de construire un monde fait sur la mesure des valeurs qu’il véhicule. Quels sont donc les moyens d’action du Journal sur le monde dont il se veut à la fois le reflet et le projet de réforme ?

Notes
537.

“(…) je vous dirai tout franchement que je lis très exactement votre Journal’”, Ibidem, 14 août 1780; “Spectacles” ;“Je lis exactement votre Journal, Messieurs, je trouve en général du tact et du goût dans les jugements que vous portez”, Ibidem, 11 mai 1785, “Variété”.

538.

Une Dame très aimable, qui lit assidûment le Journal de Paris, a vu dans votre feuille du 19 janvier dernier, une Lettre de M l’Abbé de SL sur la Palingénésie”, Ibidem, 30 juillet 1781, “Variété”.

539.

Ibidem, 28 avril 1779, “Aux Auteurs du Journal”.

540.

Ibidem.

541.

Ibidem, 10 mars 1782, “”Variété”.

542.

Ibidem, 24 avril 1777, “Arts ”.

543.

Ibidem, 31 décembre 1782, “Histoire”.

544.

Ibidem, 13 décembre 1785, “Variété”.

545.

Ibidem, 14 avril 1785, “Bienfaisance”.

546.

Ibidem.

547.

Ibidem, 28 juin 1785, “Médecine”.

548.

Ibidem, 29 août 1777, “Lettre Aux Auteurs du Journal”.

549.

Ibidem, 23 septembre 1777, “Aux Auteurs du Journal”.

550.

Ibidem, 4 octobre 1777, “Aux Auteurs du Journal”.

551.

Ibidem, 16 septembre 1779, “Aux Auteurs du Journal”.

552.

Ibidem, 24 janvier 1779, “Aux Auteurs du Journal”.

553.

Ibidem, 11 janvier 1787, “Bienfaisance”.

554.

Ibidem, 3 mai 1787, “Variété”.

555.

Ibidem, 22 janvier 1778, “Lettre aux Auteurs du Journal”.

556.

Ibidem, 20 septembre 1778, “Aux Auteurs du Journal.”

557.

Ibidem, 1er novembre 1779, “Aux Auteurs du Journal”.

558.

Ibidem, 28 mai 1777, “Lettre aux Auteurs du Journal”.

559.

Ibidem, 5 mai 1785, “Lettre d’un Aveugle-né aux Auteurs du Journal”

560.

Ibidem, 1er août 1786, “Variété”.

561.

Ibidem.

562.

Ibidem, 12 avril 1782, “Variétés”

563.

Ibidem, 16 octobre 1785, “Variétés”.

564.

Ibidem, 27 octobre 1783, “Variété”.

565.

Ibidem.

566.

Ibidem, 9 septembre 1783, “Physique”.

567.

Ibidem, 5 octobre 1780, “Variétés ”.

568.

Ibidem, 5 novembre 1777, “Lettre aux Auteurs du Journal de Paris”.

569.

Ibidem, 20 janvier 1786, “Variété”.

570.

Ibidem.

571.

Ibidem, 29 septembre 1786, “Variété”.

572.

Le Journal général de France note ainsi le rapport de Longueville avec le Journal de Paris: “M de Longueville est un fort honnête-homme, et même instruit, que ses malheurs ont réduit à l’état d’Ecrivain public. Une ou deux lettres qu’il a fait insérer vers la fin de l’année dernière dans le Journal de Paris, lui acquirent quelque liberté” 13 mai 1778, Livres nouveaux.

573.

Journal de Paris, 4 février 1779, Aux Auteurs du Journal.

574.

Ibidem.

575.

Ibidem, 24 février 1778, “Seconde Lettre de M François de Neuf-Château, aux Auteurs du Journal”.

576.

Ibidem.

577.

Ibidem.

578.

Ibidem, 13 juillet 1781, “Belles-Lettres ”.

579.

Ibidem, 20 septembre 1785, “Variété”.

580.

Ibidem, 15 décembre 1777, “Lettre aux Auteurs du Journal.”

581.

Ibidem, 22 janvier 1778, “Lettre aux Auteurs du Journal”.

582.

Ibidem, 18 juin 1781, “Aux Auteurs du Journal.”

583.

Ibidem, 9 février 1786, “Variété”.

584.

Ibidem, 16 novembre 1782, “Variété”.

585.

Ibidem, 17 juin 1777, “Aux Auteurs du Journal”.

586.

Ibidem, 5 octobre 1782, “Variétés”.

587.

Ibidem, 11 septembre 1781, “Variété”.

588.

Ibidem, 6 juin 1777, “Aux Auteurs du Journal de Paris”.

589.

Ibidem, 25 juin 1787, “Variété”.

590.

Ibidem, 9 janvier 1782, “Spectacles ”.

591.

Ibidem, 12 janvier 1782, “Spectacles”

592.

Ibidem.

593.

Ibidem, 31 janvier 1782, “Spectacles”.

594.

Ibidem, 24 décembre 1777, “Seconde Lettre de Fulvius aux Auteurs du Journal”.

595.

Ibidem, 2 janvier 1778, “Lettre de Fulvius aux Auteurs du Journal de Paris ”.

596.

Ibidem, 20 mars 1782, “Variété”.

597.

Ibidem, 10 décembre 1788, “Variétés”.

598.

Le 24 juillet 1777, le Journal publie “Petit dialogue véritable” entre MA, lecteur passionné du Journal de Paris, et MB, qui s’ennuie terriblement à lire le quotidien à cause de ses infinis articles sur la musique et ses plaisanteries. Le dialogue est suivi par une note des rédacteurs précisant : “Cet article est d’une personne qui n’a encore rien envoyé à ce Journal ; elle assure que cette conversation est vraie, et qu’elle y faisait le rôle de MA.”.

599.

Ibidem, 18 juin 1781, “Aux Auteurs du Journal”.

600.

Ibidem, 25 juin 1787, “Variété”.

601.

Ibidem, 8 août 1787, “Variété, Troisième lettre du Solitarie des Pyrénées aux Auteurs du Journal”.

602.

Ibidem.

603.

Les rêveries du promeneur solitaire de Jean-Jacques Rousseau sont publiées en 1782.

604.

Journal de Paris, “Variété, Troisième lettre du Solitaire des Pyrénées aux Auteurs du Journal”.

605.

Histoire politique et littéraire de la presse en France.