Le journaliste

Son éclectisme, sa familiarité avec la plume, son contact direct avec le monde des arts font d’Antoine Renou la personne appropriée pour la fonction de correspondant pour les arts visuels au Journal de Paris. N’ayant pas d’accès à l’information politique, afin d’assurer le succès de leur entreprise, les rédacteurs du quotidien de Paris semblent miser, dès le début, sur les arts en général, en témoigne l’espace qu’ils assignent à la musique et aux arts visuels, au moins pendant ses deux premières années d’existence. L’acquisition d’un artiste comme correspondant permanent du Journal est une nouveauté absolue, voire un geste hardi, dans la presse périodique de l’époque, et constitue, selon nous, une stratégie des journalistes pour attirer un nombre plus grand d’abonnés. D’autre part, on peut imaginer que la place de correspondant artistique dans un périodique qui s’annonce innovateur et ambitieux, doit être vue par Renou l’occasion d’exercer ses passions littéraire et artistique, de valoriser son titre de secrétaire de l’Académie, ainsi que de mettre en pratique son penchant naturel pour le jeu, le théâtre et la conversation.

La lettre des rédacteurs qui annonce le correspondant pour les arts, précise qu’il s’agit d’un “‘ artiste célèbre ’”‘ , ’qui préfère, au moins dans un premier moment, tenir cachée son identité. En effet, Renou ne signe pas ses lettres au Journal de son nom avant le 17 juillet 1777, lorsqu’il commence à s’occuper des notices nécrologiques des artistes de l’Académie. Durant les premiers mois de sa collaboration avec le quotidien, il signe ses lettres sous deux pseudonymes, “L’Ami des Artistes”, et “Le Marin”, nommé plus tard, Kergolé. Le premier se présente au rendez-vous avec les abonnés du‘ Journal pendant cinq lettres, dans lesquelles il se propose de dresser un tableau de l’art contemporain en France. C’est une occasion pour Renou de parler de la‘ ’“‘ liberté des arts ’”‘ , ’suite à la suspension de la corporation des peintres, de ridiculiser les faux amateurs qui pullulent aux ventes de tableaux, de réhabiliter l’art de la mosaïque, de critiquer la peinture maniériste et de louer les efforts de l’administration de d’Angiviller pour l’encouragement de la peinture d’histoire.

D’autre part, il invente le masque d’un marin breton, bavard et curieux, qui a toujours le juron prêt et qui arpente la capitale en quête de nouvelles productions artistiques, qu’il livre aux abonnés du Journal dans un langage enjoué et piquant. Pendant quatorze lettres, publiées entre le 1er mars 1777 et le 16 janvier 1778, “Le Marin” saute d’un sujet à l’autre, touchant d’une manière fugitive et ludique à plusieurs aspects des arts de son temps. Il adhère à un type d’écriture frugale et morcelée, qui privilégie la brièveté, la concision et le désordre, ainsi que les divagations et l’assemblage de matériaux disparates. Dans ce sens, le style du “Marin” se fond avec celui de “L’Ami des Artistes”, premier masque de Renou, qui, dans sa première lettre au Journal appelait ses réflexions sur les arts des “‘ larcins ’”‘ ’jetés sur papier‘ ’“‘ au courant de la plume ’”, envoyés au quotidien tels qu’ils lui sont tombés sous la main et comparés avec les traits légers, à caractère préparatoire, de l’esquisse. Lorsque l’Amateur ajoute : “‘ Les longs ouvrages me font peur ’”1186, ’il parle également au nom du “Marin”, qui coud dans ses lettres des nouvelles artistiques, des jugements critiques, des observations générales sur les arts, des anecdotes, des réflexions sur le fonctionnement du périodique quotidien et des digressions sur son propre style et sur d’autres correspondants du‘ Journal.

Quels sont les thèmes artistiques abordés par “Le Marin” dans ses lettres au quotidien ? Inspiré par la publication, en 1777, dans le‘ Journal de Paris ’des prix des tableaux touchés lors des ventes des collections de Randon de Boisset et de Blondel de Gagny, Renou, sous le masque du “Marin”, fait quelques observations à propos du rapport de l’artiste avec l’argent1187. ’Il plaide pour la reconnaissance matérielle des œuvres réalisées par des artistes contemporains et dénonce les spéculations de certains amateurs attirés par le gain. “‘ Vous dites, dans je ne sais quelle feuille, que les Tableaux de l’Ecole Française sont montés dans les ventes à un très haut prix, et vous ajoutez qu’il est flatteur pour les artistes de jouir de leur gloire dès leur vivant ’”‘ , ’observe Renou, et continue : “‘ Ne serait-il pas aussi doux pour eux d’en recuillir les fruits ? ’”‘ . Il s’emporte contre ’“‘ ceux qui ont l’injustice d’acheter les tableaux des grands maîtres à vil prix, et l’adresse d’attendre ou leur mort, ou un moment de vogue pour les vendre ’”1188 ’Pour illustrer son idée, Renou imagine un exemple de justice rendue à un artiste contemporain par un amateur désintéressé, dont le gain le plus important est le plaisir de pouvoir contempler le tableau acquis à son gré :

‘Pour moi, si j’étais amateur ; si j’achetais par exemple, une marine de Vernet, je les aime beaucoup, quand je les voix les pieds me brûlent de remonter sur mon bord ; si donc je lui en avais donné un prix raisonnable en mon âme et conscience, et que quelques années après, me prenant caprice de m’en défaire, on m’en offrit le double et le triple, je l’accepterais ; mais alors j’envoierais chercher mon homme à talents, ou plutôt je me transporterais chez lui et lui dirais ; Mon cher, je vous ai donné (supposons) cinquante louis de tel tableau, je viens de le céder pour deux cent. Voici les cent cinquante louis de surplus ; ils sont à vous, je vous les restitue. Quant à moi, le plaisir de la vue de votre Ouvrage m’a payé à usure l’intérêt de mon argent1189.’

Il revient sur ce sujet dans sa troisième lettre au Journal, dans laquelle il exprime sa satisfaction quant au prix atteint par la Visitation de Honoré Fragonard (“‘ Ce tableau est bien payé, et il vaut l’argent ’”1190) ’ et déplore le prix modeste auquel on a acquis Le Mariage de St Joseph et de la Vierge de Carle Vanloo (“‘ J’aurais donné douze mille francs de ce diamant et j’aurais cru l’avoir à bon marché. Je vois à présent que le taux des ouvrages n’est pas toujours la mesure de leur mérite ’”1191). ’Dans le reste de ses lettres au quotidien, “Le Marin” choisit ses flâneries imaginaires dans la capitale comme moyen de parler des arts. Ses réflexions sur les arts sont plutôt brèves, inspirées par ses promenades et moulées dans un langage ambigü, à la fois poli et grossier, brusque et recherché, sérieux et frivole.

Dans sa seconde lettre, “Le Marin” se plaint du torticolis que lui a causé une tentative échouée d’admirer les ouvrages extérieurs du portail de Saint-Sulpice, masqué par un édifice‘ ’“‘ lourd ’”‘ ’et‘ ’“‘ lugubre ’”‘ . ’Il se console devant une fenêtre ouverte sur la galerie du Louvre, occasion pour Renou d’insérer un éloge du projet de Musée entrepris par le directeur des Bâtiments1192. ’La quatrième lettre du “Marin” relate sa promenade au Jardin du Roi, où il s’est rendu pour admirer le buste de Buffon réalisé par le sculpteur Pajou. A l’instar de ses contemporains, “Le Marin” se montre sensible aux représentations des grands hommes ; au-delà des qualités artistiques de l’œuvre, il saisit‘ ’l’occasion d’un face à face avec le passé glorieux, dont le grand homme est la trace significative :

‘On est toujours curieux de voir les traits d’un grand homme. Je ne l’ai jamais vu. Mais d’après ses écrits, je me figurais qu’il devait avoir bonne mine. Morbleu, j’avais raison ; il a l’air d’un chef d’escadre ; il a l’œil du génie ; il semble lire dans le ciel ce qu’il écrit et écrire ce que le ciel lui dicte. Il n’est pas jusqu’au mouvement de ses cheveux qui annonce une inspiration divine1193.’

Renou plaide aussi pour la réhabilitation de la mosaïque comme genre idéal pour la conservation des chefs-d’œuvre contre les dégâts du temps. C’est d’abord en tant qu’ “Ami des Artistes” qu’il exprime son opinion là-dessus1194, pour passer plus loin la relève à son autre masque, “Le Marin”. Afin de défendre son propos devant un critique de la mosaïque, Renou a recours encore une fois au voyage imaginaire : “‘ J’ai sous les yeux, dans le moment que je vous écris, un petit tableau de Mosaïque que j’ai rapporté de Rome, et j’ai beau l’examiner, je n’y trouve aucun des défauts que l’Anonyme reproche à ce genre de peinture ’”1195 ’Dans une autre lettre, “Le Marin” raconte en revanche sa déception devant la dégradation visible de la coupole de la cathédrale de Parme, peinte par le Corrège en 1530, et qui, à son avis, aurait eu un autre sort si elle eût été exécutée en mosaïque1196. ’Si Renou n’a pas fait son voyage en Italie, il le fait faire au moins à ses masques du Journal de Paris.

Dans ses vadrouillages artistiques, “Le Marin” passe devant la statue équestre de Louis XV par Bouchardon qu’il définit, de manière fort concise,‘ ’“‘ la plus belle figure équestre de l’Europe ’”‘ ’et découvre avec étonnement, à travers une grille, une maison privée réalisée par l’architecte Etienne-Louis Boullée‘ . ’Si, au premier coup d’œil, celle-ci se révèle aux yeux étonnés du Marin comme un‘ ’“‘ Théâtre élevé en plein air ’”‘ , ’après un bef examen, elle lui apparaît comme‘ ’“‘ une retraite enchantée au milieu d’une solitude ’”‘ , ’“‘ un temple [élevé] au repos et à la beauté ’”1197, ’endroit de rêve pour tout homme de mer fatigué par les voyages. Dans sa dixième lettre, à la demande de son neveu, “Le Marin” s’arrête sur le chantier de Sainte-Geneviève, dont Soufflot‘ ’conduit les travaux, pour prendre la défense de l’architecte contre ses nombreux détracteurs et pour faire l’éloge de son ouvrage :

‘Laissons là tous les détracteurs ignorants et jaloux et les froids calculateurs. C’est au sentiment de décider des productions de génie. Quelle âme ne s’élève et ne se sent pénétrée de respect à la vue de ces superbes colonnes, qui semblables aux cèdres du Mont Liban, soutiennent un fronton immense, et jettent une ombre majestueuse sur l’entrée de cette basilique ? pourra-t-on promener ses regards sans émotion, à travers ces rangs de colonnes qui portent légèrement et sans effort les voûtes de l’intérieur ? Mais toujours des colonnes ! me diront les Critiques : eh ! pédants que vous êtes !, pour quel édifice lus auguste l’Architecture doit-elle déployer ses plus riches ornements ? N’avez-vous pas de honte de raisonner ainsi. Oui, je vous soutiendrai malgré vos cris et vos croassements, que l’ordonnance de ce temple consacré à l’être Suprême, semble avoir inspiré par un souffle divin1198.’

Après ses réflexions sur l’église de Sainte-Geneviève, en annonçant, dans sa onzième lettre au Journal, une suite d’estampes sur les modes et le costume en France, au XVIIIe siècle, “Le Marin” introduit le sujet frivole dans la rubrique artistique qui lui est confiée, et explique ainsi son‘ ’choix‘ :

‘Je parlais la dernière fois d’un des plus beaux monuments commencés sous le règne de Louis XV, et que nous verrons achevé sous son Auguste Petit-fils. Aujourd’hui je déviserai avec vous sur la Seconde suite d’Estampes pour servir à l’histoire des modes et du costume en France dans le dix-huitième siècle. Cela s’appelle passer du cèdre à l’hysope ; j’en conviens ; mais pourquoi pas ? le véritable Amateur applaudit à toutes les bonnes productions en tout genre. Si l’on a tenu parole au Public, s’il a lieu d’être content, pourquoi ne pas le dire ? D’ailleurs, cette entreprise frivole en apparence, a son côté d’utilité. Si ce projet eût été conçu, exécuté ou exécutable plutôt, les Artistes chargés de représenter les traits anciens de notre Histoire et les Héros des premiers temps de la Monarchie ne seraient point réduits à chercher à tâtons sur les vitraux des Eglises gothiques les habillements et les armures de nos Ancêtres. Il est bon d’encourager cete entreprise. Je n’en avois pas grande opinion d’abord, je l’avoue, parce que les modes ne m’intéressent guère ; mais la réflexion et le hasard qui m’a fait connaître ces estampes ont changé mes idées1199.’

“Le Marin” explique que pour voir ces estampes, il s’est rendu à la cour et s’est introduit dans l’appartement même de la Reine, au moment où on lui présentait les estampes sur les modes. Après les avoir vu par-dessus les épaules des dames, il avoue s’être empressé de les acheter à Paris, pour les examiner avec plus d’attention. Renou attire ainsi l’attention sur la légitimité des sujets considérés comme frivoles, à occuper la rubrique artistique du Journal. Le quotidien lui-même ne se proposait-il pas, dès son Prospectus, de s’occuper de choses frivoles sans tomber pour autant dans la frivolité ?1200 Ce qui se présente comme un ouvrage frivole, dédié à une occupation propre aux esprits légers, possède, avertit Renou, sa dignité et son utilité. Il suffit donc d’insérer un ouvrage sur les modes dans l’histoire de la représentation pour lui ôter son caractère frivole, lié à la vulgarité de l’instant, et le rendre digne de l’attention du lectorat d’un périodique sérieux. Renou saisit ainsi l’occasion pour s’opposer à une certaine orthodoxie de la presse quant aux informations artistiques : il veut montrer que l’on peut très bien parler, dans un périodique, du souffle divin qui a inspiré l’église de Sainte-Geneviève et d’une histoire des modes et des costumes, sans en miner le sérieux et sans tomber dans la pure légèreté.

En alternant le masque de l’amateur sobre et avisé et celui du marin breton grossier et jovial, Renou trouve le moyen de satisfaire deux exigences distinctes : parler des arts d’une manière sérieuse, signalant de façon élogieuse les réalisations de l’administration de d’Angiviller, et proposer une approche ludique et légère des arts visuels, signée par la bonne humeur et le rire. Le Journal représente le terrain où le peintre-écrivain peut finalement mettre en valeur ses connaissances théoriques et pratiques sur les arts et sa passion pour les lettres, autrement dit, où la plume et la pallette peuvent finalement coexister dans un cadre unique. Le masque du “Marin” permet à Renou d’exercer à son gré ses compétances littéraires et de livrer au lectorat du Journal, des informations artistiques régulières et non limitées au seul Salon, enveloppées dans une forme agréable et amusante. Avec son talent d’homme de cour, Renou propose aux lecteurs de la feuille de Paris une façon élégante, enjouée et familière d’aborder les arts visuels et de les insérer dans leur quotidien. “Le Marin” représente d’ailleurs le premier masque du Journal de Paris, ’celui qui stimule le dialogue avec d’autres masques du quotidien, qui se mêle facilement de sujets qui n’ont pas trait aux arts visuels et qui devient familier au point d’être cité fréquemment dans les lettres des lecteurs. On pourrait dire que c’est à Renou que revient la tâche de tracer les premières lignes de la correspondance ouverte et familière entre les différents lecteurs et correspondants du quotidien, telle qu’elle avait été annoncée par les rédacteurs, dans le Prospectus.

Comment Renou construit-il son masque, connu sous le nom du “Marin”, quels sont les moyens littéraires auxquels il a recours pour donner vie à son personnage et quelle est la place qu’il occupe dans le‘ Journal  ’? C’est le 1er mars 1777 que “Le Marin” entre en scène pour la première fois : “‘ Morbleu, MM les journalistes, puisqu’il vous prend à tout le monde la fantaisie de vous écrire, je veux moi aussi m’en mêler. Je suis homme de mer ’”1201 ’Il se présente d’emblée comme “Monsieur tout le monde”, poussé par le désir irrésistible de s’adresser à un périodique ouvert à tous, et se donne pour tâche d’informer les lecteurs du Journal des nouveautés artistiques saisies au vol dans ses vadrouillages dans la capitale.

Au-delà de cette fonction précise, “Le Marin” se laisse facilement emporter par le plaisir des digressions. Il se plaît souvent à converser avec les rédacteurs à propos du Journal, dont il souligne, de façon complice, les innovations et le succès. Sa quatrième lettre commence par des réflexions sur l’importance croissante du périodique quotidien dans la vie des Parisiens :

‘Savez-vous, mes braves Journalistes, que je commence à m’accoutumer au roulis de votre galiote littéraire ? Je ne puis plus m’en passer. Il me faut tous les matins ma pipe et le Journal. Je vous donne ma parole qu’on s’y habituera comme au tabac. La raison en est simple, c’est qu’il est établi sur un usage de toute antiquité parmi les hommes, de tous les temps on s’est demandé, en se rencontrant : quid novi ? qu’y a-t-il de nouveau ? Vous vous êtes chargés de nous l’apprendre sans sortir de chez nous ; cela est commode. Il est vrai que les nouvelles, dont vous êtes porteurs, ne s’étendent guère plus loin que la ville ; mais Paris est un si grand vaisseau, que tel, qui est à la poupe, ne sait pas ce qui se passe à la proue1202.’

La métaphore de la “ville-navire” est relayée par celle du “journal-navire” (tour à tour “‘ barque ’”‘ , ’“‘ felouque ’”‘ , ’“‘ paquebot ’”‘ ’ou‘ ’“‘ galiote ’”‘ ) ’, que “Le Marin” introduit dans sa cinquième lettre, à l’occasion d’une omission des journalistes :

‘J’ai découvert ces jours derniers, une nouvelle production d’un de nos Artistes, dont vous ne sonnez mot. Vous me répondrez peut-être qu’elle n’est pas venue à votre connaissance ; tant pis, morbleu. Quand on commande un équipage, on doit toujours avoir une dizaine de petits pilotins à envoyer au haut des mâts, pour aller à la découverte. Est-il décent qu’un Capitaine de vaisseau vous serve de mousse ? je le veux bien pour aujourd’hui, mais n’y revenez plus1203.’

Parfois, Renou aborde le même sujet sous plusieurs masques. Si le 18 mars 1777 “L’Ami des Artistes” livre au Journal un plaidoyer pour la réhabilitation de la mosaïque en France, suite à une critique de ce genre, Renou revient sur le sujet le 16 avril 1777, sous le pseudonyme du “Marin”. Le correspondant artistique du quotidien semble d’ailleurs se plaire au jeu des masques qu’il change d’un numéro à l’autre et qu’il s’amuse même à faire dialoguer. En observant que le Journal“‘ est un coche où chacun porte son paquet pour être remis à son adresse ’”‘ , ’“Le Marin” salue l’autre masque de Renou : “‘ Souhaitez bien le bonjour à votre Amateur ; il me plaît, parce qu’il est honnête et impartial ’”1204 ’Si la lettre qui défend la mosaïque est signée simplement “Kergolé”, cinq jours plus tard, “Le Marin” intervient pour éclairer le mystère de ce nouvel arrivé :‘ ’“‘ Quel est ce M Kergolé qui plaide pour les Mosaïques ? Kergolé n’est-il pas le Marin ? Le Marin n’est pas moi ? je ne connais de Kergolé dans ce pays-ci que votre serviteur ’”1205.

Ces exemples montrent que Renou sait utiliser avec habileté le jeu des masques et de miroirs qui régissent la correspondance journalistique. En se préparant à rendre compte du Salon de 1777, les rédacteurs annoncent une collaboration conjointe entre les deux masques de leur correspondant artistique‘  : ’“‘ Nous n’entrerons aujourd’hui dans aucun détail sur toutes ces productions. Nous espérons (dans le cours de cette exposition qui dure un mois) que nos Correspondants, l’Amateur et le Marin, avantageusement connus dans notre Journal pour leur honnête impartialité, voudront bien nous aider de leurs lumières ’”1206. ’Après avoir révélé aux lecteurs que “Le Marin” et “Kergolé” sont le même personnage, Renou introduit également le neveu de celui-ci, “Jacob Kergolé” :

‘Je me sers de l’occasion de votre Paquebot, pour faire parvenir celle-ci à mon oncle, avec qui il me paraît que vous entretenez une correspondance. C’est une bonne action que de réunir une famille. Si vous me faites cette grâce, je vous saluerai comme un Amiral, quand je vous trouverai et si jamais nous nous trouvons en mer, j’irai de conserve avec vous, pour vous défendre contre les Corsaires1207.’

Non seulement le neveu trouve-t-il son oncle, mais les rédacteurs du Journal annoncent avec une certaine perplexité que la famille des “Kergolé” ne cesse de se multiplier tous les jours à travers les lettres qui leur parviennent, au point de confondre les lecteurs :

‘La famille des Kergolé se multiplie tous les jours. Deux personnes nous ont adressé de très jolies lettres sous ce nom ; puis est survenu un troisième Kergolé, Neveu des deux premiers (Jacob Kergolé). Ce Neveu ne croyait avoir qu’un oncle, celui qui est le plus connu sous le nom du Marin, le même qui lui a répondu à la lettre insérée dans la feuille d’hier ; mais l’autre Kergolé ayant cru aussi que la Lettre de Jacob s’adressait à lui, nous a fait passer la réponse qu’on va lire. S’il nous vient de nouveaux Kergolés, nos lecteurs et nous auront beaucoup de peine à suivre la filiation de cette nombreuse famille1208.’

A la multiplication frénétique des masques correspond une diminution d’intérêt pour l’information artistique, qui est soit engloutie par le bavardage du “Marin” et de son neveu, soit reléguée dans un post scriptum, comme c’est le cas chez “Jacob Kergolé”, qui ne demande qu’à la fin de son épître des informations sur l’église de Sainte-Geneviève, vue elle aussi comme un navire renversé1209. L’oncle lui répond promptement, en défendant le projet de Soufflot de ses nombreuses critiques, non sans introduire ses propos par une digression consistante, concernant la rencontre avec son neveu1210. Plusieurs lettres de l’échange entre l’oncle et le neveu sont de simples exercices de style, où l’information artistique s’efface complètement. “Le Marin” joue le rôle de lecteur fidèle du Journal, à l’écoute de toutes les nouveautés qui y arrivent, prêt à faire des commentaires et à exprimer ses opinions. Ainsi, observe-t-il avec son humour habituel, à propos de l’introduction de la rubrique “Loterie” et de l’ampleur que prend la querelle entre gluckistes et piccinnistes :

‘Enfin, Patrons, me voilà de retour. Je resterai quelque temps sur ces côtes, et nous aurons le plaisir de causer et de fumer ensemble. Eh bien, mes enfants, que s’est-il passé pendant mon absence dans votre petite felouque ?
Comment morbleu, elle est toute tapissée de numéros ; êtes-vous devenus des marchands de billets de Loterie depuis que je ne vous ai pas vus ?.. Qu’entends-je ?.. d’où vient ce bourdonnement à mes oreilles ?.. Ah ! je ne m’en étonne plus ; vous avez tant parlé de Musique, que votre galiote littéraire rend des sons1211.’

Dans sa douzième lettre au Journal, “Le Marin” instable et un peu étourdi, oublie complètement sa fonction de correspondant des arts visuels pour le quotidien et s’y met à formuler des réflexions sur la musique. Il en parle, certes, avec prudence, car, assure-t-il en critique impartial : “‘ Pour donner son avis, il faut s’y connaître, et l’on ne se connaît dans un Art, qu’après avoir longtemps exercé, médité et approfondi ’”1212 ’Le parallèle entre les arts est un thème constant chez Renou journaliste et la peinture lui sert toujours de point d’appui pour ses réflexions sur la poésie ou la musique. Dans sa douzième lettre au Journal, “Le Marin” souligne le caractère universel de la musique et affirme son attachement à la musique de Gluck qui, à son avis, incarne cette exigence. “‘ Mais la musique qui parle à toutes les oreilles, comme la peinture à tous les yeux, doit être cosmopolite ’”‘ ’affirme-t-il et ajoute un peu plus loin‘  : ’“‘ (…) quand j’entends une scène dialoguée en Musique par le Chevalier Gluck ’ ‘ , j’y suis trompé ; je crois presque que les Acteurs se parlent entre eux, j’y retrouve quelques inflexions de voix de la nature, et j’ignore parfaitement si l’Auteur est Allemand, Français ou Italien ’”1213. ’Le 16 janvier 1778, “Le Marin” délaisse de nouveau ses promenades artistiques pour se lancer sur les traces de Boussard, le pilote de Dieppe surnommé‘ ’“‘ brave homme ’”‘ ’par Necker, suite à une action courageuse et devenu, grâce aussi à l’intervention de la presse1214, ’le symbole du héros populaire‘  : ’“‘ Impatient de connaître ce brave Pilote, j’allais prendre la poste et partir pour Dieppe, quand j’ai appris qu’il avait été à la Cour, qu’il était à Paris. Je vole de société en société pour le rencontrer, enfin je l’ai vu ’”1215.

Vers la fin de ses interventions au Journal, le marin “Kergolé” s’exprime à plusieurs reprises, avec enthousiasme, sur la place significative accordée par le quotidien aux œuvres et aux traits de bienfaisance. Après une absence de plusieurs mois, “Le Marin” revient le 12 décembre 1777 avec une lettre où il évoque brièvement deux artistes morts, pour finir avec un fort encouragement lancé aux journalistes de Paris :

‘Continuez à annoncer tout ce qui peut servir et honorer l’humanité. Donnez-nous force anecdotes de bienfaisance et de grandeur. Tout Marin que je suis, mon cœur s’émeut au récit de l’honnête infortunée qui souffre avec courage et du riche qui donne avec noblesse. Je m’abonne pour l’année prochaine1216.’

Même dans sa dernière intervention du 27 janvier 1779, “Kergolé” observe à propos du quotidien de Paris : “‘ A voir les actes d’humanité dont vous êtes les agents et les coopérateurs, on pourrait l’appeler la barque Bienfaisanc ’”1217 ’“Le Marin” n’est pas seulement un correspondant artistique, il est une voix intérieure de la feuille, dont les commentaires constants sur le Journal sont censés lui faire de la publicité. Il paraît d’ailleurs que sa verve et son enthousiasme initial pour les arts visuels commencent à faiblir, et qu’il écrit au Journal pour entretenir les lecteurs de son style badin et franc, plutôt que pour les tenir au courant des nouveautés artistiques de la capitale. Désormais, il s’inscrit dans la galerie de masques du périodique quotidien, qui contribuent à transmettre, à travers leur présence régulière dans les pages du Journal, les idées de familiarité et de convivialité si chères aux rédacteurs.‘ ’Les interventions du “Marin” sont louées ou critiquées par des lecteurs, ainsi que par d’autres masques du quotidien, son nom est cité à tout bout de champ, son style irrite ou passionne, mais semble ne laisser personne indifférent. Il est possible que “Le Marin” survive pour quelque temps à sa fonction de correspondant artistique, en raison de son style attachant et de son habileté à faire parler de lui.

La première à se plaindre du style du “Marin” est une comtesse, signant sa lettre “La C de B”, qui raconte que la lecture des lettres marquées par ses “‘ morbleu ’”‘ ’et ses‘ ’“‘ ventrebleu ’”‘ , ’pillés, à son avis, du‘ Misanthrope ’de Molière, irrite sa petite chienne :

‘Je n’y peux plus tenir, MM votre Marin me fait souffrir étonnamment. Je vous avoue que son style déshonore votre Journal. Plusieurs femmes de mes amis sont du même avis que moi, et j’ai cru, par intérêt pour vous, devoir vous en avertir. Si cela continue, les honnêtes gens n’y souscriront plus dorénavant. Feuilletez tous les Journaux du monde, y trouverez-vous jamais un morbleu et un ventrebleu ? Ce Marin soi-disant, veut être plaisant et il est grossier ; il croit être neuf et ne l’est point du tout ; car ces morbleu et ventrebleu sont pillées du Misathrope. Que cet homme est maladroit ! Il ne voit pas que si Molière eût vécu de notre temps et fréquenté la bonne compagnie, il eut écrit d’une toute autre manière. Enfin le ton de cet homme de mer est détestable ; je vais vous en donner une preuve, à laquelle je défis qui que ce soit de répondre. Un de ces jours, comme on m’apportait votre Feuille, un de mes parents, ancien Mousquetaire, entrait chez moi. Je le priai de lire. Il tomba sur une lettre marinée (nous les nommons ainsi) il s’avisa de vouloir y donner le ton ; aux ventrebleu et morbleu, Zéphirette, qui dormait sur le pied de mon lit, ne cessa de japper pendant toute la lecture. Je vous demande, si un style fait aboyer les chiens, peut jamais être bon ?1218

“Le Marin” exprime toute de suite à la comtesse sa désolation de l’avoir offensée avec son “‘ style acquatique ’”‘ ’et, pour se faire pardonner, il lui écrit “‘ une lettre très polie ’”‘ , ’où les jurons et son badinage d’homme grossier sont mis de côté1219. ’ Quelques jours plus loin, une lettre signée “Les Lettrés de Senlis” critique sévèrement le style enjoué du “Marin” et l’accuse de flatterie :

‘Mais vous avez un certain Marin qui vous écrit sur les Arts en vrai Marin. Nous autres gens de Senlis, vrais et simples Amateurs, sans préjugés d’école, sans intérêt de coterie, qui voulons qu’on parle des Arts avec dignité, avec agrément, et non du ton de Pasquin ou de Gilles, nous avons lu avec dégoût ces facéties pleines d’adulations et insipides ; nous y avons reconnu non la gaieté fine d’un Amateur judicieux, mais la grimace bouffonne d’un flatteur1220.’

Les rédacteurs du Journal s’empressent de défendre “Le Marin”, en assurant que “‘ si MM de Senlis connaissaient les hommes de lettres qui ont souri à son badinage, ils regretteraient sans doute de montrer tant de dégoût et de trancher si durement ’”1221 ’“Le Marin” n’a sûrement pas que des détracteurs. Les rédacteurs du Journal eux-mêmes avertissent “‘ qu’à Paris, il a trouvé grâce devant beaucoup de lecteurs ’”1222 ’et promettent de respecter leur pacte avec “Le Marin”, en insérant toutes les lettres qu’il leur envoie.

Les correspondants du Journal ont l’habitude d’exprimer, dans leurs lettres, leur opinion quant aux collaborateurs habituels du quotidien, ce qui contribue à renforcer l’idée du périodique comme correspondance familière. “Le Jardinier d’Auteuil” défend le style de “Kergolé”, en soulignant que “‘ c’est un brave garçon qui dit fort bien tout ce qu’il pense et pense très bien tout ce qu’il dit ’”‘ ’et avoue aimer son‘ ’“‘ style franc ’”, en raison du fait qu’“‘ un ventrebleu bien appliqué vaut mieux que le mensonge le plus poli ’”1223.‘ ’Un groupe de lectrices de province qui “‘ [aiment] beaucoup la culture ’”‘ ’et “Le Jardinier d’Auteuil” expriment aussi leur enthousiasme quant aux interventions du “Marin” : “‘ Vous avez aussi un Marin que nous aimons à la folie. Son ton brusque nous plait. C’est la franchise de la fraîche gaieté et son esprit est celui des gens sensés ’”1224. ’En parlant de Bordeaux comme potentielle source de nouvelles intéressantes pour le‘ Journal de Paris, ’François de Neufchâteau indique l’attachante famille des “Kergolé” comme correspondants du quotidien pour la province : “‘ (…) sans doute la famille des Kergolés, devenue si célèbre et si nombreuse dans le Journal de Paris, ne dédaignerait pas de mouiller un moment dans la Garonne ou dans la Loire, et de parlementer avec vos Associés de Bordeaux et de Nantes ’”1225 ’Le nom du “Marin” sert également de carte de visite pour les autres correspondants du Journal, pour faire insérer des notices artistiques. Pour annoncer la mise au jour d’une série de gravures représentant les modes, les habillements et les mœurs du‘ ’XVIIIe siècle, un lecteur commence ainsi sa lettre‘  : ’“‘ Permettez-moi de vous prier de faire afficher dans votre grand Navire, dont parle si agréablement votre cher Marin, soit à bas bord, soit à tribord, l’avis suivant aux Amateurs des beaux-arts ’”1226.

Tout en étant l’un des masques les plus acclamés du quotidien, le 22 février 1778, le neveu “Jacob Kergolé” annonce aux lecteurs, sur le même ton badin, la mort de son oncle, “Le Marin” : “‘ Je ressens, Messieurs, une extrême douleur de devoir vous annoncer la mort de mon oncle Gilles Kergolé, dit le Marin, qui m’a chargé en mourant de bien des compliments pour vous ’”.‘ ’Toutefois dans le post scriptum de sa lettre, il laisse une porte ouverte à un éventuel retour du “Marin”, ce qui fait penser que Renou et les journalistes de Paris sont peut-être obligés de supprimer le masque, mais qu’ils espèrent tout de même le récupérer par la suite : “‘ J’ai fait enterrer mon oncle ; mais je ne serai pas étonné qu’il revint, parce qu’il a fait de ces tours-là ’”1227.

En effet, au début de 1779, “Le Marin” revient dans le‘ Journal ’avec sa verve habituelle et son discours enjoué: “‘ Bonjour, bon an, mes chers Patrons. Quoi ! vous ne me reconnaissez pas ? parbleu, c’est votre ami, le Marin. Vous m’avez cru mort sans doute depuis que mon coquin de Neveu m’a enterré tout vif et s’est nommé Légataire universel de ma cave ? ’”1228.‘ ’Après la nouvelle de sa résurrection, il évoque la perte de Voltaire et de Rousseau en 1778, se réjouit de ce que‘ ’“‘ cette même année le pavillon Français n’a souffert aucun échec de la part des prétendus souverains des mers ’”1229 ’et désapprouve la dispute autour de la chapelle de la Vierge de Saint Sulpice, qui occupe plusieurs numéros du Journal de l’année précédente. Même si “Le Marin” écrit au Journal pour annoncer qu’il est vivant et en bonne santé, prêt à reprendre sa correspondance, cette lettre solitaire de 1779 est véritablement sa dernière intervention dans le quotidien de Paris.

Si “Le Marin” disparaît définitivement des pages du quotidien, Renou continue à remplir sa tâche de correspondant artistique sous d’autres masques ou encore, en signant avec son nom et sa fonction de secrétaire adjoint de l’Académie. Dès 1777, il rédige en entier ou partiellement les comptes rendus des Salons du Journal, sans jamais signer ses lettres, car c’est justement sur le terrain de la critique salonnière que sa double‘ ’tâche de peintre-académicien et de critique-journaliste devient plus difficile à gérer. Faute de Salon, en 1778 le Journal publie une dispute entre un amateur anonyme et “Le Comte de B***”, pseudonyme sous lequel semble se cacher Antoine Renou, sur la chapelle de la Vierge de Saint-Sulpice, qui s’étend depuis le 25 août, jour habituel de l’ouverture de l’exposition du Louvre, jusqu’à la fin de l’année.

L’amateur écrit au Journal pour annoncer l’ouverture de la chapelle de la Vierge, dont le plafond est l’œuvre de François Le Moyne, et pour en élogier les restaurateurs : le jeune peintre Antoine-François Callet et l’architecte Charles de Wailly. “Le Comte de B***” répond avec indignation, considérant les éloges faits au restaurateur comme un affront aux talents de “Le Moyne”1230.‘ ’L’échange entre les deux adversaires est assez long et intense, les lettres occupent souvent une page entière du Journal. “Le Comte de B***” attaque avec beaucoup de véhémence le peintre Callet, responsable, à son avis du‘ ’“‘ replâtrage ’”‘ ’de la voûte de son fameux prédécesseur et n’épargne pas non plus l’architecte de Wailly. Il accuse l’amateur de se servir du Journal pour faire une publicité louangeuse à de jeunes artistes impatients de se faire connaître1231.

Ce ne serait d’ailleurs pas la première fois que Renou souligne, dans ses interventions au Journal de Paris, ’le lien subtil entre la modestie et le véritable talent artistique. De son côté, l’amateur accuse “Le Comte de B***” d’être le simple écho d’une coterie composée de quelques “‘ jeunes conseillers ’”‘ ’et d’un‘ ’“‘ ancien maître ’”‘ , ’qui complote‘ ’contre les artistes ayant travaillé à la restauration de Saint Sulpice1232. ’“Le Comte de B***” revient dans les pages du Journal avec deux autres lettres, même après que la dispute sur Saint-Sulpice a cessé. Renou, qui prend plaisir à faire dialoguer ses différents masques, adresse le 16 février 1779 une lettre signée par “Le Comte de B***” au “Marin”, lequel, dans son bref retour dans les pages du Journal, avait défini le style du comte comme trop tranchant1233.

La dernière intervention du Comte de B*** est une réponse à “L’Observateur provincial”, datant du 10 mai 1779, où il revient sur le lien entre la modestie et le talent chez les artistes. Il est intéressant de remarquer que, pour illustrer la différence entre les grands artistes modestes et laborieux et ceux qui sont constamment attirés par une facile réputation, “Le Comte” a recours à l’image des abeilles et des frelons, image chère à Antoine Renou‘ , ’déjà présente dans les lettres sur la situation des arts en France, du début de 1777 :

‘Il est encore une cause de peu de richesse qu’acquièrent en général les grands hommes en tout genre. Ils ont des ailes pour voler à la gloire, ils n’ont pas de jambes pour courir après la fortune. Naturellement sédentaires, peu courtisans, non par orgueil, mais l’amour de l’indépendance, ils sentent que l’on devient l’esclave du grand que l’on adule ; ils s’occupent donc dans leur retraite à mériter par leurs talents d’être appelés à l’exécution de ces grands ouvrages, que leur ravissent les frelons qui voltigent ça et là pour butiner partout. Quand les abeilles présentent leur miel, on le goûte, on lui rend froidement justice ; mais il est trop tard : à peine trouvent-elles dans ce qu’elles glanent de quoi composer le miel plus exquis encore, dans leurs cellules où elles se renferment. Voilà ce qui m’irrite1234.’

“Le Comte de B***” est cité une dernière fois dans un compte rendu des brochures critiques sur le Salon de 1779, dont l’auteur est “L’Ami des Artistes”, à savoir toujours Antoine Renou. Dans la notice qui le concerne en tant que peintre exposant au Salon, Renou laisse entendre que les critiques sévères que lui adresse la brochure intitulée Encore un rêve, suite de la Prêtresse, sont une espèce de punition infligée au comte de B*** : “‘ Il est vrai que c’est par méprise que [la Prêtresse] égorge [M Renou ’ ‘ ] à plaisir. Innocent, il paye pour le coupable Comte de B*, mais je le crois trop fier pour s’en plaindre et daigner se justifier d’un crime imaginaire ’”1235. ’Bien que cette affirmation reste enveloppée dans le de mystère, elle nous révèle deux aspects intéressants: le premier c’est que l’on attribue à Renou le masque du “Comte de B***” et qu’il s’en défend, le second c’est que sa fonction de journaliste et de critique d’art grave, malgré le jeu des masques, sur sa condition d’artiste.

En parlant de la vocation littéraire d’Antoine Renou, le graveur Nicolas Ponce rappelait qu’‘ ’“‘ il avait trouvé le secret d’égayer la matière ’”‘ ’et évoquait les lettres du “Marin” et celles de “Bonnard, marchand bonnetier”1236. ’La série de huit lettres ayant pour protagonistes “Bonnare”, un marchand bonnetier bavard et jovial et ses quatre fils artistes, publiées entre le 18 août 1780 et le 4 janvier 1781, porte, en‘ ’effet, la marque du style d’Antoine Renou, enclin à la badinerie et au ludisme, mêlant le débat artistique à la digression littéraire. Renou met en scène une dispute entre l’architecte et le peintre pour offrir deux positions différentes à propos du décrochage des tableaux de Notre-Dame à l’occasion du blanchiment des murs de la cathédrale. Pendant que le peintre plaide pour la conservation des tableaux dans la nef de la cathédrale, l’architecte veut restituer au style gothique son unité et sa simplicité originaires. La dispute s’enflamme au fil des lettres, elle trouble la paix de la famille du marchand, les interventions du père s’alternent avec celles des fils, l’architecte perd le contrôle, s’emporte contre son frère peintre, et le père se voit finalement obligé d’imposer‘ ’“‘ le plus absolu silence ’”1237 ’sur Notre-Dame. Tout comme “Le Marin”, “Bonnare” semble chercher les moyens de survivre au débat artistique dont il est le moteur. Au début de janvier 1781, le fils peintre raconte le chagrin et la préoccupation de toute la famille face au danger de perdre leur père, occasion pour introduire l’histoire de Thérêsine, la reine héroïne et bienfaisante, évoquant l’image de l’impératrice Marie-Thérèse, mère de Marie-Antoinette, décédée le 29 novembre 17801238.

Avec ses lettres pleines de verve et de bonne humeur et ses différents masques qui se succèdent, dialoguent entre eux et suscitent l’intérêt des autres correspondants du Journal, Antoine Renou propose une approche nouvelle aux arts visuels dans la presse. En enveloppant l’information artistique dans une forme agréable, intrigante, attrayante pour un grand nombre de lecteurs, Renou trouve la clé d’insérer les arts visuels dans le journal quotidien pendant toute l’année et par conséquent, dans le quotidien des lecteurs. Dès la naissance du Journal de Paris, les rédacteurs comprennent que les beaux-arts représentent un terrain fertile pour développer leur “‘ correspondance journalière et familière ’”‘ , ’d’où l’espace qu’ils accordent en 1777 et 1778 à la musique et aux arts visuels.

Au-delà de toute stratégie journalistique, Renou trouve, à son tour, dans sa collaboration avec le quotidien de Paris, la satisfaction de pouvoir conjuguer et exercer, dans la plupart du temps sous anonymat et en courant même des risques, sa double passion pour les arts et les lettres. Le masque du “Marin”, avec son style à la fois grossier et recherché, franc et élaboré, sérieux et frivole, sobre et enjoué conquiert les lecteurs du‘ Journal ’et stimule le débat sur les arts, mais aussi la simple conversation, ce mécanisme qui nourrit les liens sociaux. “Le Marin” est non seulement un correspondant chargé de fournir ses impressions artistiques, cueillies lors de ses balades régulières dans la capitale, mais aussi un pion important dans la trame des correspondants familiers du Journal, celui qui ouvre des pistes et qui noue les différentes interventions. Son bavardage est extrêmement efficace pour l’économie du périodique quotidien, car, tout en révélant aux lecteurs une façon nouvelle, plus pratique et plus attrayante d’approcher les arts visuels, de les soustraire au domaine académique chargé de tabous, il crée de la convivialité, élément essentiel dans le fonctionnement du Journal.

Dans sa première lettre au Journal, signée par le pseudonyme “L’Ami des Artistes”, Antoine Renou se propose de faire une série de réflexions sur l’état de l’art contemporain en France. En partant de l’idée courante qu’en France les arts visuels se trouvent dans un état de décadence, Renou se propose de relever, dans une série de lettres, les réformes entreprises par l’administration des Bâtiments en place, en vue d’une régénération des arts1239. ’Sur cinq lettres destinées à cerner l’état de l’art contemporain, Renou en consacre trois à l’affranchissement des arts, suite à la suppression, en 1776, de la corporation des peintres et des sculpteurs de Paris. Au-delà du caractère propagandistique qu’un tel sujet peut avoir dans un périodique autorisé par le Roi, qui vient de paraître et dont le correspondant artistique est aussi le secrétaire de l’Académie, il revient tout de même, avec une certaine constance, dans d’autres textes signés par Antoine Renou, ce qui nous fait penser qu’il y est sincèrement attaché.

Quel type de rapport y a-t-il entre la corporation des artistes et l’Académie royale de peinture et de sculpture ? La fondation de l’Académie en 1648 représente par elle-même une revendication d’accès, pour la peinture et la sculpture, à un statut traditionnellement réservé aux “arts libéraux” (le Trivium et le Quadrivium). La naissance de l’Académie marque le‘ ’passage des arts visuels de la corporation à la professionalisation1240. ’La requête au Roi datant de février 1648, signée par Martin de Charmois, porte-parole des artistes, est le premier document français où se trouve exposée l’idée de la “noblesse” de la peinture, qui justifie l’écart qui la sépare des arts mécaniques. En même temps, ce texte contient manifestemement l’idée que les peintres fondateurs de l’Académie ont pour objectif principal l’affranchissement de la corporation, accusée d’empiéter sur la liberté de leurs confrères. Leur but est de tracer une frontière entre les arts libéraux et les arts mécaniques, de se séparer définitivement de “‘ ce corps mécanique ’”‘ , ’formé de‘ ’“‘ broyeurs de couleurs ’”‘ , ’“‘ polisseurs de statues ’”‘ , ’“‘ esprits grossiers et malfaisants ’”‘ , ’“‘ ignorants et vénaux ’”1241 ’Outre la noblesse de la peinture et de la sculpture, la diatribe de Martin de Charmois souligne la distinction du titre d’artiste, obtenu par le mérite, et le désintéressement qui doit caractériser ce même statut. Par conséquent, à la base de la création de l’Académie se trouve le conflit entre un groupe d’artistes influencés par le modèle des académies italiennes et la corporation, qui possèdait, en France, le monopole sur l’exercice de la peinture et de la sculpture1242. ’La devise de l’Académie, “Libertas artibus restituta”, fait référence non à une liberté individuelle de l’artiste, mais à l’accès des arts visuels, à travers un nouvel ordre, à la sphère des arts libéraux.

Tout en étant elle-même une association réunissant des individus exerçant une même profession, l’Académie se distingue, dès sa naissance, de la Maîtrise (la corporation) dans plusieurs points essentiels. La formation proposée par la corporation est fondée sur l’apprentissage et sur le compagnonnage, ainsi que sur la conformité aux usages et la présentation d’un chef-d’œuvre faisant preuve de l’assimilation des règles du métier. L’Académie sélectionne ses membres, en revanche, par le critère du mérite et exige la composition d’un morceau de réception. Si la Maîtrise impose des droits d’entrée pour ceux qui n’étaient pas fils de maîtres ou pour les étrangers à la ville et au métier, l’Académie n’exige de ses futurs membres aucune contribution finacière. Les critères de sélection de la‘ ’nouvelle association sont strictement professionnels, basés sur le mérite et non sur les liens de parenté ou le clientélisme. Mais la différence essentielle entre les deux associations repose sur l’enseignement : tandis que la Maîtrise observe un apprentissage artisanal, transmis de maître à apprenti et ayant un caractère très pratique, l’Académie propose un enseignement beaucoup plus théorique, destiné à l’ensemble de ses membres.

Le morceau de réception, qui assure l’accès des élèves au nombre des membres de l’Académie, est une synthèse entre les qualités professionnelles individuelles de l’artiste et la conformité aux normes théoriques imposées par l’institution. Désormais, la création d’un tableau ou d’une sculpture n’est plus attachée à l’exercice d’un métier mais d’une occupation libérale et désintéressée. Le passage des arts visuels dans la sphère des activités libérales a pour conséquence fondamentale la distance affirmée avec la dimension marchande des arts. La nouvelle image de l’artiste construite par l’Académie est soigneusement détachée de celle de l’artisan et du marchand. Pour obtenir la libéralisation de la peinture et de la sculpture, il a fallu bannir toute fonction manuelle et rémunérative de l’activité artistique.

Le basculement de pouvoir en faveur des académiciens ne met pas un terme au conflit entre Académie et Maîtrise. Connue sous le nom d’Académie de Saint-Luc, la Maîtrise maintient le droit d’imposer aux artistes pratiquant à Paris, qui n’appartiennent pas à l’Académie, de devenir ses membres. A l’instar de l’Académie royale, la corporation organise, entre 1751 et 1774, sept expositions publiques, dont les participants sont des artistes jeunes, pratiquant surtout la peinture de genre, le portrait et le‘ ’dessin.

Elle est abolie le 5 janvier 1776, par l’édit réformateur de Turgot qui visait, à travers la suppression du système corporatif, une stimulation du développement économique. Après le renvoi du ministre, la même année, Louis XVI rétablit toutes les corporations (sur 44 professions enregistrées au Parlement, les peintres et les sculpteurs représentent la 34e)1243. ’Ce sera le nouveau directeur des Bâtiments, le comte d’Angiviller, qui, jouissant de la confiance du Roi, parvient à donner le coup de grâce à la Maîtrise et à faire sortir définitivement les artistes du système corporatif. Outre sa désapprovation de l’Académie de Saint-Luc comme rivale de l’Académie royale, pour le comte d’Angiviller, la‘ ’corporation représente, à travers son règlement et ses pratiques commerciales, un ordre archaïque qui continue à contredire le statut d’arts libéraux à la peinture et à la sculpture. Dès le début, la‘ Déclaration du Roi, en faveur de l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture donnée à Versailles le 15 mars 1777 ’contient des références claires à la noblesse des deux arts, ainsi qu’à leur caractère libéral :

‘Les Arts de Peinture et de Sculpture, qui font partie des arts libéraux, ont été destinés dans tous les temps, chez les peuples éclairés à concourir à la gloire nationale par des monuments qui conservent la mémoire des actions vertueuses, des travaux utiles et des hommes célèbres (…). Par une suite de cette protection et des encouragements qu’ils ont reçus, ces arts nobles se sont de plus en plus perfectionnés et répandus dans notre royaume.’

Tout comme le texte de Martin de Charmois de 1648, la Déclaration royale de 1777 souligne que l’affirmation du statut libéral de la peinture et de la sculpture n’est que la restitution d’un état antérieur, remontant à une époque prestigieuse et éloignée, supprimé par leur asservissement à la Maîtrise. Les deux premiers articles de la Déclaration précisent les conditions dans lesquelles la peinture et la sculpture seront exercés de manière libérale :

‘I Les Arts de Peinture et de Sculpture seront et continueront d’être libres, tant dans notre bonne ville de Paris que dans toute l’étendue de notre royaume, lorsqu’ils seront exercés d’une manière entièrement libérale (…) : Voulons qu’à cet égard ils soient parfaitement assimilés avec les Lettres, les Sciences, et les autres arts libéraux, spécialement l’Architecture : en sorte que ceux qui voudront excercer de cette manière les susdits arts, ne puissent, sous quelque prétexte que ce soit, être troublés, ni inquiétés par aucun Corps de communauté ou maîtrise.
II Ne seront réputés exercer librement les arts de Peinture et de Sculpture que ceux qui s’adonneront, sans aucun mélange de commerce, à quelqu’un des genres qui exigent, pour y réussir, une connaissance approfondie du dessin et une étude réfléchie de la Nature, tels que la Peinture et la Sculpture des sujets historiques, celles du portrait, le paysage, les fleurs, la miniature et les autres genres desdits arts, qui sont susceptibles d’un degré de talent capable de mériter à celui qui le possède, l’admission à l’Académie royale de Peinture et de Sculpture.’

La liberté de la peinture et de la sculpture est donc entendue comme leur assimilation aux autres arts libéraux, et spécialement à leur soeur, l’architecture. Elle exige, de surcroît, de la part de tous ceux qui les pratiquent le détachement de toute activité commerciale et l’adhésion à une doctrine commune, et prévoit une admission fondée sur le mérite individuel et professionnel.

Dès son premier numéro, Le Journal de Paris introduit le thème de la liberté rendue aux arts, lié au nom du directeur des Bâtiments. Après avoir rendu compte, dans la rubrique “Variétés”, du nouveau sceau de l’Académie, réalisé par le graveur de médailles Duvivier et dont le revers porte l’inscription Libertas artium restituta, le journaliste précise :

‘En effet, la Peinture était asservie depuis longtemps au joug d’une maîtrise avilissante pour les jeunes Artistes trop faibles encore pour être incorporés à l’Académie. Ils doivent une éternelle reconnaissance à M le Comte d’Angiviller, qui a sollicité et obtenu de Sa Majesté cette liberté si précieuse aux Arts1244.’

Le 30 janvier 1777, la lettre annonçant la collaboration d’un “‘ artiste célèbre ’”‘ ’(Antoine Renou) avec le Journal, en qualité de correspondant artistique, contient aussi une référence à la suppression de la Maîtrise comme preuve de la libéralité du roi : “‘ Si ces avis peuvent être agréables au Public, il est bon d’observer qu’on devra les lumières qui en doivent résulter à la bonté du roi qui a rendu la liberté aux arts, en voulant que les Artistes ne fussent plus exposés à ces saisies qui les forçaient à ’ ‘ se tenir cachés ’”1245.‘ ’L’entrée en scène d’Antoine Renou est donc mise sous le signe de l’affranchissement des arts des contraintes du système corporatif. Le journaliste observe que si l’on peut rendre compte des nouvelles artistiques dans la presse, c’est parce que les arts ont été affranchis de leur servitude à un ordre archaïque, qui multipliait les abus pour se maintenir en place. Peut-être peut-on lire, dans cette affirmation, l’espoir de la presse périodique d’une accéssibilité plus grande à l’information artistique. En choisissant Antoine Renou, représentant de l’Académie, comme collaborateur artistique régulier de leur feuille, il est possible que les journalistes de Paris aient mêlé leur audace habituelle à l’espoir de pouvoir ouvrir un canal nouveau entre le monde de la production artistique et celui de l’information.

Renou consacre à son tour ses trois premières interventions dans le Journal de Paris à la libération des arts du monopole corporatif. Afin de montrer que le rapport entre la corporation et les artistes est de persécuteur à persécuté, le journaliste a recours à des termes tels “‘ servitude ’”‘ , ’“‘ joug ’”‘ , ’“‘ chaînes ’”‘ , ’“‘ fers ’”‘ , ’“‘ appâts ’”‘ . ’Il observe d’emblée que‘ ’“‘ la peinture et la sculpture (…) avaient été de tous les temps parmi nous asservies au joug d’une maîtrise avilissante1246, ’et se propose de relever les facteurs qui ont porté à l’abolition du système corporatif. Selon le journaliste, les riches amateurs d’art, relayés par l’opinion publique, ont un rôle fondamental dans l’abolition d’une association responsable de la persécution des artistes :

‘(…) depuis que plusieurs personnes distinguées par leur rang et par leur naissance, ne dédaignent point de consacrer à la pratique des arts quelques moments de leurs loisirs et s’honorent de s’environner d’artistes célèbres, un sentiment d’estime pour des talents qui contribuent à la gloire de la nation, avait déterminé l’opinion publique contre la persécution qu’ils éprouvaient ; un cri général réclamait leur liberté1247.’

Cette remarque renvoie à une innovation importante de l’Académie, qui consiste à coopter, parmi ses membres, des amateurs d’origine noble, nominés académiciens “honoraires”‘ . ’La présence, au sein de l’Académie, de nobles qui s’adonnent à l’exercice des arts sans déroger, est le signe évident que les arts du dessin sont sortis de la sphère des métiers intéressés ou rémunérés et appartiennent aux occupations intellectuelles. Tout en soulignant le rôle majeur des amateurs désintéressés dans la chute de la maîtrise, Renou veut que le poids de l’opinion publique ou du “‘ cri général ’”‘ ’y soit déterminant. La liberté des arts ne concerne donc pas la volonté d’un seul groupe professionnel opposé à la corporation, mais c’est une question qui suscite le débat public. D’autre part, Renou précise que la maîtrise est responsable de sa propre suppression, dans la mesure où une association qui mêle l’exercice de l’art au commerce est “‘ vicieuse en elle-même ’”‘ , ’destinée aux divisions intestines et, finalement, à l’échec :

‘(…) une association d’artistes et de marchands de peinture était vicieuse en elle-même, ceux qui tournent leurs vues du côté du commerce acquièrent plus rapidement de la fortune que ceux qui l’attendent du simple travail de leurs mains. Les opulents d’un corps étant toujours choisis pour le gouverner, les marchands et entrepreneurs appelés aux premières charges accablaient du poids du leurs richesses les artistes, qui étaient pourtant forcés de confier la fonction la plus brillante, la direction de l’école publique de dessin. Ces derniers avec raison, fiers de cette prérogative et du mérite personnel qu’elle suppose, se révoltent contre les premiers lorsque dans les assemblées et leurs bureaux ils prétendaient parler en maîtres. De là naissaient des divisions intestines il y a quelques années qu’une guerre ouverte parut se déclarer entre eux, mais la nécessité pacifia tout. Les arts cependant supportaient impatiemment la servitude et désiraient de respirer un air qui leur était si naturel, celui de la liberté1248.’

En troisième lieu, le correspondant artistique du Journal précise que la libération des arts du “‘ joug ’”‘ ’de la corporation est l’œuvre du directeur des Bâtiments, le comte d’Angiviller‘ , ’“‘ aussi ami des arts que Colbert mais plus heureux que lui dans cette circonstance ’”1249, ’qui exprime la volonté du Roi. A ceux qui critiquent la suspension de l’Ecole de la corporation, Renou répond que la liberté rendue aux arts et ses élèves dispersés, celle-ci n’a plus de sens. En revanche, le comte d’Angiviller a cru y suppléer sur le champ, mettant à disposition des jeunes artistes,‘ ’aux dépens du Roi, deux salles publiques et quatre modèles1250. ’Convaincu de la supériorité de l’enseignement de l’Académie, Renou souligne que les leçons gratuites offertes aux artistes de la corporation suffisent pour suppléer à la fermeture de leur école.

Dans chacune des trois lettres ci-dessus, ayant pour thème l’affranchissement des arts, Antoine Renou se propose de mettre en lumière la persécution des artistes par la maîtrise. Dans la première, il offre l’exemple des saisies de commandes encore inachevées des ateliers des artistes, précisant que de telles injustices étaient juridiquement permises. Pour illustrer la situation, le journaliste emploie une image qui lui est très chère : les frelons qui confisquent le miel des abeilles‘  : ’“‘ N’était-il pas douloureux de voir des frelons privilégiés fondre sur les abeilles laborieuses, fermer leurs cellules et confisquer leur miel jusqu’à ce qu’ils eussent payé le droit de mettre en œuvre les dons précieux qu’ils ont reçu du ciel (…) ’”1251.

Dans sa troisième lettre sur les arts, Renou cite et critique une lettre insérée dans l’Almanach des Artistes, qui parle avec une certaine nostalgie de la disparition de l’Académie de Saint-Luc. Il s’empresse de répondre à son auteur que l’école de la corporation était tombée en déchéance après la naissance de l’Académie royale et que ce qu’il appelle avec regret une “‘ confraternité ’”‘ , ’n’était, au fait, qu’un rassemblement d’entrepreneurs, occupés de leurs spéculations plutôt que des intérêts des artistes1252. Renou introduit habilement ses arguments contre la Maîtrise, employant la première personne pluriel, comme si c’étaient les artistes mêmes de l’ancienne Académie qui prenaient la parole :

‘Les Membres de l’ancienne école sont aujourd’hui les élèves de la nouvelle ; c’est à l’Académie et dans l’atelier de ceux qui la composent que nous avons puisé les principes de notre art. Si nous nous sommes soumis au joug, nous y avont été contraints par la nécessité et la faiblesse de nos talents ; nous n’avons pas même la vanité de nous être crus Académiciens ; une lettre de Maîtrise (nous ne pouvons nous le dissimuler) est incompatible avec un si beau titre. La liberté nous est rendue, elle nous rapproche des grands Artistes dont nous étions séparés ; ils sont libres et nous le sommes. Heureux si nos talents nous donnent un jour avec eux le droit de confraternité ; peu alarmés de la rigueur juste autant qu’utile aux Arts, nous croyons que si l’Académie a été forcée par son devoir de refuser quelques fruits trop verts, elles les acceptera dans leur maturité. Ses portes ont été de tous les temps ouvertes à quiconque présente une somme de talents suffisante pour y entrer1253.’

En faisant parler les artistes de la maîtrise, Renou trouve un moyen efficace pour introduire le thème de la supériorité de l’Académie, qui propose une sélection fondée sur le mérite des candidats. Il est intéressant de noter que le journaliste utilise le terme “‘ rigueur ’”‘ , ’tant pour dénoncer les abus de la corporation, que pour désigner sa suppression, avec la différence que, dans le second cas, il s’agit d’une‘ ’“‘ rigueur juste autant qu’utile aux Arts ’”‘ . ’La position de Renou et, implicitement du‘ Journal de Paris, ’quant à l’abolition de la maîtrise, est on ne peut plus claire : elle signe pour tous les artistes, y compris ceux qui en faisaient partie, la séparation du monde des arts mécaniques et des spéculations marchandes, en leur offrant un statut nouveau et en proposant un recrutement basé sur des critères d’excellence. Dans sa trosième lettre sur l’affranchissement des arts, Renou soutient avec force que les peintres et les sculpteurs de l’Académie de Saint-Luc, fort conscients de leurs nouveaux avantages, sont loin de vouloir s’associer une nouvelle fois avec les maîtres de l’ancienne institution. Il en dénonce‘ ’“‘ l’appât des petites rétributions de Bureau ’”‘ , ’“‘ le calcul de finance ’”‘ ’qui guide ses actions, les‘ ’“‘ séductions, les insultes et le mépris versé sur la Communauté et sur ses talents, dans des Mémoires injurieux ’”‘ , les promesses fondées sur ’“‘ l’intérêt et l’amour propre ’”‘ , ainsi que ’“‘ les agents secrets ’”‘ et les ’“‘ bruits faux et outrageants contre la prétendue sévérité de l’Académie ’”1254.

Antoine Renou rédige sa troisième et dernière lettre sur la liberté des arts le 14 mars 1777, à savoir à la veille de la signature de la‘ Déclaration ’royale assignant à la peinture et à la sculpture le statut d’arts libéraux. En sa qualité de secrétaire de l’Académie, Renou doit en être au courant, et ses lettres au‘ Journal de Paris semblent vouloir transmettre aux lecteurs l’importance de cet événement. La reconnaissance par le Roi du statut libéral des arts du dessin correspond à l’aboutissement d’une longue bataille, qui dure depuis la création de l’Académie royale de peinture et de sculpture, et dont le but était de tracer, une fois pour toutes, une frontière entre l’artisan ou l’ouvrier et l’artiste créateur d’images. On peut imaginer qu’un tel moment ne laisse pas indifférent l’artiste Renou, qui se sert de sa plume de journaliste pour le rendre public. Dans ses trois lettres au Journal, il nous semble donc entendre non seulement la voix du secrétaire de l’Académie qui s’empresse à répandre des éloges sur l’institution qu’il représente et sur son administration, mais aussi la voix de l’artiste Renou, sensible à la reconnaissance officielle du prestige qui distingue son occupation.

Le thème de l’affranchissement des arts revient dans le Journal, la même année, chez d’autres intervenants. Le 17 mars, un groupe d’amateurs et d’artistes annoncent leur projet d’exposition publique, qui, soutiennent-ils, doit protéger les artistes de la l’Académie de Saint-Luc des “‘ séductions ’”‘ ’des anciens maîtres, qui, d’après la troisième lettre de Renou, leur demandaient de s’associer de nouveau avec eux. Le projet n’aboutit pas et le 3 mai 1777 une lettre signée “Un Artiste de l’Ancienne Académie de Saint-Luc” critique la manière dont les auteurs du projet échoué se sont exprimés à propos des “‘ avances obligeantes que les Artistes Maîtres Peintres voulaient bien faire aux élèves distingués de l’Académie royale ’”1255, ’les traitant de‘ ’“‘ séductions ’”‘ . ’Si au début, cette lettre semble fournir une position différente de celle de Renou, l’ancien artiste de l’Académie de Saint-Luc est loin de mettre en cause la suppression de la maîtrise, il ne fait que revandiquer le droit de confraternité ‘ ( ’“‘ une liaison d’affection ’”‘ ) ’avec les artistes de l’Académie (dont il admet d’ailleurs la supériorité), au nom d’un affranchissement qui les concerne tous :

‘Pour prouver que le reproche de séduction est déplacé à notre égard, il suffit d’exposer le projet que nous avons formé. Il faut d’abord poser comme une vérité, ce que ces Messieurs n’imaginent peut-être point, c’est que nous sommes aussi satisfaits qu’eux-mêmes de ce que la liberté a été rendue aux Arts. Dans le procès que nous avons soutenu et qui avait divisé notre corps, n’a-t-on vu que le premier vœu des Artistes était cette liberté ? Si nous nous cherchons à nous rapprocher des Artistes libres qui se distinguent par leurs talents et que rien ne force plus d’entrer dans aucun corps, ce n’est que par le désir de leur être utiles, et de former avec eux une liaison d’affection qui nous met à portée de faire connaître au public et nos talents et les leurs ; sans avoir la prétention d’attirer ses applaudissements, on peut espérer de mériter son attention, comme talents utiles1256.’

En déplorant la suppression du Colisée, “‘ cette galerie si bien éclairée, si favorable aux ouvrages de peinture et de sculpture ’”‘ , ’“‘ disparu[e] comme une décoration de théâtre ’”, l’auteur de cette lettre plaide en même temps pour le droit des artistes qui ne sont pas membres de l’Académie, d’exposer leurs ouvrages en public. Ouverte en juillet 1776, l’exposition du Colisée, accueillant plusieurs membres de l’Académie de Saint-Luc, est interdite en 1777, suite à l’intervention du comte d’Angiviller, qui n’aime ni la rivalité des artistes du Roi avec ceux de l’ancienne corporation, ni l’idée d’expositions publiques indépendantes, en concurrence avec le Salon.

Antoine Renou revient sur le thème de l’affranchissement des arts en 1779, lorsqu’il publie dans le‘ Journal de Paris ’deux lettres sur la distinction entre l’ouvrier et l’artiste (la deuxième étant une réplique à un lecteur qui demande des détails sur ce sujet). Le 7 mars 1779, “Milon, Conseiller au Châtelet” affirme que la dénomination d’artiste est “‘ un peu plus noble que celle d’ouvrier, mais au fond à peu près la même chose ’”1257.‘ ’Une semaine plus tard, Renou lui répond, avec une certaine perplexité: “‘ J’étais bien étonné qu’un homme, qui vit honorablement à Paris, et dans le dix-huitième siècle, en fût encore à connaître la différence de l’Artiste à l’Ouvrier ’”1258. ’S’il considère que l’ignorance, par ses contemporains, de cette distinction est difficilement acceptable, Renou écrit pour le Journal une longue lettre à ce propos, confessant à la fin qu’il est particulièrement sensible à ce sujet :‘ ’“‘ Pardon, Messieurs, ma lettre est longue, mais le sujet m’a entraîné malgré moi ’”1259.‘ ’Il explique que, alors que le travail de l’artisan est essentiellement manuel, fondé sur la routine et la répétition, pour l’artiste la main n’est qu’un instrument guidé par la tête :

‘L’Ouvrier est celui qui, ayant rompu et façonné journellement sa main à l’exercice d’un métier, dont les différentes opérations ont un cercle limité, fait aujourd’hui ce qu’il a fait hier, ce qu’il fera demain : toujours occupé à exécuter et nullement à créer, toute son ambition se borne à acquérir de plus en plus dans son travail de la précision et de la prestesse ; cela seul le distingue de ses pareils.L’Artiste au contraire, qui est obligé par la nature de son Art, de se servir de sa main, pour mettre au jour les productions de son génie, tel que le Peintre et le Sculpteur, est blâmé de se répéter lui-même, il doit se varier à l’infini, et il ne lui est pas permis de marcher servilement sur les pas de ses Contemporains, ou de ceux qui l’ont précédé dans la même carrière ; enfin les ouvrages doivent être marqués au coin distinctif de son génie particulier, pour obtenir l’estime générale. La main n’est pour lui qu’un instrument et les matières qu’il emploie, des moyens de rendre ses idées, de les imprimer dans l’imagination de ses Spectateurs ; en un mot, le pinceau et le ciseau sont pour le Peintre et le Sculpteur, ce qu’est la plume pour le Poète et les touches du clavecin sous les doigts du Musicien compositeur. Quand l’âme de l’Artiste n’éprouve rien, sa main ne sait plus agir, ou agit mal ; son âme vient-elle à s’enflamer, sa main, comme une esclave fidèle, lui obéit ponctuellement1260.’

Pour illustrer sa thèse, Renou donne l’exemple du peintre Jouvenet qui, tout en étant paralysé de sa main droite, conserve son talent et produit un tableau excellent de sa main gauche, éclatante preuve que la peinture est, en premier lieu, une question de tête. En 1789, il transcrit textuellement sa lettre au Journal de 1779 dans les notes de la traduction du poème théorique de Du Fresnoy, De arte graphica, sous le titre Différence de l’artiste à l’artisan. A la fin de la traduction du poème, Renou insère ses propres vers sur la liberté des arts :

‘Je traduisais ces vers du savant Dufresnoy,
Quand, du haut de son trône, un équitable Roi
Rendait l’Océan libre, et du joug britannique,
Délivrait les états de l’heureuse Amérique ;
Quand ce Prince, sur nous arrêtant ses regards,
A la France annonçait la liberté des arts.
Et quand, plus grand encore, jaloux du nom de père,
Ce Monarque assemblait la nation entière
Pour réparer ses maux, la remettre en ses droits,
Et changer ses abus en salutaires lois1261.’

Il est intéressant de voir le traducteur rapprocher la Déclaration de mars 1777 du combat de libération menée en Amérique et de la convocation des Etats Généraux. En insérant la déclaration de la liberté des arts dans le contexte des mesures données par le Roi pour assurer la liberté politique en France et ailleurs, Renou va plus loin que la reconnaissance du statut d’art libéral à la peinture. Il inscrit le combat des artistes pour la liberté dans les grandes luttes d’émancipation du règne de Louis XVI et situe la notion de liberté artistique sur le même plan que la liberté politique.

Ce n’est d’ailleurs pas la dernière fois que Renou a l’occasion d’exprimer son attachement à la déclaration de 1777. En 1792, suite à la suprresion du système corporatif, l’Assemblée nationale introduit la patente pour tous ceux qui exercent une activité commerciale. Devenu secrétaire général de l’Académie, Renou invoque la déclaration de 1777, pour prouver que les artistes se trouvent en dehors de toute occupation marchande et que, par conséquent, ils ne sont pas concernés par cette loi1262. Le thème de la liberté des arts nous semble l’un des fils conducteurs de la carrière d’Antoine Renou, dans la mesure où il concilie ses trois fonctions : l’artiste, le journaliste et le secrétaire de l’Académie. Il n’en est pas de même de ses interventions critiques dans le Journal de Paris, sur les expositions de Louvre, où ses différents rôles sont souvent mis en contraste.

Quel est le rôle de Renou dans la rédaction des comptes rendus critiques des Salons ? Alors que ses masques lui permettent de s’exprimer sur les arts visuels avec une certaine liberté et facilité, d’esquiver les obstacles et les éventuels risques de sanction, les observations critiques sur les expositions du Louvre le mettent face à la tâche extrêmement délicate de prendre position par rapport à ses camarades artistes. Comment satisfaire l’esprit audacieux et polémique des entrepreneurs du Journal, sans offenser ses collègues artistes et sans s’attirer les foudres de l’Académie, dont il est le secrétaire ?‘ ’Même si on ne peut pas avoir la certitude que tous les comptes rendus des Salons publiés dans le Journal de Paris entre 1777 et 1787 appartiennent entièrement ou en partie à Antoine Renou, il nous semble y reconnaître sa plume. Si sa participation au Journal est bien intense entre 1777 et 1780, après 1781, il continue à rédiger sporadiquement des nécrologies d’artistes, à signer quelques lettres, telle la défense des artistes et le parallèle entre la musique et la peinture, et à s’occuper, tous les deux ans, des comptes rendus des expositions du Louvre. Nous allons donc passer en revue les différentes critiques du Salon publiées par le quotidien de Paris, à la recherche de quelques indices de la présence de Renou.

Le 25 août 1777, les rédacteurs du Journal publient un bref article où ils annoncent l’ouverture du Salon “‘ enrichi de morceaux commandés pour le Roi, tant en peinture qu’en sculpture ’”‘ , ’ainsi que les observations critiques de “L’Amateur” et du “Marin” :

‘Nous n’entrerons aujourd’hui dans aucun détail sur toutes ces productions. Nous espérons (dans le cours de cette exposition qui dure un mois) que nos Correspondants, l’Amateur et le Marin, avatageusement connus dans notre Journal par leur honnête impartialité, voudront bien nous aider de leurs lumières. Nous sentons combien les jugements injustes et précipités sur les productions de ce genre, peuvent causer de dommage aux Artistes ; il n’en est pas de celles-ci comme de celles des hommes de Lettres, qui multipliées par l’impression, peuvent se défendre partout contre ceux qui les attaquent1263.’

D’emblée, Renou est présenté, à travers ses masques, comme un critique d’art impartial, qui plaide la cause des artistes. Les rédacteurs ne manquent pas de mettre en lumière la vulnérabilité fondamentale des professionnels des arts visuels qui, à la différence des hommes de lettres, n’ont pas les instruments pour défendre leurs œuvres et leur réputation des critiques injustes. Ce n’est toutefois ni “Le Marin”, ni “L’Amateur” qui répondent à l’appel des journalistes, mais un “Comte de***”, qui publie deux lettres critiques sur une brochure intitulée La Prêtresse, ou nouvelle manière de prédire ce qui est arrivé.

Sous prétexte de reprendre ou de corriger la Prêtresse pour ses critiques trop sévères à l’égard des peintres, “Le Comte” y glisse, à son tour, quelques critiques. Il exprime ses doutes quant aux talents de peintre d’histoire de Vincent, critique la couleur “‘ fausse ’”‘ ’de Callet, la‘ ’“‘ facilité ’“”‘ ’trop grande de Barthellemy et reproche à Greuze ses incorrections de dessin, sa monotonie et son refus obstiné d’exposer au Salon. “Le Comte” explique aussi que s’il relève les défauts des jeunes artistes, c’est parce qu’“‘ ils sont dans l’âge de se corriger et de profiter des avis sincères et non outrageants ’”1264. ’Cette idée revient souvent dans les comptes rendus du Salon publiées par le Journal d’avant 1789, et a le rôle de justifier les observations critiques à l’égard des artistes exposants. Dans sa deuxième lettre, “Le Comte” délaisse le Salon pour expliquer, à la sollicitation d’un autre correspondant du Journal, ce qui distingue le genre historique des autres genres en peinture. Selon lui, c’est dans la forme noble et conforme à la vérité de chaque objet représenté, que se trouve le fondement de l’hiérarchie des genres et un Greuze, ne pourrait y aspirer, malgré la force d’expression de ses personnages1265.

La même année, le‘ Journal ’publie une‘ Lettre sur la partialité, ’qui critique la sévérité du “Comte” à l’égard de plusieurs artistes et se propose de contrebalancer ses reproches par des encouragements. On l’accuse, par exemple, de traiter le jeune Callet avec “‘ âcreté ’”‘ ’et‘ ’“‘ Le ’Comte”‘ ’répond sur un ton tranchant‘  : ’“‘ J’ai donné un bon conseil à M Callet ’ ‘ . Les réputations sur parole ne m’imposent point. Je n’aime pas sa couleur parce qu’elle n’est pas vraie, qu’elle est ardente et me fatigue l’œil (…) ’.”‘ ’C’est contre ce même peintre que Renou allait s’acharner‘ ’en 1780, lorsque, sous le masque du “Comte de B***”, il critique la qualité des restaurations entreprises à Saint Sulpice.

“Le Comte de***” manque à ses promesses et, après ces deux lettres fugitives, il interrompt brusquement sa correspondance avec le‘ Journal ’à propos des brochures critiques sur le Salon de 1777, laissant son compte rendu inachevé. Qui plus est, il clôt sa deuxième lettre avec humour, rappelant le style badin du Marin Kergolé : “‘ Il est temps que je finisse, car ma chaise m’attend et je pars pour la Cour ’”1266.‘ ’Si en 1777 le‘ Journal de Paris ’semble encore hésitant et mal organisé pour rendre compte du Salon, en 1779 le quotidien publie une recension critique exhaustive de l’exposition, sous le titre La critique est aisée, l’art est difficile, ’suivie d’un examen comparé des brochures critiques signé par “L’Ami des Artistes”. Les deux volets sont introduits par une lettre introductive, où les rédacteurs promettent de parler du Salon sur un ton humble et respectueux et d’être l’écho des artistes et de la‘ ’“‘ voix publique ’” :

‘Comme nous ne nous piquons point de connaissance dans ces Arts, qui ne sont réellement bien connues et appréciés que par les Artistes, nous nous sommes imposés la loi de n’être que leur écho et celui de la voix publique. On paraît généralement d’accord sur la beauté du Salon ; mais cet avis général n’établit point de sentiments particuliers sur chacun des morceaux, et c’est sans doute ce que nos Lecteurs attendent de nous. Fixer chaque talent à sa juste valeur, nous paraît aussi difficile que délicat, surtout quand on ne veut ni se perdre dans des éloges outrés, ni se livrer à une critique décourageante. Nos réflexions sur quelques défauts, si nous nous en permettons, ne seront que des doutes proposés et non des arrêts décisifs1267 .

L’auteur du compte rendu précise qu’il ne procèdera pas par ordre académique des artistes, mais qu’il commencera par les tableaux d’histoire et plus particulièrement, par ceux qui s’offrent les premiers à la vue des spectateurs. Les critiques adressées aux artistes ne manquent pas, mais sont introduites par des formules génériques telles : “‘ quelques personnes auraient désiré que ’”1268, ’“‘ les Artistes ont paru demander ’”‘ , ’“‘ quelques gens auraient voulu ’”‘ , ’“‘ quelques gens de l’Art accusent ’”1269, ’“‘ les gens de l’Art y trouvent beaucoup à reprendre ’”1270. ’Sous prétexte de vouloir éperonner les jeunes talents, le critique attaque de nouveau le peintre Vincent‘  : ’“‘ Comme M Vincent ’ ‘ est un jeune Artiste, qui donne les plus grandes espérances, nous nous permettrons sur lui plus de réflexions que sur tout autre, non pour le décourager, mais pour l’avertir des fausses routes où l’on s’égare aisément dans la chaleur de l’âge ’”1271. ’Il montre les mêmes égards à Ménageot, auquel il recommande une étude plus approfondie de la perspective et finit par une observation commune aux deux jeunes artistes : “‘ Si MM Vincent ’ ‘ et Ménageot ’ ‘ considèrent dans quel esprit nous sommes entrés en détail à leur égard, ils ne nous en sauront pas mauvais gré ; ils verront que c’est par estime pour eux, par espérance dans leurs forces, et non par amour de la critique que nous sommes un peu étendus dans nos remarques ’”1272.

Dans une lettre à son ami Jean-Baptiste Descamps, datée du 30 septembre 1779, Charles-Nicolas Cochin attribue à Antoine Renou les lettres critiques sur le Salon publiées dans le‘ Journal de Paris :

‘Ce qui a été écrit dans le Journal de Paris est aussi fort bien, mais je ne sais si vous avez été à portée de le lire. On l’attribue aussi à un Artiste, c’est-à-dire à Renou. Il s’en défend comme un diable, mais on ne veut pas l’en croire et par provision on le querelle comme si l’on était assuré que ce fût lui1273.’

Si Renou a été effectivement repris pour son compte rendu critique de l’exposition de 1779, le Combat des critiques du Salon les unes contre les autres, publié à partir du 30 septembre et signé par “L’Ami des Artistes”, premier masque du journaliste, se présente comme une réparation. L’auteur se propose de comparer plusieurs brochures critiques sur le Salon, auxquelles il ajoute également le Journal de Paris, dont “‘ les avis, explique-t-il, quoiqu’un peu étendues et trop sévères pour quelques-uns, y sont donnés avec honnêteté ’”1274. ’Le but affirmé de ce collage d’extraits critiques pour chaque artiste exposant serait de mettre en évidence les contradictions de la critique, ses balancements entre la louange exagérée et la critique sévère, ce qui correspondrait à une absence manifeste de cohérence et à l’impossibilité de fournir aux artistes des solutions efficaces pour corriger leurs défauts. Par exemple, en parlant du tableau représentant les Halles par Lépicié, “L’Ami des Artistes” relève les opinions complètement opposées du‘ Journal de Paris ’et du‘ Visionnaire. ’alors que le premier accuse le peintre de‘ ’“‘ [jeter] sur ses clairs une espèce de farine qui les décolore ’”‘ , ’le second le félicite de la manière dont il sait utiliser le clair-obscur. Et le critique de noter la confusion qui en résulte :

‘L’un voit M l’Epicié éloigné de quelque distance du naïf Téniers, et l’autre prétend qu’il donne la main à ce Maître, pour mieux dire qu’il a atteint à la nature. Cette “harmonie grise” qui répond à “farine” (mot un peu dur) est vantée par celui-ci quand elle est censurée par celui-là. Qui des Donneurs d’avis voit le mieux ? et qui M l’Epicié croira-t-il ?’

Sous prétexte de souligner les incohérences des publications sur les œuvres du Salon de 1779, Renou s’évertue à adoucir quelques-unes des ses observations critiques qui ont pu froisser les artistes de l’Académie. En mettant le Journal de Paris parmi les titres de brochures coupables d’une critique partiale, le journaliste poursuit un double but : donner un exemple de critique “‘ plus honnête ’”‘ ’par rapport aux libelles vendues à la porte du Salon et, en même temps, suite aux plaintes des artistes, apporter quelques corrections à ses propres critiques, considérées comme “‘ trop sévères ’”‘ . ’Renou se voit obligé de faire amende honorable à propos du peintre Vincent, qu’il avait attaqué durement dans son compte rendu, et auquel il dédie une lettre entière.‘ ’“‘ Voici un des Artistes sur qui l’éloge et la critique se font le plus étendus. Tel est le sort des vrais talents. Cette réflexion est consolante pour M Vincent ’”‘ , ’commence Renou. Plus loin, il avoue que‘ ’“‘ MM du Journal ont été ’ ‘ (…) avares en louages à l’égard de ce jeune Artiste ’”‘ . ’Finalement, il corrige ses remarques, s’efforçant de les rendre moins tranchantes :

‘MM du Journal de Paris auraient pu, ce me semble, retrancher de leur note sur M Vincent beaucoup de principes de l’art débités avec affection et d’un ton un peu trop magistrale ; et sans s’appesantir sur le défaut de perspective, il eut suffi de dire que cet Artiste avait peut-être choisi son point de vue trop haut et son point de distance trop près1275.’

Encore est-il vrai que l’entreprise de “L’Ami des Artistes” reste parfois ambiguë, dans la mesure où, tout en corrigeant certaines critiques, il souligne d’autres défauts des artistes. Après avoir reproché au Journal de Paris d’avoir été trop dur avec le peintre Vincent, ce n’est peut-être pas sans aucune malice que Renou relève les critiques adressées au même peintre par une autre brochure : “‘ Qu’avait besoin l’auteur bénin du Coup de patte de ne voir dans le tableau de Vincent ’ ‘ aucune combinaison de masses, un faisceau de figures pleines de caractère et sans noblesse et des têtes de Pantalons entassées les unes sur les autres, pour recommander à cet Artiste de ne pas (comme supérieur à tous) se borner à lutter ’“‘ contre les Barbouilleurs qui les environnent ’”1276. ’Se servant du voile de l’anonymat, de la multiplication et de l’interchangeabilité des masques, ainsi que des ambiguïtés des critiques emboitées, qui,‘ ’d’une part, s’annulent les unes et les autres, et d’autre part, se renforcent réciproquement, Renou parvient à accomplir, pendant une période assez longue, sa difficile tâche de peintre académicien et de critique d’art.

En 1781, le‘ Journal de Paris ’publie de nouveau un compte rendu du Salon sous forme de critique d’une brochure intitulée Le pique-nique préparé par un Aveugle, ’dont l’auteur pourrait être Antoine Renou1277. ’Cette formule se révèle très pratique, dans le mesure où elle lui permet de justifier ses observations critiques à l’adresse des artistes de l’Académie comme un modèle de critique honnête et impartiale, alternatif à la sévèrité et aux plaisanteries de la brochure clandestine. Les journalistes annoncent que le compte rendu du Salon de 1781 leur est parvenu sous forme de manuscrit anonyme, et que son auteur leur a semblé “‘ un homme aussi impartial qu’éclairé ’”1278 ’Celui-ci avoue, à son tour, qu’il se propose‘ ’“‘ de ne parler que d’une critique mal faite, et de rien dire lorsque [ses] observations ne peuvent être d’aucune utilité à l’Artiste ’”1279.‘ ’Pour se prémunir contre d’éventuels reproches et conjurer tout scepticisme à son égard, l’auteur de la critique brandit la modestie et la décence de sa plume contre “‘ les bouffonneries ’”‘ , ’“‘ les mauvaises plaisanteries ’”‘ , ’“‘ les sarcasmes ’”‘ ’et le ton satyrique pratiqués par la brochure.

Les observations critiques à l’égard des œuvres semblent n’avoir de place dans le Journal qu’en tant que réactions aux attaques et aux injustices proférées par la libelle. En parlant de la Briséis emmenée de la Tente d’Achille ’par Vien, le critique observe : “‘ Si on voulait parler de ce Tableau, il fallait le faire avec ménagement sur ce qui peut s’y trouver de faible ’”‘ . ’A propos du‘ Voltaire ’de Houdon‘ ’“‘ on aurait pu observer (…) que cette tête paraît trop petite et noyée, pour ainsi dire, dans les cheveux ’”‘ , ’quant au buste du duc de Montausier par Mouchy‘ , ’“‘ il fallait observer aussi que les mains et les jambes, quoique d’une nature exacte et bien étudiée, manquent de cette noblesse qui convient à un homme de naissance ’”1280. ’Faisant référence à‘ La double récompense ’de Wille‘ ’le fils, le critique observe qu’“‘ il fallait donner des conseils avec honnêteté et faire mention de quelques vérités de nature qui se trouvent répandues dans les détails ’”1281.

Le compte rendu du Salon de 1783 arrive en retard et se présente sous la forme d’une lettre aux Auteurs du Journal rédigée par un amateur anonyme, où l’on retrouve des thèmes communs avec les critiques des Salons précédents : le critique guidé par le goût et l’impartialité, le refus de la satire, la difficulté et la noblesse des arts‘ ’visuels :

‘Je m’attendais de jour en jour de trouver dans vos Feuilles une Notice sur les Ouvrages du Salon, et je ne vous dissimulerai pas que celles que vous avez insérées les années précédentes me paraissant dictées par le goût et l’impartialité, il me tardait de lire les jugements que vous porteriez sur l’Exposition actuelle. J’ignore les motifs de votre retard ; mais votre silence m’a donné l’idée de mettre par écrit quelques réflexions que vous voudrez bien adopter, si vous les jugez digne d’être présentées au Public. Je dois vous prévenir que, tant pour suivre mon goût personnel, que pour me conformer aux principes que vous avez-vous-mêmes adoptés, je me suis proposé d’écarter toute idée de satyre. L’art est difficile, et je pense réellement que l’on doit estimer jusqu’aux efforts de ceux qui entrent dans cette noble carrière1282.’

On y retrouve également le parallèle entre les arts, si cher à Renou1283, une observation sur “‘ la sensibilité ’”‘ ’trop grande des artistes face à la critique et, pour la première fois, une remarque bienveillante quant à la volonté du peintre Vincent de profiter des critiques pour corriger ses défauts :

‘Les Artistes sont en général trop sensibles à la critique, du moins ceux qui ont des talents réels ; si cette critique est injuste ou méchante, que leur importe ? c’est en continuant à bien faire qu’ils doivent répondre ; si cette réponse est vigoureuse, si cette même critique est éclairée, c’est sans doute, un service rendu à l’Art et à l’Artiste ; car on trouve des amis généreux pour ne pas craindre de faire souffrir notre amour-propre :M Vincent, dans son Tableau du paralytique guéri à la Piscine, sous le n°95, est la preuve que j’avance ; il a pu murmurer dans le temps des avis qui lui ont été donnés ; mais en Grand Maître, il a eu le bon esprit d’en profiter, dans ce sens quelles obligations n’a-t-il pas même aux gens intentionnés, qui n’avaient peut-être d’autre vues que de le dégrader ? il peut leur montrer aujourd’hui son Paralytique1284.’

L’exemple de Vincent, qui se plaint de la sévérité des observations critiques, mais qui montre, en même temps, dans sa production la plus récente qu’il en a su profiter pour améliorer son art, sert à l’auteur de la lettre pour souligner l’idée qu’une critique éclairée, telle que la sienne, ne peut nuire en aucune manière à l’artiste. Si celui-ci n’a pas les moyens de répondre aux critiques à travers la parole, il peut se défendre en revanche avec sa palette, en corrigeant ses défauts. Le peintre Vincent demeure toutefois objet de polémiques et en 1785, l’auteur du compte rendu du Salon (probablement Renou) précise avoir reçu “‘ les réclamations de quelques personnes, dont je respecte l’opinion, et qui m’ont reproché d’être sorti des bornes de la véritable critique en supposant à M Vincent ’ ‘ un excès de sensibilité qu’il n’a point ’”‘ . ’Cette fois-ci, le critique s’empresse de retirer ses paroles et d’admettre l’inconvenance de son affirmation :‘ ’“‘ je ne connais point personnellement M Vincent ’ ‘ , et (…) je m’en suis rapporté, sans doute trop légèrement à des propos dont j’aurais dû me méfier ’”1285.

Dans les comptes rendus du Salon rédigés pour le Journal de Paris, on balance continuellement entre la critique des ouvrages exposés et la justification de celle-ci. L’auteur des lettres doit prendre garde à maintenir en permanence l’équilibre entre la virulence et la douceur, entre la mise à nu des erreurs et des inconvenances techniques et stylistiques des artistes et la proposition de remèdes. Après avoir donné ses avis sur les morceaux de peinture en 1783, le critique s’excuse d’avance aux artistes qu’il aurait pu offenser, malgré lui :

‘Si j’ai blessé quelques-uns de nos Artistes, j’en suis sûrement fâché ; car, comme je l’ai déjà avancé, j’estime l’Art en lui-même, et jusqu’aux efforts de ceux qui s’y livrent ; je suis lié sans qu’ils le sachent avec un grand nombre d’entre eux, mais je crois véritablement m’être garanti de toute prévention, ayant pris pour devise Magis amica veritas. Mon intention est pure ; et lorsque je me suis montré sévère, ce n’a jamais été que par mon amour pour l’Art1286.’

Le paradoxe de la critique c’est que, d’une part, elle est censée assurer la publicité des artistes et de leurs œuvres, et d’autre part, elle peut endommager leurs réputations et, implicitement, leurs fortunes, à travers des remarques diffamatoires. Il n’est donc pas étonnant que les artistes en aient besoin et s’en méfient à la fois. Souvent, ils considèrent l’attention des critiques plutôt comme un inconvénient, un aspect de leur condition dont ils se débarrasseraient même volontiers.

En 1749, le Salon est suspendu, en raison des plaintes des artistes qui ne toléraient plus les réactions critiques défavorables1287. Dans les années 1770 et 1780, la direction des Bâtiments n’est pas plus favorable à la critique d’art et d’Angiviller exprime son regret de ne pas pouvoir “‘ mettre une digue à ce torrent de platitudes et d’inepties ’”1288.‘ ’En revanche, c’est durant cette même période qu’est publié le plus grand nombre de pamphlets critiques sur le Salon et que la censure baisse son contrôle sur les brochures et les périodiques. L’Académie décourage fortement la collaboration des artistes à la rédaction des recensions critiques sur les Salons, en soutenant que celle-ci est, le plus souvent, le fruit de la rivalité et des jalousies entre ses membres. Quant aux comptes rendus des expositions du Louvre publiés dans les périodiques, ils ont une diffusion beaucoup plus importante que les brochures et, par conséquent, la responsabilité des journaux quant à la réputation des artistes est considérée comme nettement plus élevée. La critique est rendue coupable de nuire à la réputation des membres de l’Académie, non seulement par ses observations sévères et offensives, mais aussi par son silence. En 1783, le compte rendu sur le Salon est déjà achevé, lorsque le Journal de Paris insère une lettre à propos du jeune académicien Peyron, dont les ouvrages avaient été exposés l’avant-veille de la clôture de l’exposition :

‘Vous étiez, ainsi que moi, dans le cas de croire que notre tâche est remplie. Notre opinion, car elle nous est commune puisque vous l’avez adoptée, s’étant étendue sur les Ouvrages exposés ; mais peu de jours avant la clôture, M Peyron, dont vous avez depuis annoncé l’admission à l’Académie, a fait paraître ses Ouvrages. J’ai cru aux yeux du Public, notre besogne étant finie, il paraîtrait singulier de faire une addition, et je suis parti pour la campagne, après avoir examiné à loisir cette nouvelle exposition. A mon retour, j’ai trouvé le plus grand nombre d’Artistes scandalisés du silence que vous gardiez sur les Ouvrages de ce nouveau Académicien ; je pense moi-même, en y réfléchissant davantage, qu’en effet notre examen n’est pas complet et que la réputation de ce jeune Artiste semble accuser notre silence1289.’

Le critique ne peut pas se retirer impuni à la campagne, en pensant avoir dûment rempli sa tâche, en reléguant un artiste exposant à un silence avilissant. Toutefois, le critique ne se limite pas à réparer l’oubli du Journal, il traite avec beaucoup de dureté le Marius de Peyron, affirme, sur un ton implacable, qu’“‘ au total, il manque de caractère ’”‘ , ’et, comble de l’imprudence, il suggère qu’une de ses esquisses a été copiée d’après une estampe gravée par Martini d’après Pajou. Cette dernière affirmation déchaîne la colère de l’Académie et de l’artiste, qui envoie une lettre au quotidien de Paris dans laquelle il crie à la calomnie et invite les curieux à son logement du Louvre, pour comparer son esquisse à l’estampe de Martini1290.

Dans une lettre à d’Angiviller, le Premier Peintre Pierre affirme que les artistes de l’Académie sont en colère contre le compte rendu publié dans le Journal de Paris, pour s’être vus si sévèrement critiqués dans un périodique autorisé par le gouvernement. Pierre précise aussi qu’ils “‘ ne doutent point sur le nom des artistes qui donnent les matériaux ’”1291 et il suggère, en guise de punition, non la sanction du périodique, mais l’identification du nom de l’artiste coupable1292. Il est évident que le premier à être soupçonné d’avoir rédigé le compte rendu de 1783 est Antoine Renou, correspondant artistique du Journal de Paris. Celui-ci a beau se défendre, qu’il soit ou non le véritable auteur de la recension incriminée, sa position demeure particulièrement délicate1293. En témoigne son oubli de publier, à la demande de l’Académie, en sa qualité de secrétaire adjoint de l’institution, un texte formel concernant la prévention des critiques diffamatoires1294.

Pour expier ses fautes réelles ou supposées, Renou publie la même année une brochure intitulée L’Impartialité au Salon dédiée à Messieurs les critiques présents et à venir. Le titre est suivi par un quatrain significatif : “‘ Juge sans passion, Censeur sans amertume, / Aux fureurs des Partis je ne vends plus ma plume, / En prodiguant le fiel et l’encens tour à tour, / Je ne sais point servir et la haine et l’amour ’”. Renou s’adresse directement aux critiques, avec lesquels il adopte un ton tranchant : “‘ Ne comptez pas, Messieurs, sur une Epître dédicatoire, je ne crois pas vous devoir cette honneur. Je ne vous interpelle ici, que pour vous juger à votre tour, vous mettre à votre place et vous fustiger comme vous le méritez ’”.‘ ’Renou accuse les critiques de traiter les artistes “‘ comme des criminels condamnés à entendre crier leur sentance dans le lieu même de leur exécution ’”. Il dénonce leur‘ ’“‘ acharnement ’”‘ ’comme “‘ capable de répandre le dégoût parmi nos talents, et de décrier même chez l’Etranger (…) l’honneur de l’Ecole française ’”‘ . ’Finalement, il déclare que seuls les périodiques approuvés par le gouvernement devraient avoir la permission de publier des comptes rendus des Salons1295. Cette brochure est anonyme, mais face à l’hostilité de ses confrères, Renou lit devant eux, toujours en 1783, un Discours et mémoire justificatif sur l’abus des critiques, dans lequel il admet d’être l’auteur de la plaquette citée ci-dessus1296. Les académiciens votèrent l’impression de ce mémoire, chacun d’entre eux ayant droit à un exemplaire1297.

La collaboration d’Antoine Renou au‘ Journal de Paris ’est particulièrement intéressante, dans la mesure où elle éclaire plusieurs aspects du rapport entre presse et critique d’art. Dès le début de leur entreprise, les rédacteurs du quotidien, en quête d’innovation, offrent à Renou la place de correspondant artistique de leur feuille, fonction complètement nouvelle dans un périodique.

Selon toute apparence, Renou ’ ‘ doit se soumettre aux exigences des journalistes et éventuellement, rédiger ses notices artistiques même dans un but anti-académique. Le conflit de Renou ’ ‘ entre sa fonction de peintre-officiel de l’Académie et celle de journaliste artistique d’un périodique quotidien illustre le paradoxe de la critique d’art à la fin de l’Ancien Régime. Si d’une part, l’Académie exige que le critique soit familier avec la théorie et la pratique des arts pour pouvoir juger des œuvres artistiques, d’autre part l’artiste qui se donne cette tâche risque d’être réprimandé et isolé par ses propres confrères. C’est ce qui a pu se passer avec Antoine Renou ’ ‘ , qui pendant les premières années d’existence du Journal, emploie sa plume énergiquement pour y parler des arts visuels et se prête même à une position anti-académique (voir le Salon de 1779), pour devoir se retirer graduellement, peut-être sous la pression de ses collègues de l’Académie, de sa fonction de journaliste, dans les années suivantes.

La difficulté de sa tâche et la vulnérabilité de sa position de correspondant artistique sont illustrées, à la fois, par le jeu permanent de masques, les ambiguïtés de ses lettres, le va et vient continuel entre la critique et l’excuse, entre le texte badin et équivoque et le texte officiel et cru, que lui impose sa fonction de secrétaire de l’Académie. Sa collaboration reconnue à la rédaction de la partie artistique du Journal suffit aux académiciens pour l’accuser de toute critique qui y est publiée. Avec l’accusation de plagiat faite à Peyron en 1783, la tension explose et le “‘ murmure ’” des académiciens se transforme en menace réelle. Bien qu’on note, dans les années 1780, un certain laxisme quant à la censure des journaux, les temps ne sont pas encore mûrs pour une vraie liberté d’expression. L’affaire Renou rappelle clairement qu’on ne saurait permettre qu’un académicien travaille impunément contre l’institution qu’il sert.

Même si Antoine Renou n’est pas le rédacteur de tous les comptes rendus des Salons publiés dans le‘ Journal de Paris, il est intéressant de remarquer que ces textes se caractérisent par une unité et une continuité recherchées. Si les prétextes littéraires pour introduire les recensions sur les Salons sont variés (le manuscrit envoyé au Journal, la lettre tardive qui supplée le manque d’autres interventions, la participation annoncée du “‘ Marin ’” et de‘ ’“‘ L’Amateur ’”), le lecteur sent, par moments, la présence d’une voix unique qui le porte par la main d’un Salon à l’autre. En témoigne le début de la recension du Salon de 1787, dont l’auteur offre quelques détails sur sa tâche de critique et son engagement avec le quotidien :

‘Si je n’aimais pas les Arts avec passion, si je ne rendais pas aux véritables talents une sorte de culte, ily a longtemps que j’aurais abandonné la tâche que je me suis imposée. Je sais que plusieurs Artistes, il y a deux ans, ont témoigné publiquement leur mécontentement ; il est bien dur d’exciter les murmures de la classe d’hommes que l’on estime le plus, lorsqu’au contraire on est animé du désir unique de lui être utile.
Je n’aurais pas balancé à prendre le parti du silence, si quelqu’un autre, armé comme je le suis d’une entière impartialité, s’était présenté dans la lice et vous savez, Messieurs, que j’en avez fait le traité avec vous. Mais je suis convaincu qu’il est de nécessité absolue pour le progrès de l’Art et pour l’encouragement des Artistes, que les Ouvrages exposés aux regards du Public soient ou loués ou blâmés ; autrement l’expérience apprend que les Artistes tombent dans une sorte de langueur et qu’ils perdent toute énergie. Combien je souffrirais moi-même de les voir uniquement abandonnés à ces satyres clandestines qui déchirent également les chefs d’œuvre et les Ouvrages médiocres ! Mais je suis en même temps tellement convaincu de la nécessité de louanges ou de blâmes publics, que je préfèrerais ces satyres elles-mêmes au silence absolu. (…)
Enveloppé sous l’anonyme, j’ai souvent eu l’occasion d’écouter les Artistes, et d’avoir leur véritable opinion sur mon examen. (…)1298

Si ces mots n’appartiennent pas à Antoine Renou, on pourrait les lui attribuer facilement, puisqu’ils reflètent parfaitement bien sa condition de peintre-journaliste des arts, et son engagement avec le quotidien. D’autre part, on y retrouve la position d’un critique engagé, persudé de la nécessité d’un discours critique sur les arts visuels dans la presse, capable de contrebalancer les brochures clandestines et de stimuler le travail des artistes. Sans critique, explique-t-il, à savoir, faute d’un discours qui souligne les qualités et les défauts des artistes, qui récompense et qui invite à s’améliorer, il n’y a pas de progrès possible des arts. L’auteur souligne, de surcroît, qu’entre une critique satyrique et partiale et le silence total sur les productions artistiques, il choisit la première. Le silence sur les arts est considéré comme la plus lourde des critiques, parler mal des arts vaut mieux que n’en parler pas du tout. Malgré la censure du discours critique sur les arts et les polémiques entre Académie et auteurs de comptes rendus, à la fin de l’Ancien Régime, la visibilité des arts visuels, à travers l’impression, est devenue une condition fondamentale de leur existence et de leur évolution. En dépit de ses limites, la collaboration d’Antoine Renou à la rédaction du quotidien de Paris, en tant que premier correspondant artistique, témoigne également de cette prise de conscience.

En dehors de la nouveauté du correspondant pour les arts, le Journal de Paris accueille dans ses pages de nombreuses lettres de lecteurs, contenant des projets et des réflexions sur les travaux destinés à changer ou améliorer la physionomie de la capitale.

Notes
1186.

Ibidem, 9 février 1777, “Arts, Lettre première sur les Arts, par un Ami des Artistes, aux Auteurs de ce Journal”.

1187.

D’autres notices publiées dans le Journal en 1777 abordent ce thème. Le 23 mars 1777 on annonce une commande de Vierge pour la cathédrale de Chartres au sculpteur Audran, par l’abbé d’Archambault. Le rédacteur note: “Non seulement on a payé avec exactitude à M Audran le prix qu’il a fixé lui-même, mais le Chapitre, par une délibération ultérieure, a jugé à propos de faire à cet Artiste une pension de 1200 livres réversible sur la tête de sa femme. Ce trait de générosité nous a paru digne d’être consacré pour l’encouragement des Arts”.

1188.

Journal de Paris, 1er mars 1777, “Arts, Lettre aux Auteurs de ce Journal”.

1189.

Ibidem.

1190.

Ibidem, 19 mars 1777, “Arts, Troisième lettre d’un Marin aux Auteurs de ce Journal”.

1191.

Ibidem.

1192.

Ibidem, 4 mars 1777, “Seconde Lettre du Marin”.

1193.

Ibidem, 9 avril 1777, “Arts, Lettre quatrième du Marin aux Auteurs de ce Journal”.

1194.

“(…) ce qui me surprend toujours, est de ne voir dans toutes ces belles collections, celle, par exemple de M Boisset, qui avait voyagé deux fois en Italie, aucun tableau de cette étonnante mosaïque si peu connue en France, et qui mériterait à l’être à tant de titres”, Ibidem, 18 mars 1777, “Arts, Cinquième lettre”.

1195.

Ibidem, 16 avril 1777, “Lettre aux Auteurs de ce Journal”.

1196.

Ibidem, 2 mai 1777, “Lettre aux Auteurs du Journal”.

1197.

Ibidem, 21 avril 1777, “Lettre cinquième du Marin, aux Auteurs de ce Journal”.

1198.

Ibidem, 3 juin 1777, “Arts, Lettre dixième du Marin à Jacob Kergolé”.

1199.

Ibidem, 16 juin 1777, “Lettre onzième du Marin aux Auteurs du Journal”.

1200.

En nous assujettissant à donner le cours des Modes, nous ne prétendons point par là mériter de la Patrie; un tel détail cependant ne se borne point à l’utilité du moment puiqu’il est des occasions où l’Histoire elle-même peut en tirer avantage. Louis XV monte sur le Trône; c’est Henri IV que l’on croit voir renaître; l’imagination s’exalte; et pour mieux se représenter le règne à jamais mémorable, on court aux bals avec la fraise, les manches bouffantes, le chapeau couvert de plumes, les souliers noués; le vulgaire ne voit dans cet ajustement qu’un effet de caprice et de frivolité; le Philosophe au contraire y voit un objet frappant de comparaison entre l’amour des Français pour l’Aïeul et le Petit-Fils.”, Dictionnaire des Journaux, “Journal de Paris”.

1201.

Ibidem, 1er mars 1777, “Arts, Lettre aux Auteurs de ce Journal”.

1202.

Ibidem, 9 avril 1777, “Arts, Lettre quatrième du Marin, aux Auteurs de ce Journal”.

1203.

Ibidem, 21 avril 1777, “Arts, Lettre cinquième du Marin, aux Auteurs de ce Journal”.

1204.

Ibidem, 8 avril 1777, “Arts”.

1205.

Ibidem, 21 avril 1777, “Lettre cinquième du Marin, aux Auteurs de ce Journal”.

1206.

Ibidem, 25 août, “Arts”.

1207.

Ibidem, 15 mai 1777, “Lettre aux Auteurs de ce Journal”.

1208.

Ibidem, 21 mai 1777, “Variété”.

1209.

PS Dans mes courses, j’ai aperçu un grand vaisseau qui est encore sur les chantiers, et qu’on baptisera, dit-on, la Sainte-Geneviève; il m’a paru beau, quoiqu’on travaille la quille en haut. C’est parbleu, un vaisseau de premier rang; dites-m’en deux mots, je vous prie, dans la lettre que vous m’écrire”. 15 mai 1777, “Lettre aux Auteurs de ce Journal”.

1210.

Ibidem, 3 juin 1777, “Arts, Lettre dixième du Marin, à Jacob Kergolé”.

1211.

Ibidem, 23 juillet 1777, “Lettre douzième du Marin aux Auteurs de ce Journal”.

1212.

Ibidem.

1213.

Ibidem.

1214.

Le Journal de Paris lui-même publie dans son premier numéro de 1778 un extrait d’une lettre de l’intendant de Rouen à Necker, relatant l’acte d’héroïsme du pilote et la réponse du ministre des finances, qui annonce la gratification de Boussard par le Roi. Le 16 janvier 1778, “Le Marin” écrit au Journal à propos de Boussard: “(…) quel homme que Boussard! Je fus ravi d’admiration au récit de l’intrépidité de ce brave homme. Ce nom lui restera, j’ose vous le prédire. Il lui a été donné par M Necker et confirmé par le Roi lui-même”.

1215.

Journal de Paris, 16 janvier 1778, “Lettre du Marin aux Auteurs du Journal”.

1216.

Ibidem, 12 décembre 1777, “Lettre du Marin aux Auteurs du Journal”.

1217.

Ibidem, 27 janvier 1779, “Lettre du Marin aux Auteurs du Journal”.

1218.

Ibidem, 24 avril 1777, “Lettre aux Auteurs de ce Journal”.

1219.

Ibidem, 26 avril 1777, “Lettre sixième du Marin aux Auteurs du Journal”.

1220.

Ibidem, 27 avril 1777, “Les Lettrés de Senlis aux Auteurs de ce Journal”.

1221.

Ibidem.

1222.

Ibidem.

1223.

Ibidem, 5 mai 1777, “Lettre d’un jardinier d’Auteuil aux Auteurs du Journal de Paris”.

1224.

Ibidem, 21 juillet 1777, “Aux Auteurs du Journal”.

1225.

Ibidem, 24 février 1777, “Seconde lettre de M François de Neuf-Château, aux Auteurs du Journal de Paris”.

1226.

Ibidem, 12 mai 1777, “Lettre aux Auteurs du Journal”.

1227.

Ibidem, 22 février 1778, “Aux Auteurs du Journal”.

1228.

Ibidem, 27 janvier 1779, “Lettre du Marin aux Auteurs du Journal”.

1229.

Ibidem.

1230.

C’est avec bien de la peine que j’ai pu achever de lire dans votre numéro d’hier l’article où il est question du plafond de Le Moine et retouché par le sieur Callet . L’indignation m’a saisi quand j’ai vu que, pour relever le prétendu mérite du Restaurateur, on osait attaquer les talents de le Moyne lui-même. Il n’est plus; c’est aux honnêtes gens à prendre sa défense contre les injustes détracteurs et contre les louanges indécentes que l’on donne à un Artiste inconnu, qui a eu la témérité de replâtrer ce grand homme: oui, replâtrer est le terme”, Ibidem, 12 septembre 1778, “Aux Auteurs du Journal”.

1231.

Ceux qui vous mettent en avant sont de jeunes Artistes impatients de se faire mouler, remouler et surmouler par vous des éloges dans les Journaux, dans l’espoir de se faire bâtir à la hâte une grande réputation. Ne vous prêtez point à cette espèce de charlatanisme. Les Artistes doivent s’occuper modestement dans leur atelier à produire de vraiment belles choses, et non point à sétoyer des hommes de Lettres, ou soi-disant tels, pour se faire enfumer d’encens depuis les pieds jusqu’à la tête.’, Ibidem, 13 octobre 1778, “Aux Auteurs du Journal”.

1232.

L’amateur explique dans une de ses lettres les circonstances dans lesquelles il s’est chargé de la tâche de rendre compte de la restauration de Saint-Sulpice: “MM les Auteurs du Journal me firent demander de vive voix et par écrit, un article sur les nouveaux travaux faits à cette Chapelle, etc. Je leur écrivis deux fois, à la hâte, de ce que j’avais vu et senti; je ne consultai personne; je ne mis nul ordre dans ces deux articles, parce que je m’attendais que ces MM le feraient eux-mêmes, comme je les en avais prié, et comme ils l’avaient déjà fait pour quelques articles que je leur avais déjà envoyés. Vous pouvez juger quelle fut ma surprise lorsque j’ai vu mes deux brouillons ainsi moulés dans leur Journal; on n’avait pas pu les lire en entier, puisqu’on y avait omis plusieurs mots et même des phrases entières. Bien loin d’être sollicité par MM les Artistes employés à S Sulpice, de les faire mouler et surmouler dans ce Journal, je leur ai laissé ignorer quelle était la personne qui leur rendait un aussi mauvais service et qui leur a tant attiré des injures; s’ils me soupçonnent, ce n’est que depuis ma dernière réponse. Je les ai entendu se plaindre beaucoup de ce qu’on s’occupait d’eux, et je puis vous assurer quils ont suivi dans tout ceci le conseil que vous paraissez leur donner, de s’inquiéter fort peu des critiques, et de continuer travailler tranquilement dans leurs ateliers, Ibidem, 26 octobre 1778, “Réponse à la lettre de M le Comte de B***, insérée au N°280 de ce Journal”.

1233.

Je n’aime point votre M le Comte de B**, il est trop dur, il a tort, même quand il a raison: il est de ceux qui pour honorer les morts font mourir les vivants”. Ibidem, 27 janvier 1779.

1234.

Ibidem,10 mai 1779, “Lettre de M le Comte de B** à l’Observateur Provincial”. En parlant de l’affranchissement des arts suite à la suppression de Saint-Luc, Renou, sous le masque de “L’Ami des Artistes” compare les maîtres de la corporation à des “frelons” et les artistes à des “abeilles laborieusesJournal de Paris, 12 février 1777, “Arts, Lettre seconde sur les arts aux Auteurs du Journal”. “Le Marin” a recours à cette même image des abeilles laborieuses, pour défendre le droit aux honneurs matériels des artistes de leur vivant, contre l’avidité des amateurs spéculateurs: “Faudra-t-il toujours leur adresser ce vieux vers latin que j’ai retenu au collège? Sic vos non vobis millificatis apes. Ainsi, dilligentes abeilles, / Pour d’autres que pour vous, vous composez le miel, Journal de Paris, 1er mars 1777, “Arts, Lettre aux Auteurs du Journal”. On retrouve l’image des abeilles et des frelons appliquée aux artistes et aux faux connaisseurs, dans un extrait des Observations sur la physique et les arts attribué à Renou par Mariette, datant de 1757: “[les faux connaisseurs] font prendre le change au Public sensé, assez prudent pour ne pas juger par lui-même. Il n’est point d’insectes plus insoutenables et plus cruels pour les Abeilles que ces Frelons qui osent prononcer sur la bonté de leur miel, le préconiser, ou le déprimer selon leur bisarrerie et leur fausse conscience”.

1235.

Journal de Paris, 6 octobre 1779, “Arts, Suite du Combat des Critiques du Salon”.

1236.

Mélanges sur les Beaux-Arts, p 410.

1237.

Journal de Paris, 5 septembre 1780, “Arts, Aux Auteurs du Journal”.

1238.

Ibidem, 4 janvier 1781, “Variété, Aux Auteurs du Journal”.

1239.

“(…) je pense que la France possède actuellement plus de peintres, de sculpteurs et d’architectes qu’aucune autre Contrée de l’Europe; mais en supposant qu’en effet les arts y penchent vers leur ruine, je citerai des faits, dans ma seconde lettre qui mettront à portée de juger si M le Comte d’Angiviller , chargé du soin honorable de véiller à leur conservation, a trouvé les moyens de ranimer et de reculer la décadence”, Ibidem, 9 février 1777, “Arts, Lettre première sur les arts, par un Ami des Artistes, aux Auteurs de ce Journal”.

1240.

Nathalie Heinich, Du peintre à l’artiste, Artisans et académiciens à l’âge classique, (Editions de Minuit, 1993), p 7.

1241.

Ibidem, p.13.

1242.

Natahalie Heninich montre que ce conflit s’est durci à partir de la première partie du XVIIe siècle, lorsque la hausse du nombre des peintres entraîne des mesures toujours plus restrictives de la part de la corporation. Celle-ci intente de nombreuses actions en justice à tous ceux qui sont supposés porter atteinte à son monopole, Ibidem, p. 18.

1243.

“De l’art libéral à l’art de la Liberté: le débat sur la patente des artistes sous la Révolution et ses antécédents dans l’ancienne théorie de l’art”.

1244.

Journal de Paris, 5 janvier 1777, “Variétés”.

1245.

Ibidem, 30 janvier 1777, “Arts”.

1246.

Ibidem, 12 février 1777, “Arts, Lettre seconde sur les arts aux auteurs de ce journal”.

1247.

Ibidem.

1248.

Ibidem.

1249.

Ibidem.

1250.

Ibidem, 15 mars 1777, “Arts, Quatrième lettre aux Auteurs de ce Journal”.

1251.

Ibidem, 12 février 1777, “Arts, Lettre seconde sur les arts aux auteurs de ce Journal”.

1252.

Ibidem, 19 février 1777, “Arts, Troisième lettre aux Auteurs de ce Journal”.

1253.

Ibidem.

1254.

Ibidem, 15 mars 1777, “Arts, Quatrième lettre aux Auteurs de ce Journal”.

1255.

Ibidem, 3 mai 1777, “Arts, A Messieurs les Auteurs du Journal de Paris, par un Artiste de l’Ancienne Académie de Saint-Luc”.

1256.

Ibidem.

1257.

Ibidem, 7 mars 1779, “Aux Auteurs de ce Journal”.

1258.

Ibidem, 15 mars 1779, “Aux Auteurs du Journal”.

1259.

Ibidem,

1260.

Ibidem.

1261.

Antoine Renou, L’art de peindre, p 30.

1262.

“De l’art libéral à l’art de la Liberté: le débat sur la patente des artistes sous la Révolution et ses antécédents dans l’ancienne théorie de l’art”.

1263.

Ibidem, 25 août 1777, “Arts”.

1264.

Ibidem, le 29 septembre 1777, “Arts, Lettre aux Auteurs du Journal”.

1265.

[Le peintre d’histoire] doit de plus à chaque objet, sans s’écarter du vrai, donner des formes toujours grandes et toujours variées: aucune figure ne doit offrir que des membres bien conformés, ni se mouvoir dans ses draperies avec grâce; il n’est permis à ces mêmes draperies ni de suivre pas à pas, ni de dissimuler les mouvements du corps; il est même défendu au vent d’agiter et de soulever les vêtements et les voiles légers d’une femme qui fuit, qu’en produisant des plis noblement contrastés: l’architecture ne peut s’y présenter qu’avec une stature imposante, les nuages se promener dans le ciel, les torrents tomber des rochers que sous des formes heureuses, et ce n’est qu’un oeil exercé depuis longtemps qui les aperçoit et les saisit. Mais, me diriez-vous, c’est donc la forme seule qui distingue l’Histoire de tous les genres? Oui, Monsieur (…)”.Ibidem, 7 octobre 1777, “Arts, Seconde Lettre de M le Comte de***, en réponse à celle du numéro 276”.

1266.

Ibidem, 7 octobre 1777, “Arts, Seconde Lettre de M le Comte de***, en réponse à celle du numéro 276”.

1267.

Ibidem, 4 septembre 1779, “Arts”.

1268.

Ibidem, 9 septembre 1779, “Arts, Examen du Salon, La Critique est aisée et l’Art est difficile”.

1269.

Ibidem, 12 septembre 1779, “Arts, Suite de l’examen du Salon”.

1270.

Ibidem, 27 septembre 1779, “Arts, Fin de l’examen du Salon”.

1271.

Ibidem, 17 septembre 1779, “Arts, Suite de l’examen du Salon”.

1272.

Ibidem.

1273.

Correspondances d’artistes des XVIIIe et XIXe siècles, lettre LXI, 30 septembre 1779.

1274.

Journal de Paris, 30 septembre 1779, “Arts, Aux Auteurs du Journal”.

1275.

Ibidem, 18 octobre 1779, “Arts, Suite du combat des critiques du Salon”.

1276.

Ibidem.

1277.

La Correspondance littéraire attribue le compte rendu du Salon de 1781 au peintre Casanova. Voir note 264 ds The Origins of French Art Criticism, p.94.

1278.

Journal de Paris, 20 septembre 1781, “Arts, Examen d’une critique du Salon intitulée : Le pique-nique, ou Cassandre au Salon”.

1279.

Ibidem, 22 septembre 1781, “Arts, Suite de l’examen d’une critique du Salon”.

1280.

Ibidem, 20 septembre 1781, “Arts, Examen d’une critique du Salon intitulée : Le pique-nique, ou Cassandre au Salon”.

1281.

Ibidem, 26 septembre 1781, “Arts, Suite de l’examen d’une critique du Salon”.

1282.

Ibidem,14 septembre 1783, “Arts”.

1283.

A propos de l’Astianax arraché des bras de l’Andromaque par Ménageot, le critique observe que l’expression d’Andromaque est trop froide et poursuit: “Que l’on me permette ce rapprochement; quand je n’entends dans une Pièce de théâtre que de beaux vers et de belles tirades, je n’y reconnais point un Auteur Dramatique, mais seulement un Poète; quand dans une pièce de musique je n’entends que de beaux airs, je ne trouve dans le Compositeur qu’un musicien; enfin, quand dans un sujet qui exige de l’expression, l’Artiste a soigné toutes les parties de son Tableau, mais a négligé d’y mettre l’énergie qui convient aux passions diverses dont ses personnages doivent être animés, je ne vois plus qu’un ouvrage de Peinture; c’est quelque chose sans doute d’être Poète, Musicien et Peintre, mais c’est peu de chose quand le sujet exige du génie. Je dois prévenir que cette réflexion, que je crois rigoureusement vraie, ne frappe point sur M Ménageot ; elle est générale”, 17 septembre 1783, “Arts, Peinture, Suite de la Lettre sur le Salon”.

1284.

Ibidem, 21 septembre 1783, “Arts, Peinture, Suite de la Lettre sur le Salon”.

1285.

Ibidem, 29 septembre 1785, “Arts, Fin de la lettre sur le Salon”.

1286.

Ibidem.

1287.

The Origins of French Art Criticism, op. cit., p. 100.

1288.

Ibidem, p. 152.

1289.

Journal de Paris, 8 octobre 1783, “Arts, Aux Auteurs du Journal, Suite de l’examen du Salon de cette année”.

1290.

Ibidem, 16 octobre 1783, “Arts, Aux Auteurs du Journal”.

1291.

The Origins of Art Criticism, p 226.

1292.

Ibidem, p 154.

1293.

Ce n’est pas la première fois que Renou est accusé de publications à contenu anti-académique. On lui attribue rétrospectivement une autre brochure anonyme, publiée en 1773 sous le titre Dialogues sur la peinture (d’après une note manuscrite de A Vidier dans l’exemplaire de 1773), qui malmène plusieurs artistes consacrés de l’Académie, tels Pierre, Greuze et Vernet. Guiffrey affirme que ce pamphlet fut publié en cent exemplaires, presque tous saisis par la police, le lendemain de sa parution. Henry Jouin s’inscrit en faux contre l’opinion de Jules Guiffrey, qui pense que Renou, supposé blessé par l’Académie, se venge dans cette brochure contre plusieurs de ses membres. Selon Jouin, cette attitude contredit la position de Renou, qui est sur le point de devenir le suppléant de Cochin, ce qui n’advient que trois années plus tard.

1294.

The Origins of Art Criticism, p 153.

1295.

L’Impartialité au Salon dédiée à Messieurs les critiques présents et à venir, (Boston et Paris, Marchand de nouveautés, 1783).

1296.

Antoine Renou , premier secrétaire de l’école nationale des beaux-arts.

1297.

The Origins of Art Criticism, p 153.

1298.

Ibidem, 15 septembre 1787, “Arts, Aux Auteurs du Journal, Peinture”.