1777, n°90, 31 mars, Arts, Projet tendant à l’établissement des Mosaïcistes en France

Il est étonnant comme l’observe M de Lalande (Voyage d’Italie) que les Souverains qui aiment et protègent les arts, ayant négligé jusqu’à présent d’attirer dans leurs états ces hommes qui ne font éprouver qu’à l’Italie seule combien est précieux le talent d’éterniser par des copies en mosaïques ces admirables morceaux de peinture que la fragilité de la matière qui les compose enlève chaque jour à notre admiration et aux regards des jeunes Artistes dont le génie s’échauffe, dont les connaissances ne s’étendent , qu’en étudiant les productions des plus grands Maîtres dans ce genre.

Non seulement la mosaïque conserve à jamais par une fidèle imitation les productions de la Peinture, mais elle a encore l’inestimable avantage de faire renaître et de s’approprier cette fraîcheur de coloris que le temps a éteint dans une infinité de tableaux, surtout dans ceux qui sont peints à fresque.

Les Papes, protecteurs des arts, occupent depuis longtemps les Mosaïcistes à copier les plus belles peintures renfermées dans les Eglises de Rome ; mais ce travail devant avoir un terme assez prochain, il arrivera que ces Ouvriers manquant d’occupation dans l’Italie et ne pouvant en trouver ailleurs, tomberont dans le découragement et que leur talent périra avec eux.

Cependant la France renferme un nombre prodigieux de peintures précieuses dont le coloris est si altéré, qu’on ne plus les considérer que comme la faible lumière de la fin d’un beau jour.

Il serait de la grandeur du Roi, de son goût pour les arts ; de l’amour que M le Marquis d’Angeviller a pour eux, de conserver tant de chefs-d’œuvre par le secours des copies en mosaïque. Il en existe à Rome qui sont si belles, si parfaitement égales à leurs originaux, qu’on ne peut douter qu’elles ne soient le plus heureux procédé, le plus sûr pour mettre à l’abri d’une perte irréparable les productions des peintres célèbres.

Par ces considérations, un Citoyen qui aime les arts, propose d’attirer en France quelques-uns des meilleurs moscovites. On sait que ces ouvriers sont en général très-pauvres ; s’ils trouvaient en France plus d’aisance, leur travail en deviendrait plus parfait : le talent qui laisse dans la misère celui qui le cultive, tombe tôt ou tard dans la médiocrité.

Il serait encore à désirer que Sa Majesté voulut avec l’agrément des Souverains de l’Italie, charger un homme de goût et instruit, de faire copier par les Mosaïcistes les plus beaux tableaux qui sont en Italie, et de faire faire les creux des plus excellents morceaux de sculpture, pour en voir des copies en plâtre qui seraient placées, ainsi que lesMosaïcistes, dans une galerie formée pour cet objet.

Pour subvenir aux frais de la construction de cette Galerie et à ceux qu’exigeraient la formation de ces copies, leur transport et leur pose, ainsi que l’entretien desMosaïcistes, on proposait des moyens qui ne seraient point à charge au Roi.

Quel spectacle plus beau, plus instructif, pourrait-on offrir aux yeux des artistes et des connaisseurs, qu’un monument qui renfermerait une collection de copies exactes des tableaux et des statues sorties des mains des plus excellents maîtres ? L’Europe entière trouverait dans cette collection unique un objet d’admiration et d’instruction que le temps ne pourrait altérer, et qui conséquemment attirerait sans cesse tout ce qui se trouverait d’Amateurs dans cette partie du monde où les Arts sont cultivés.