1777, n°98, 8 avril, Arts

On a vu ces jours derniers les Tableaux de feu SAS Mgr le Prince de Conti. Les Artistes et Amateurs ont remarqué avec plaisir l’impression différente qu’ont produit sur le Public cette riche collection et le Cabinet de M de Boisset. Avant que l’un et l’autre fussent connus, le peu de gens qui avaient vu les tableaux de ce dernier, en parlaient avec des transports d’admiration. On ne pouvait blâmer cet enthousiasme, qui paraissait inspiré par l’amour des belles choses. Il semblait que l’on s’empressait moins à vanter les Tableaux du Prince, qui n’avait point fait à la vérité arranger les siens, avec un ordre aussi recherché que ce Particulier. Aujourd’hui que le public a été appelé pour juge, il paraît qu’il n’a pu s’empêcher de goûter les morceaux soignés et précieux de l’Ecole Hollandaise, que chérissait particulièrement M de Boisset ; mais qu’il a été frappé de l’imposant des morceaux des grands-Maîtres de l’Ecole de l’Italie et de France, qui brillent dans cette collection immense et formée en si peu d’années par Mgr le Prince de Conti. Il s’en faut portant beaucoup que ce Prince ait dédaigné les peintres flamands et hollandais, puisqu’il y a dans sa collection nombre d’excellents morceaux de ces Maîtres ; mais il pensait sans doute que le véritable amour des arts n’admet point de goûts exclusifs. En sorte que l’on ne craint pas de dire, avec le Public, que le cabinet de M de Boisset, était celui d’un curieux de bijoux, et celui de Mgr le Prince de Conti, d’un amateur de chef-d’œuvres et de belles choses en tout genre. Ce Prince n’a point eu la manie de ceux qui n’achètent les productions des artistes, que comme des meubles. Les plus beaux morceaux seront rejetés par eux s’ils n’ont point la mesure convenable à figurer dans leurs petits appartements, et ils perdent de leur prix à propos qu’ils sont plus grands. De là vient la nécessité où sont nos Artistes modernes, pour travailler à leur fortune, quoique nés avec le désir de déployer leur génie dans un vaste champ, de le resserrer dans les limites de très petits tableaux de sujets innocents et enfantins. On couvre d’or ces derniers tandis que l’on daigne à peine jeter les yeux sur les autres. Il serait à souhaiter que l’exemple de ce Prince pût influer sur cette espèce d’amateurs, et leur persuader que les pans des murs de leurs appartements seront aussi noblement décorés par des grands traits d’histoire, que par des milliers de bambochades ; non qu’il faille, comme nous l’avons dit, les dédaigner, mais nous croyons qu’il est plus avantageux favoriser les genres qui portent le caractère de la noblesse. Ce sont ces vastes compositions et les grandes Machines, pour parler le langage des arts, qui les soutiennent ; ce sont elles, qui même après que les arts sont disparus dans un pays, comme ils le sont en Italie, en font l’ornement et la richesse.