1777, n°113, 23 avril, Arts, Lettre aux Auteurs du Journal de Paris

Messieurs,

L’oncle de l’Anonyme de Vaugirard a raison, il veut qu’on ne s’obstine point dans la dispute et affirme que l’on ne convertit personne ; la preuve en est que malgré les preuves qu’a apportées le défenseur de la mosaïque, je n’ai point changé d’avis ; au reste, j’ai dit mon sentiment, il a dit le sien, permis à chacun de les peser et de prendre parti pour l’un et pour l’autre.

Je suis, dit-on, mal servi par ma mémoire, ou je n’aime assurément pas la mosaïque ; il est vrai que je ne l’aime pas à beaucoup près que la vraie peinture : on croit que j’ai oublié la colombe qui est au Capitole ; non, je l’estime ce qu’il y a de mieux en mosaïque antique ; mais je n’en ai pas été émerveillé : les étrangers ne se lassent pas d’admirer la mosaïque ; qu’admirent-ils ? la patience, la difficulté surmontée ; difficulté encore où il entre plus de mécanique que d’art. Or ce n’est pas ce que j’estime dans les arts, j’y désire du génie, du sentiment, et du savoir dans l’exécution, etc, etc enfin tout ce que l’on ne trouve pas dans une copie. Quelque bien exécutée qu’on suppose la mosaïque, ce n’est toujours qu’une copie, et par cette raison, je la regarde comme très inférieure à un original qui part d’un génie enflammé, et qui est exécuté par des moyens qui n’ont point refroidi son feu ; ces copies d’ailleurs seraient faites par des Artistes très-médiocres ; on ne persuadera jamais à un homme qui aura du goût, du feu et du sentiment de s’attacher à un talent si lent et si insipide. Enfin quoiqu’on ne mette le tableau de mosaïque qu’on désire à Ste Geneviève qu’à trente mille livres, fort au-dessous de ce qu’il coûterait à Paris, je persiste à penser qu’il ne vaudrait pas ce qu’il aurait coûté. Ceci soit dit pour n’y plus revenir, je n’ai pas l’intolérance de persécuter les gens pour les amener à être de mon sentiment.

Au reste, si j’ai pris l’alarme, c’est que je n’ignore pas qu’en France tout est mode, tout est enthousiasme. Je ne suis pas éloigné de penser qu’un peu de ce talent chez nous, dirigé avec modération, y serait une sorte de richesse de plus ; mais elle nous consommerait des fonds dont nous avons besoin pour choses plus importantes, et nous ne tarderions pas à voir nos têtes exaltées attacher à cette Peinture beaucoup plus de mérite qu’elle n’en peut avoir ; elle deviendrait la merveille du jour, l’objet d’admiration. N’entendons-nous pas souvent des personnes ignorantes de ce que c’est qu’harmonie en peinture et frappées par les couleurs outrées, nous dire que les tapisseries sont plus belles que les tableaux ?