1777, n°123, 3 mai, Arts, A Messieurs les Auteurs du Journal de Paris, par un Artiste de l’Ancienne Académie de Saint-Luc.

Voilà donc à quoi ont abouti les belles promesses de ces Artistes, Amateurs ou autres, qui ne trouvaient pas que le Colisée fût un lieu décent pour exposer les tableaux ; qui traitaient de séduction les avances obligeantes que les Artistes Maîtres Peintres voulaient bien faire aux élèves distingués de l’Académie royale. Ce salon ou cette galerie si bien éclairée, si favorable aux ouvrages de peinture et de sculpture a disparu comme une décoration de théâtre ; ces personnes animées d’un zèle très louable, quoiqu’un peu amer, sont obligées d’oublier leur beau rêve.

Des obstacles insurmontables, disent-elles, s’y opposent et quels sont ces obstacles ? pourquoi ne pas parler de bonne foi ? pourquoi ne pas convenir que c’est le défaut d’argent qui les arrête ? Ne sait-on pas que les plus grands artistes en sont moins chargés que de gloire ? et peut-être même d’orgueil.

Il ne nous serait pas difficile de deviner qui avait formé ce projet vague ; le ton de mépris qu’on faisait paraître pour les Artistes de l’Ancienne académie de St Luc, l’indiquait assez. Cependant, il y avait et il y a encore plusieurs hommes de mérite qui étaient de ce corps et qui volontairement y sont rentrés. Sans doute ils ne prétendent pas être au degré des talents qui distinguent l’académie royale ; mais s’ensuit-il qu’ils soient méprisables ? N’ont-ils pas droits de prendre rang dans la classe des talents utiles au public, qu’il a besoin de connaître, et dont il est le juge ?

Pour prouver combien le reproche de séduction est déplacé à notre égard, il suffit d’exposer le projet que nous avons formé. Il faut d’abord poser comme une vérité, ce que ces Messieurs n’imaginent peut-être point, c’est que nous sommes aussi satisfaits qu’eux-mêmes de ce que la liberté a été rendue aux Arts. Dans le procès que nous avons soutenu et qui avait divisé notre corps, n’a-t-on vu que le premier vœu des Artistes était cette liberté ? Si donc nous cherchons à nous rapprocher des Artistes libres qui se distinguent par leurs talents et que rien ne force plus d’entrer dans aucun corps, ce n’est que par le désir de leur être utiles, et de former avec eux une liaison d’affection qui nous met à portée de faire connaître au public et nos talents et les leurs ; sans avoir la prétention d’attirer ses applaudissements, on peut espérer de mériter son attention, comme talents utiles.

Nous espérons obtenir du Magistrat qui nous honore de sa protection, de faire des expositions de tableaux de sculptures. Nous offrons à tous les artistes de mérite qui ne peuvent point exposer au salon de l’Académie royale, de recevoir leurs ouvrages dans le nôtre, de les y placer avec distinction ; nous nous en ferons honneur. S’ils nous sont fort supérieurs, nous n’en serons ni jaloux ni humiliés, personne n’ignore que dans les Arts difficiles, ce n’est pas toujours le défaut de travail et de soins qui force à rester dans la médiocrité ; mais le manque de dons naturels qui ne sont pas accordés à tous ; nous ne désirons précisément que le juste degré d’estime que nous pouvons mériter et nous serons les premiers à applaudir aux succès de ceux qui nous surpassent.

Que peut-on trouver de dangereux dans ce projet ? Que présente-t-il qui puisse avilir les Artistes libres qui se joindront à nous ? peut-il couvrir quelque piège contre la liberté, que nous sommes dans l’heureuse impuissance d’attaquer ? Enfin, y voit-on un plan de séduction et n’est-il pas tout à leur avantage. Je suis, etc.