1777, n°134, 14 mai, Lettre aux Auteurs du Journal

Messieurs,

L’imprimé dont parle l’auteur de la lettre sur les Arts, insérée dans votre journal N°129, est sans doute celle que j’ai eu l’honneur d’adresser dès le 16 avril dernier aux Artistes. Je ne puis voir qu’avec plaisir les bonnes vues de cet Auteur, mais charmé de profiter de ses avis, je me vois avec peine forcé de lui répondre par la même voie, avec bien moins de succès, que par une conférence directe qui eut fixé le point de vue sur la nature du lieu et sur les idées de ma Compagnie et des Syndics pour l’avantage des Arts et l’amusement du public au Colisée.

Le Colisée ayant réuni tout ce qui peut flatter les Citoyens en général, et ayant plu tant au clergé qu’à la Magistrature, ce concours distingué a imposé silence à la critique, la majesté de l’édifice, plus encore que le maintien de la police, ont entretenu la décence, l’honnêteté et la tranquillité, si rares dans une multitude rassemblée.

Moins éblouis du succès, qu’occupés des moyens de le soutenir, il nous vint bientôt l’idée qu’un établissement royal, sans utilité, ne pourrait mériter longtemps l’accueil du public… Que rien n’est plus utile que les Arts… plus favorable aux Arts que l’affluence des Citoyens et des Etrangers opulents ; d’où il a été facile de conclure qu’une exposition de Tableaux serait aussi agréable au public qu’aux Artistes.

Nous nommâmes pour Directeurs MM de Peters et de Marcenay, qui ont bien voulu, uniquement par honneur pour les Arts, se charger de la direction de l’exposition, nous ne pouvions faire un meilleur choix, ils ont fait leurs preuves, aussi dès que le Salon fut préparé les Ouvrages arrivèrent, le public approuva.

La réussite étend les idées, la faveur que nous avait procuré le salon nous détermina à faire refluer sur le Public, ainsi que sur les Artistes, l’avantage que nous en retirions en procurant à la France une collection de tableaux des traits les plus remarquables de l’histoire de France et des statues de ses Héros qu’on mettrait par la gravure à la portée de tout le monde. Nous devrons au zèle et au désintéressement de MM les Directeurs de l’Exposition, le succès d’une Collection réservée à un établissement Royal administré par des vues purement patriotiques.

Nous avons fait choix, à la vérité, de l’Histoire d’Henri IV, mais on reconnaîtra (à la lecture des sujets que nous avons choisis) combien ils diffèrent de ceux de la galerie de Médicis ; l’annonce que nous prierons incessamment de faire suffira pour rassurer les Artistes sur toute idée de comparaison.

Cette collection deviendra meuble pour le Colisée, édifice digne de la recevoir, il faudra à la vérité pour en jouir se conformer au Règlement de cet établissement ; il n’y aura d’exception que pour les Artistes exposants, qu’on voit avec plaisir faire succéder à l’étude de leur Art le délassement que leur procurent les fêtes du Colisée, au moyen des billets que leurs distribuent MM les directeurs ; lorsqu’il n’y avait point d’exposition, le billet du Colisée était de trente sols, il reste au même taux, la satisfaction que le Public retire de la vue des Salons est donc gratuite, comme le désire l’observateur.

“Il est, continue l’Anonyme, une partie importante du public qui ne doit point paraître au Colisée, et qu’on ne doit pas même y exposer, il conviendrait de leur construire une entrée particulière, et on leur imposerait la condition d’acheter un catalogue”.

Ces Citoyens, avec l’état desquels on soupçonne que contrastent les plaisirs du Colisée, peuvent sans difficulté voir les tableaux sans se douter des fêtes, puisque le salon est totalement distinct de la Rotonde, où le monde se rassemble ; la construction que demande l’Auteur serait donc en pure perte.

Mais de quelles personnes peut donc être composée cette partie de l’état pour laquelle l’Auteur s’intéresse, le haut clergé et la Magistrature ?. Ma Compagnie les a crus trop au-dessus de l’entrée GRATIS pour délibérer de la leur offrir. Le Clergé des Paroisses peut entrer le jeudi sous la recommandation du Pasteur ; les Religieux, depuis la création de cet édifice y entrent toutes et quantes fois qu’ils le jugent à propos.

Il ne resterait donc que les Amateurs qu’on supposerait vouloir contenter, sans frais, leur curiosité ; ou les Artistes qui n’exposeraient point au Salon ; nous avons estimé qu’il ne serais pas juste d’accorder aux premiers GRATIS, pour ne point le mettre à profit, l’agrément qu’ils désirent ; et encore moins aux seconds une faveur qu’ils refuseraient eux mêmes au public en le privant de la vue de leurs ouvrages.

Loin d’adopter jamais le projet d’imposer la loi d’acquérir le Catalogue, ce qui serait un payement indirect, on continuera d’en distribuer un exemplaire à chacun des Artistes exposants, et il y en aura quatre les jeudis à la disposition de MM les Ecclésiastiques et des Religieux ; qui que ce soit, je pense, ne blâmera ma délicatesse et celle des syndics.

Nous terminerons par le dépôt que l’Auteur désirerait qu’on fit des planches au lieu de les dorer, en observant qu’il est bien plus avantageux pour les Arts de les renouveler que de tenir le public dans une crainte continuelle de l’abus trop ordinaire dans la multiplication des Estampes, pour conserver à nos neveux des planches dont ils ne pourraient tirer que de mauvaises épreuves.

Je suis, etc Signé, Manet, Trésorier de France.