1778, n°104, 14 avril, Lettre aux Auteurs du journal

Messieurs,

Recevez mes remerciements de m’avoir engagé par l’annonce que vous avez faite du buste de Molière par M Houdon, à aller voir l’atelier de ce jeune artiste, à la bibliothèque du Roi. Ce buste est en effet très-beau, il est plein de vie et de caractère. On y reconnaît le coup-de-poing perçant, le génie observateur du Philosophe ; c’est ainsi que devait être le père de la comédie ; et chacun en le voyant, chacun dit Voilà Molière ; mais dans le nombre immense de beaux morceaux qui ornent l’atelier de M Houdon, on voit avec le plus grand étonnement sa superbe figure de Diane. Je ne peux vous peindre l’effet qu’elle produit : élégance, légèreté, noblesse, elle a tout. Posée sur la seule pointe d’un de ses pieds, l’autre suspendu en l’air, on la voit courir ; il faut que l’oeil se hâte de la suivre ; dans l’instant elle aura disparu, comme Camille qui vole sur les épis sans les courber. C’est-là, c’est-là vraiment Diane la Déesse. Elle remplit parfaitement l’idée que les Poètes en ont donnée. Ce ne sont point seulement les formes vraies d’une belle femme. C’est cette perfection dans la beauté, au-dessus de la nature, même choisie, cette pureté de forme, qui annonce un être céleste. Enfin légère, svelte, noble, simple et imposante on dirait de Diane elle-même, de la sœur d’Apollon, ce divin Apollon du Vatican, la seule figure de la terre qui nous donne l’idée d’un Dieu. Que j’ai de regrets, Messieurs, que cette belle figure n’ait pas pu être placée au Salon ! elle aurait encore ajouté à la réputation de M Houdon ; mais il en a été bien dédommagé par le suffrage des gens de lettres, des Artistes et de tous ceux qui ont le sentiment du beau, et qui sont sortis de son atelier avec la conviction intime que ce jeune homme est un des sculpteurs qui fait le plus d’honneur à la nation. Je suis etc.

Laus de Boissy