1778, n°106, 16 avril, Lettre de M Houdon à M Laus de Boissy, le 14 avril.

Je ne sais pas, Monsieur, comment vous remercier des choses flatteuses que vous dites de moi dans la lettre que vous avez bien voulu faire insérer aujourd’hui dans le Journal de Paris. Si j’y étais moins loué, je vous en aurais plus d’obligation et je ne vous importunerait pas de ma reconnaissance. Mais en me taisant on pourrait me soupçonner de consentir à toutes vos louanges. Je désire certainement beaucoup de les mériter, cependant je prendrai la liberté de vous dire qu’en faisant la figure de Molière que vous êtes venus voir dans mon atelier, je n’ai eu d’autre but que de faire en effet le portrait de Molière. Si chacun l’a reconnu, cela est très flatteur pour moi et prouve que j’ai bien copié les modèles que j’avais sous les yeux. Mais je n’ai pas eu l’intention de faire le portrait du père de la Comédie, dont vous dites que cette figure porte le caractère. Si l’on découvre dans la tête de ce grand homme que j’ai sculptée, les traits d’un Ecrivain qui a, comme vous dites, été le père de la comédie, il ne faut pas en vérité m’en savoir gré. Si tout le monde le trouve ressemblant, si les Artistes le trouvent bien sculpté, j’en suis très glorieux ; mais si, dans ses yeux, dans son air, etc on découvre que c’est lui qui a fait Tartuffe, le Misanthrope, et les Femmes Savantes, je vous assure que je ne m’en doutais pas. La louange sur la ressemblance et le travail, je la reçois. La louange sur les intentions que vous me prêtez, je ne le peux réellement pas.

Quant à ma Diane : quoique ce soit l’ouvrage qui m’ait donné le plus de peine, je ne saurais être de votre avis sur le parallèle que vous en faites. Puisque vous connaissez l’Apollon du Vatican et que selon les apparences vous êtes Amateur de sculpture, vous conviendrez que mon morceau n’en approche pas. Ce que je dis n’est pas de modestie ; mais j’ai, à très peu de choses près, trouvé cette figure parfaite, et vous savez que, dans les Arts, ce qu’on appelle parfait est simplement ce qui approche de la perfection. Ma Diane n’est pas dans ce cas ; je le sens : quoique les Artistes mes confrères m’en aient beaucoup loué, et quoiqu’ils m’aient fait sentir quelques tâches : ce qui est d’un bon augure, parce que l’on dit à un Auteur que tout est bien, dans un ouvrage que l’on trouve mal par tout.

Je vous demande pardon, Monsieur, de ne pas me servir dans cette Lettre de tous les termes d’art que vous insérés dans la votre ou de beaucoup d’autres que je lis de temps en temps dans des Brochures : cela vient, je vous l’avoue, de ce que je ne me sers guères du Dictionnaire nouveau, et que j’entends fort peu tous ces mots tous neufs, qui cependant sont très-bien trouvés. Je m’en rapporte aux savants sur cet article là, me bornant à tâcher de bien faire sans le piquer de bien dire. J’ai l’honneur d’être, etc, Houdon.