1781, n°200, 19 juillet, Réponse d’un Artiste Bon-homme, à M l’Abonné conséquent du Journal de Paris.

Bon dieu ! M l’Abonné, que vous prenez promptement la chèvre ! et que vos oreilles sont délicates ! Je conviens que vous avez raison ; il faut dire un ouvrage de conséquence et non pas conséquent, quand il est question d’un ouvrage considérable. Il ne peut pas même y avoir de discussion là-dessus ; mais la chose en soi n’est pas d’une conséquence à faire tant de vacarme dans le Journal. Ce courroux violent m’alarme pour votre santé. Si vous mettez ainsi en colère contre tout ce que l’on dit et ce que l’on écrit, je vous garantis mort sous peu de temps, et ce serait dommage. Vous aviez fort bien fait d’abord de laisser dire ces Peintres, ces Sculpteurs, ces Architectes et autres, dans l’espérance que l’exemple de ces espèces d’ignorants-là ne prendrait pas dans le monde, et surtout chez les Littérateurs. Malheureusement le mal a gagné. Ces Messieurs qui, pour la plupart, ont fort peu d’estime de notre esprit, parce qu’ils en ont beaucoup pour le leur, ont la manie de se servir de nos mots techniques, afin de paraître se connaître en tout. Est-ce la faute des Artistes instruits, (car il y en a) si ces Messieurs croient à ceux qui ne le sont pas, et adoptent leurs mauvaises façons de parler ? il fallait tancer d’importance ces Littérateurs, et laisser les Artistes en paix parler incorrectement et produire de belles choses. Il vous est très libre de n’avoir pas grande idée de leur érudition ; mais est-il honnête de l’écrire ? N’avez-vous pas craint de prouver qu’en étudiant les règles de la Grammaire, vous aviez oublié celles de la politesse ? Vous avez été non seulement impoli, Monsieur, mais injuste et déraisonnable de les injurier tout in globo. Il en est sans doute qui font des fautes de langue, eh ! qui n’en fait pas ? Nous trouvons tous les jours, Journalistes, Gens de lettres, épier les auteurs leurs confrères, comme le chat fait la souris, et les surprendre ne parlant pas Français, eux, dont la profession est de bien parler et de bien écrire, et vous, M l’Abonné, vous jetterez sur les Artistes en général un vernis de mépris, parce que quelques-uns manquent aux lois de Vaugelas ? Je les entends quelquefois manquer, moi, et je leur pardonne. La plupart des Peintres et des Sculpteurs d’ornements, d’arabesques, d’architecture, qui sont employés à embellir nos appartements, disent que leur genre est le Décore. Ce mot n’est point et ne sera jamais français. D’autres disent aussi d’un objet peint dans l’ombre et éclairé de reflet, qu’il est peint dans le clair-obscur, tandis que ce terme ne signifie que l’art de distribuer avec avantage, dans un tableau, les masses de clairs et d’ombre. Ils se trompent, sans doute ; mais d’autres Artistes, comme je vous l’ai dit, savent la juste signification des termes de leur art. Quoi ! parce que je connais des savants qui sont des sots, des Gens de lettres qui n’ont point d’esprit, et des Poètes, même dramatiques, qui ne savent point l’orthographe, dois-je juger de tous les savants, les Gens de Lettres et les Poètes d’après ces exceptions ? Un Amateur me dit un jour, en considérant le groupe d’Arie et Petus, aux Tuileries, “Avouez, Monsieur, que la perspective aérienne y est bien observée” ; cette absurdité me fit rire, et ne me persuada pas que les Amateurs appliquaient tous aussi mal les termes de l’art. J’étais chez une Marquise, un Peintre en Miniature lui demanda en tremblant, si elle avait vue le portrait d’une Comtesse de ses amies :“Fi donc, Monsieur, répond-elle, il n’est pas ressemblant du tout”. Madame la comtesse (continue notre Artiste, en tremblant encore plus) l’a donc montré à Madame la marquise ? – “A moi ? non. Je ne l’ai point vu ; mais j’en ai tant vus et tant fait faire, que je n’ai plus besoin de les voir, pour savoir qu’ils ne sont pas ressemblants” Ce fait, qui paraît une fable et qui pourtant est une vérité, ne m’a pas induit à croire qu’un pareil ridicule était commun à toutes les femmes de qualité. D’ailleurs, j’en aurai été bientôt désabusé par beaucoup d’entre elles, qui savent allier aux connaissances et à un jugement droit, l’aisance et les grâces, que l’on ne puise guères que dans le commerce du grand monde. Ne jugeons donc jamais M l’Abonné, de tous par quelques-uns. N’ayez point d’humeur ; si vous ne réprimez ce caractère irascible, vous sécherez sur pied ; imitez-moi, riez de tout, n’offensez personne, et vous serez gai, gaillard, gros et gras comme votre serviteur.