1781, n°278, 5 octobre, Arts, Réponse à la lettre de M de Villeneuve, insérée dans ce Journal, n°262

Monsieur,

Quoique Artiste, je suis néanmoins de votre avis. Je pense, comme vous, qu’on doit faire reconnaître le siècle, et surtout la Nation, lorsqu’on représente les grands hommes qui l’ont honorée. La fraise et la barbe courte de Henri IV, la moustache de Louis XIII, enfin la grande perruque de Louis XIV, ôteront à jamais tout équivoque à l’égard des statues de ces Rois.

Etait-il quelque chose qui dût paraître plus opposé à la nature et plus ingrat à traiter en sculpture que ces énormes perruques ? Cependant le Bernin, Girardon et plusieurs autres les ont rendues avec un art infini, et elles ne déparent point pour leurs Bustes.

J’ajouterai que de tous nos costumes, c’est celui qu’on est maître de donner aux gens de Lettre, qui prête le plus à la Sculpture. On doit, ce me semble, les désigner par leurs talents, or c’est dans leur cabinet qu’ils les exercent ; il s’ensuit que leur véritable costume est celui de l’homme en négligé dans son cabinet.

Il reste à choisir dans les diverses manières dont on peut s’ajuster lorsqu’on est en liberté chez soi. Le Sculpteur ainsi que le Poète, a le droit de choisir, de changer, et même de supprimer ce qui ne ferait pas un effet heureux dans son Art. Il lui suffit de présenter un coup d’œil général qui caractérise et l’homme et la nation et le siècle.

J’ose dire qu’il me paraît facile de traiter la statue de Voltaire dans un costume vrai, et en quelque manière rigoureux. D’abord il est très possible de le coiffer d’une perruque courte et en bonnet, comme on en porte volontiers chez soi. Cette coiffure, bien traitée, aurait beaucoup de rapport à quantité de belles têtes antiques, dont les cheveux sont courts et coupés en rond. Il est bien certain qu’il serait ridicule d’y former ce boudin arrondi et tournant autour qu’on voit aux perruques des Abbés. Mais ce qui ,empêche de déranger cet ordre et d’y trouver des boucles variées et volant au hasard ? Les perruques du siècle de Louis XIV n’étaient-elles pas régulièrement pas arrangées par les perruquiers ? Cependant le Bernin et les autres grands sculpteurs ne se sont point contraints à cet égard.

Je ne dissimulerai point que je ne saurais approuver cette mode qu’avait amené M le Moyne, sculpteur, de faire ses têtes nues et chauves, ce qui donne à tous ceux qu’on représente ainsi, l’air de mendiants, et souvent est cause qu’on a peine à les reconnaître ; elle fut fort approuvée par les Philosophes, qui peut-être se flattèrent qu’on leur trouverait quelque ressemblance avec Epictete, les Socrate et autres Philosophes ; à la bonne heure pour eux si cela leur plaît ; ce pourrait être un moyen de plus de se singulariser. Mais dans presque tous les Pays, ou bien on a laissé croître ses cheveux au moins jusqu’au point d’en être coiffé, ou l’on a porté perruque : ainsi une tête demi-rase est hors de la nature, si ce n’est pas par misère pour faire comparaison.

Revenons à notre Voltaire, le voilà coiffé, il s’agit de le vêtir. Rien n’est plus naturel que d’être chez soi sans col, ou avec un simple mouchoir noué sans arrangement ; il ne l’est pas moins d’être en camisole de satin ou de quelque autre de soie. Or rien ne drape plus favorablement, plus délicatement, et ne rend mieux le nu ; une culotte pareille, lâche et sans être boutonnée aux jarretières, se prêtera facilement au plissé dont le Sculpteur peut avoir besoin. Il en est de même des bas de soie, qui, négligemment tirés, peuvent former des plis avantageux en caressant finement le nu, et surtout aux genoux et aux chevilles des pieds.

Terminons notre figure par des pantoufles, non pas neuves, mais qui, après avoir servi, ont bien pris la forme du pied, et ont acquis les plis qu’occasionne le mouvement répété du coup de pied et des doigts. Achevons de la revêtir d’une robe de chambre légère et d’une étoffe qui puisse se prêter à tous nos besoins, et j’ose croire qu’une figure ainsi vêtue peut avoir toute l’élégance du nu, et tout le talent de l’art de bien draper.

Sans doute il faut que le Sculpteur sache traiter les draperies avec délicatesse, et ne soit pas borné à la routine de ces gros plis qui ressemblent à des rochers, et dont la manière pourrait être appelée plutôt grosse que grande ; mais il n’y a rien à craindre à cet égard, on ne confie ces figures qu’à d’habiles gens.

Il n’est pas besoin d’observer que, soit étoffes de soie ou de laine, il se fait garder d’en prendre pour modèle de neuves, encore raides de l’apprêt qu’on leur donne ; il en résulterait des draperies sèches, et sans souplesse. Si la soie et la laine étaient employées, dans leur état naturel, et sans artifice, elles seraient souples ; c’est la nature favorable que nous avons à imiter ; d’ailleurs, entre diverses vérités, l’Artiste doit rester maître de préférer celles qui conviennent à son Art.

Je ne prétends, par ces observations, altérer en rien l’estime due à l’ouvrage de M Houdon ; lorsque l’Artiste a bien rempli la supposition qu’il a faite, il a atteint le but de son Art ; mais il ne peut trouver mauvais qu’on désire qu’il en eût fait une autre, surtout lorsqu’on réfléchit aux raisons que vous allez alléguées

J’ai l’honneur d’être, etc C***