1787, n°230, 18 août, Arts, Aux auteurs du Journal

Messieurs,

Le Poussin, le Brun et le Sueur ont acquis à l’Ecole de Peinture Française une célébrité qu’il semble qu’elle n’aurait jamais dû perdre : leurs successeurs cependant, livrés la plupart à un genre de composition maniérée, ont eu l’air, pendant longtemps, d’en prendre les modèles moins dans la nature que sur nos théâtres et ils ont transmis à la postérité, sans s’en douter, les afféteries de nos Actrices.

Le Moyne, de Troyes, Boucher, sont surtout ceux qui ont corrompu le goût. C’est au comte de Caylus qu’on a l’obligation de l’avoir rétabli dans sa pureté. Cet Amateur éclairé a rassemblé avec un zèle qui tenait du fanatisme, les restes épars des chefs-d’œuvre de l’Antiquité. Seul il a élevé Bouchardon au-dessus des Sculpteurs de son temps, qui charmaient par les grâes maniérées de leurs compositions et en guidant la jeunesse de l’Artiste qui est aujourd’hui à la tête de l’Ecole Française, il a prouvé que la nature, dans sa simplicité, était plus séduisante que les minauderies de nos Lais. C’est depuis ce temps-là que le genre pur et sévère est devenu celui de notre Ecole qui égalera toutes celles d’Italie, si nos jeunes Artistes tiennent ce qu’ils promettent. Cependant, par une fatalité inconcevable, la Peinture d’Histoire est menacée d’une décadence prochaine ; et sans la bonté qu’a eue le Roi d’employer les Artistes livrés à ce genre, peut-être n’existerait-il plus de Peintres d’Histoire en France. En effet, la décoration de nos appartements ne comporte plus de Peinture, et les nouvelles Eglises sont construites de manière que la Peinture n’y est d’aucun emploi. Les Tableaux d’autel sont remplacés par des bas-reliefs et les coupoles sont décorés en architecture. J’offre aux Amateurs des Arts un moyen de ranimer la peinture d’Histoire.

1° inviter les Peintres à composer sur toiles de 3 pieds sur 4 un Tableau d’Histoire à leur choix.

2° A exposer ces tableaux pendant un mois au jugement du Public

3° Faire une Loterie composée de mille billets à 24 liv chaque, numérotés depuis 1 jusqu’à 1000.

4° de faire un tirage au hasard de quatre de ces billets.

Le premier numéro sorti choisira un tableau parmi ceux exposés, et l’Auteur du Tableau choisis recevra 10000 liv. Le Porteur du deuxième numéro sorti choisira ensuite un Tableau dont l’Auteur aura 7000 liv. Le troisième numéro sorti choisira un troisième Tableau dont l’Auteur aura 4000 liv. Enfin le quatrième fera choix d’un tableau parmi ceux restants, et l’Auteur recevra 3000 liv.

Cette manière de procéder mettra l’amour-propre aux Artistes à l’abri du désagrément qu’ils pourraient trouver dans le jugement d’un concours ; et la préférence donnée par le porteur du premier numéro sorti pourra être regardée comme l’effet de la fantaisie ou du manque de lumières. D’un autre côté, il est vraisemblable que le choix sera bien fait, car le mois d’exposition éclairera les intéressés.

Je souhaite, MM, que cette idée soit de quelque utilité au progrès de l’art. Proposez-là, je vous prie, au Public, en l’invitant à faire ce petit projet tous les changements qu’il jugera convenables. Je ne tiens qu’au désir de procurer de l’encouragement à un art bien plus intéressant qu’il ne le paraît, et sur les succès duquel est fondée notre supériorité dans un grand nombre d’arts mécaniques.