1779, n°237, 25 août, Académie Royale de peinture et de sculpture.

Aujourd’hui, fête de St Louis, se fait au Louvre l’ouverture du Salon où MM de l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture sous le bon plaisir du Roi, font l’exposition de leurs ouvrages. Cette exposition a lieu tous les deux ans et dure un mois.

Nous ne rendrons compte que de notre premier aperçu.

Dans la cour du Jardin de l’Infante, on voit quatre Statues, qui sont du nombre de celles des grands hommes que le Roi successivement exécuter par ses Sculpteurs. De ces quatre, deux sont debout et les deux autres assises. Les figures debout sont Bossuet par M Pajou et le Chancelier d’Aguesseau par M Berruer. Celles assises sont P Corneille par M Caffieri, et M Montesquieu par M Clodion. Cette dernière n’est point exécutée en marbre, ne s’étant point trouvé de bloc convenable.

Le Salon est garni cette année pour ainsi dire, à comble, de grands tableaux d’histoire. Les Peintres historiens semblent s’être donné le mot pour absorber les petits tableaux qui, dans les années précédentes, l’avait presque toujours emporté.

On remarque un tableau représentant Hector engageant Paris à prendre les armes pour la défense de la Patrie. Il est de M Vien, Directeur de l’Académie de France à Rome. Les Connaisseurs prétendent que c’est le plus beau morceau sorti des mains de ce Maître. On compte dix tableaux ordonnés pour le Roi, et distribués à différents Artistes pour exciter l’émulation, mère des progrès et des succès brillants. Les sujets sont :

Popilius Consul arrêtant de la part du Sénat les ravages d’Antiochus dans les Etats de Ptolomée, par M de la Grenée l’aîné.

Régulus retournant à Carthage, par M l’Epicier

Octave accordant la grâce de Metellus, touché par les pleurs et les prières de son fils, par M Brenet

La piété filiale de Cleobis et Biton et le combat de Darès et d’Entelle ; ces deux tableaux sont de M du Rameau.

La fermeté de Jubellius Taurea, qui tue sa femme, ses enfants et se tue lui-même devant un consul Romain, par M de la Grenée le jeune.

Agrippine débarquant à Brindes, portant l’urne de Germanicus, son époux, par M renou.

La mort du philosophe Calanus, qui se brûle sur un bûcher, par M Beaufort.

Le fermeté du président Molé dans une émeute populaire, par M Vincent.

Le courage d’Eustache de St Pierre au siège de Calais, par M Barthélemy.

M Vincent a donnée en outre un tableau de la guérison de l’Aveugle né et M Barthélemy un Crucifiement de St Pierre. On voit deux grands tableaux de M Menageot, l’un Susane justifiée et l’autre La perte de David.

Nous avons oublié de dire que dans le milieu du mur qui regarde les croisées, est posé le portrait en pied de Mgr le comte d’Artois, il est de M Callet.

M le chevalier Roslin a garni le Salon de beaux portraits, ainsi que M Duplessis, qui entre autres a fait celui de M, le frère du Roi.

Entre plusieurs morceaux de M Vernet on a remarqué deux grands, l’un un Matin et l’autre un Clair de lune. On a de M Robert plusieurs grands tableaux de ruines et de monuments d’Architecture. On prétend que le nombre de grands tableaux excède celui de trente. Parmi les petits on distingue ceux de M de la Grenée et celui de M Brenet et plusieurs de M Le Prince, entre autres un Marché asiatique et un extérieur de cabaret. M Casanova, après un absence assez longue du Salon, y a reparu cette année. Il serait à désirer que cet exemple fût suivi par tel qui s’en absente volontairement.

M Aubry a envoyé de Rome un tableau d’un fils repentant, de retour à la maison paternelle et M Wille le fils nous a donné parmi plusieurs ouvrages un Seigneur pardonnant à un Braconnier.

Quant aux morceaux de sculpture exposés au Salon, on considère avec plaisir le Buste du roi par M de Pajou, ceux de Molière, Voltaire et J.J Rousseau par M Houdon, ainsi que les morceaux de réception de M Boizot fils, de M Julien et de M de Joux fr.

Si dans ce premier instant quelques Artistes ou quelques ouvrages sont passées sous silence, c’est sans aucune envie de nuire. Notre devise est Sublato jures nocendi. Nous faisons profession d’honnêteté, d’impartialité et d’Amour pour les Arts ; s’il nous arrivait d’entrer dans des détails, ce ne serait point pour lancer les traits de la critique, mais pour rendre la sensation que nous avions éprouvée à la vue des beautés, qui nous auraient le plus frappées. Nous nous bornons à dire, quant à présent, que le Salon ne nous a jamais paru si brillant ni si bien garni. On doit attribuer cette heureuse révolution aux soins de M le comte d’Angiviller, Directeur et Ordonnateur général des Bâtiments du Roi, qui a déterminé sa Majesté à commander tous les deux ans à ses Artistes des Statues et des Tableaux pour tenir leurs talents en activité. La Nation contemple avec amour et vénération ce jeune Roi, qui, au milieu des opérations politiques les plus importantes et au commencement d’une guerre dispendieuse, trouve encore les moyens de protéger et d’alimenter les beaux Arts, qui d’ordinaire ne croissent et ne fleurissent qu’à l’ombre de la paix.