1783, n°264,dimanche 21 septembre, Arts, Peinture, suite de la Lettre sur le Salon.

Les Artistes sont en général trop sensibles à la critique, du moins ceux qui ont des talents réels ; si cette critique est injuste ou méchante, que leur importe ? c’est en continuant à bien faire qu’ils doivent répondre ; si cette réponse est vigoureuse, si cette même critique est éclairée, c’est sans doute, un service rendu à l’Art et à l’Artiste ; car on trouve des amis assez généreux pour ne pas craindre de faire souffrir notre amour-propre : M Vincent, dans son Tableau du Paralytique guéri à la Piscine, sous le n°95, est la preuve que j’avance ; il a pu murmurer dans le temps des avis qui lui ont été donnés ; mais en Grand Maître, il a eu le bon esprit d’en profiter, dans ce sens quelles obligations n’a-t-il pas même aux gens mal intentionnés, qui n’avaient peut-être d’autres vues que de le dégrader ? il peut leur montrer aujourd’hui son Paralytique. Ce Tableau me paraît le plus beaux de ceux qu’il a exposés jusqu’à présent, tant par la composition que par les masses de lumières et d’ombres qui sont, on ne peut mieux distribuées ; la perspective linéaire et la perspective aérienne y sont très bien observées ; le Christ est noble et le Paralytique est une figure très savante ; je le trouve trop près de la mort, il en est, pour ainsi dire, plus voisin que de la vie. M Vincent ne devrait pas oublier que l’action miraculeuse frappe sur un paralytique et non sur un mourant ; l’Ange ne me paraît pas heureux ; mais, quoi qu’il en soit, toutes ses têtes sont d’un bon choix et d’une belle couleur, et ce Tableau achève de prouver que M Vincent doit faire le plus grand honneur à l’Ecole Française.

L’Enlèvement d’Orithie lui a servi de morceau de réception. Il serait injuste de le juger de nouveau, puisqu’il l’a été par ses Pairs.

Il n’en est pas de même de son Tableau pour le Roi, sous le n°93 ; c’est Achille secouru par Vulcain. Il est malheureux que M Vincent n’ait pas été le maître de son sujet, il n’eut certainement pas préféré ce passage de l’Illiade, qui peut être très beau dans le poème d’Homère, mais qui devient une peinture trop gigantesque, et ne peut produire aucun intérêt. La raison en est simple, le poète peut tout dire, il monte l’imagination de son Lecteur, et le prépare, en le séduisant, à voir agir son Héros : le Peintre au contraire, ne peut que représenter, et représenter une action unique. On est prévenu en lisant Homère, qu’Achille fait et peut faire des choses au-dessus de l’effort humain ; si le poète a bien narré, il a rempli sa tâche ; le Peintre, au contraire, pour peindre Achille, est obligé de faire un homme ; il n’a point la ressource de l’illusion, il parle aux yeux ; et de quelque manière qu’il s’y prenne, il faut toujours qu’il représente un homme. Si cet homme agit dans le moment de l’action représentée, autrement qu’un homme ne le peut faire, le personnage est gigantesque, et dès lors, perd tout intérêt. Je profiterai de cette occasion pour prévenir les Artistes de se mettre en garde contre les sujets qui leur sont donné par les Gens de Lettres, même par ceux d’entre eux qui ont le plus d’esprit et de goût ; ils peuvent se laisser séduire par la beauté d’un trait dont la lecture les entraîne. Le qu’il mourût du vieux Horace, par exemple, est sublime à entendre, ou même à lire ; mais il n’est point du ressort de la Peinture : on évitera de s’égarer à cet égard lorsque l’on aura perpétuellement dans l’esprit cette observation, que le Poète parvient à l’âme par les oreilles, et que le Peintre ne peut y parvenir que par les yeux. Je prie vos Lecteurs de me pardonner la longueur de cette espèce de digression en faveur de son importance.

Le reste, dans les prochaines Feuilles