1783, n°289, 16 octobre, Arts, Aux Auteurs du Journal

Messieurs,

Ne connaissant pas l’Auteur de la Lettre que vous avez insérée dans votre Journal du 8 de ce mois, n°281, puisqu’il s’annonce comme étant assez lié avec vous pour que vous adoptiez ses opinions, c’est à vous que j’adresse ma juste réclamation sur une partie évidemment fausse de cette Lettre.

Vous êtes les premiers qui aient honoré mes ouvrages d’une critique publique ; toute sévère qu’elle a été, je sais la supporter modestement, surtout quand mes Tableaux, tels qu’ils sont, m’ont valu les suffrages de l’Académie. Mais votre dessein n’est sûrement pas de porter atteinte à ma faible réputation par une calomnie ; cela ne répondrait point à l’idée que l’on a de votre intégrité. Vous ne pouvez pas tout vérifier par vous-mêmes ; il y a tout lieu de croire que vous n’avez pas vu mon esquisse des Filles d’Athènes à côté de l’Estampe gravée d’après M Pajou par M Martini ; si vous aviez été à portée de la considérer avec la moindre attention, vous n’auriez pu ne pas convenir que non seulement il n’est pas vraie que les masses en soient absolument les mêmes que celles de la composition de M Pajou, mais encore qu’elle ne leur ressemble en rien absolument ; à moins qu’établir son sujet sur un fond différent pris d’un même point de vue, et déterminer la mesure du cadre dans un même carré long ne soit un plagiat, ce qui je crois est inouï jusqu’à ce jour. Toute colonnade à certains yeux est la même partout ; les hommes instruits, les gens de l’Art en jugent-ils ainsi ?

Que les masses des groupes n’aient aucune ressemblance entre eux ni en particulier ni en général, c’est ce dont je vous invite à venir vous convaincre dans mon logement, à l’ancien atelier de M Lagrenée l’aîné, n°12, au vieux Louvre, escalier sous la colonnade et permettez-moi d’inviter en même temps toutes les personnes amies de la vérité qui voudront me faire honneur de venir comparer mon Esquisse à l’Estampe que j’ai placée à côté. Si le désir d’être juste le conduit chez moi, celui-là même qui si légèrement a détruit le peu de mérite de mon Ouvrage, peut-être à cet aspect regrettera-t-il d’avoir prononcé trop à la hâte ; il apprendra à se méfier de l’avenir de sa mémoire, et s’il n’a pu résister à la nécessité d’employer dans sa lettre des expressions dures pour rendre sa pensée, il jugera combien il doit m’en coûter pour retenir les expressions fortes que méritent une pareille supposition et la manière dont elle est faite. J’ai l’honneur d’être, etc, P Peyron