3. Nécrologies d’artistes et d’amateurs

1777, n°198, 17 juillet, Arts, Aux Auteurs du Journal

Messieurs,

Vous paraissez vous être imposés la loi d’annoncer au public les acquisitions et les pertes que fait la Nation, en hommes de talents dans tous les genres, et de donner un détail succint de leurs travaux.

L’Académie Royale de peinture et de sculpture vient de perdre, dans M Coustou, l’un de ses plus grands sculpteurs : témoin de ses regrets et les partageant, je m’empresse d’aller au devant de vos recherches.

M Coustou, fils d’un célèbre artiste, annonça de bonne heure qu’il marcherait un jour sur les traces de son père : mais né avec de la fortune, de la modération, de la droiture et une fermeté d’âme peu commune qu’il a conservée jusqu’au dernier moment ; exempt de cette ambition inquiète et jalouse, qui croit se voir arracher les grâces accordées à d’autres ; tranquille au milieu des douceurs de l’amitié et de l’union fraternelle, il sembla longtemps plutôt méditer, qu’exercer son Art. il attendait l’occasion de déployer ses forces : elle se présenta, il la saisit. Il fit voir dans le Mars, et surtout dans la Vénus qu’il exécuta pour la Prusse, cette grâce, cette précision, cette noblesse de formes, et ce travail de ciseau savant et précieux, qui caractérisent le savant statuaire. Peu de temps après il fut chargé du Tombeau de feu Mgr le Dauphin et de Madame la Dauphine. C’est dans ce morceau, le dernier, le plus beau et le plus considérable qui soit sorti de sa main, et qui sera dans peu monté et exposé au Public, tel qu’il sera placé dans la cathédrale de Sens, que M Coustou s’est montré le digne fils et l’émule de son père. J’ose annoncer que la Nation jettera quelques fleurs sur le tombeau de l’Artiste, en admirant celui qu’il vient de finir pour le père et la mère de notre auguste Monarque.

A peine M Costou a-t-il eu mis la dernière main à ce superbe monument, à peine en a-t-il reçu la récompense honorable, par le Cordon de Saint-Michel, qui lui a été donné au nom du Roi, par M d’Angiviller, en présence du comte de Falkenstein, qu’il a terminé sa carrière dans la soixante et unième année de son âge. Il a assez vécu pour sa gloire et trop peu pour en jouir aux yeux de l’Académie, de sa famille et de ses amis, qui le regretterons toujours.

J’ai l’honneur d’être, etc

Renou, Peintre du Roi et Secrétaire-Adjoint de son Académie de Peinture et de Sculpture.