1783, n°132, 12 mai, Nécrologie, Notice historique sur la vie et les ouvrages de M le Bas, par M Gaucher, Graveur des Académies de Londres, Rouen, etc.

Si la carrière des Beaux Art est glorieuse pour ceux qui s’y distinguent, elle offre aussi des difficultés nombreuses qu’on ne peut surmonter que par l’étude la plus constante ; mais il est des hommes privilégiés pour lesquels la Nature semble prodiguer toutes ses faveurs. Sans autre guide que le génie, on les voit parcourir avec rapidité la route épineuse où se traînent leurs rivaux, et parvenir au temple de mémoire par un chemin jonché de fleurs ; telle fut la destinée de Jacques-Philippe le Bas.

Il naquit à Paris en 1707. Le goût qu’il annonça pour le dessin dès l’âge le plus tendre, et le penchant qu’il témoigna pour la Gravure engagèrent ses parents à le mettre sous la direction d’un artiste nommé Herisset, dont le mérite est peu connu. Bientôt le germe des talents supérieurs se développa dans le jeune élève ; il ne tarda pas à surpasser son Maître, ou plutôt il ne n’en eut point d’autre que les chef-d’œuvres de l’immortel Audran.

Après s’être pénétré des beautés mâles et fières, qui caractérisent les productions de cet Artiste célèbre, on vit le jeune le Bas s’élever à la hauteur de son modèle, dans un ouvrage qui a pour sujet la Prédication de S Jean d’après le Mole. Pour faire l’éloge de cette estampe, il suffira de dire qu’on y reconnaît le style et la touche énergique et savante de Gérard Audran.

M le Bas ne dût ses rapides progrès et l’étonnante facilité qu’on remarque dans ses ouvrages, disons mieux, il ne dût la réputation brillante qu’il s’est acquise qu’à ce goût particulier qu’il reçut du génie, et que l’étude avait perfectionné. Convaincu de cette vérité, que le dessin est la base de tous les Arts qui ont pour but l’imitation de la Nature, il semblait avoir pris pour devise ce précepte d’Appelle : Nulla dies sine linea.

Dans la nombreuse collection d’Estampes que M le Bas a gravée d’après Téniers, il a su reproduire l’expression, l’effet, et la touche originale de ce Maître ; les grâces naives, la gaîté franche et l’allégresse des personnages du Peintre Flamand, respirent dans l’ouvrage de l’Artiste Français. Je n’ai qu’un regret en mourant, disait à M le Bas un Amateur éclairé, c’est que Téniers n’ait pas vécu jusqu’à ce jour, afin de pouvoir être témoin de la reconnaissance dont il serait pénétré pour son élégant traducteur !

C’est avec le même succès que M le Bas a gravé d’après Berghem, Wouvermans, Ostade, Van Falens, Laneret, Chardin, MM Vernet, Descamps et plusieurs autres Maîtres, dont il a été toujours conservé le style et le caractère distinctif. Ses délassements offrent l’empreinte de son génie ; émule de Callot et de la Belle, il a composé un grand nombre de sujets, dans lesquels on remarque une verve abondante, une touche spirituelle et facile, une imagination vive et pittoresque ; plusieurs de ses compositions, peintes à gouache, sont d’un ton de couleur vigoureux et d’un effet piquant.

Lorsque M Vernet fut choisi pour peindre la superbe collection des Ports de France, ce fut à M le Bas, conjointement avec M Cochin, que fut confiée le soin de transmettre à la Postérité ce monument de la munificence du feu Roi. Les Estampes, en multipliant les chefs-d’œuvres de M Vernet, ne sont pas moins d’honneur à ce Peintre inimitable qu’aux Artistes qui les ont gravés.

Les distinctions les plus flatteuses furent la récompense des talents de M la Bas. L’Académie Royale de Peinture l’admit au nombre de ses membres en 1743, sur une estampe gravée d’après Lancret, ayant pour titre : La conversation galante ; sujet qui lui avait été demandé et qui fut reçu avec applaudissement. Elu Conseiller de la même Académie en 1771, le Roi, peu de temps après, le gratifia d’une pension. Il avait été admis, en 1748, dans la Classe des Associés-Regnicoles de l’Académie Royale des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Rouen.

Les qualités civiles de M le Bas n’ont pas moins droit à nos hommages que ses talents distingués dans la Gravure. Il a donné des preuves de sa piété filiale envers sa mère ; son âme sensible et bienfaisante goûta le bonheur qu’on éprouve à faire des heureux. Jamais ces rivalités odieuses, qui déshonorent quelquefois les Lettres et les Arts, n’altérèrent la paix de son cœur. Pour réparer une éducation trop négligée par ses parents, il puisa dans les meilleures traductions françaises le goût et la connaissance des Auteurs de l’Antiquité. Sa conversation était enjouée, ses réparties saillantes ; il conserva jusqu’à la mort cette gaîté naive qui faisait la base de son caractère. Doué d’une sorte de philosophie, qu’il ne devait qu’à la Nature, elle lui fut très utile dans les angoisses de la maladie qui termina ses jours le 14 Avril 1783, également regretté de ses amis, de ses confrères et de ceux qui l’ont connu.

Les nombreux Elèves qu’a formé M le Bas, ajoutent à sa gloire ; la plupart des célèbres Artistes de la capitale se font honneur d’avoir été disciples ou d’avoir profité de ses conseils. C’est en versant des larmes sur sa tombe, que l’Auteur de cet article voudrait y répandre quelques fleurs : faible tribut de sa reconnaissance et de son attachement à la mémoire d’un Maître et d’un Ami qui lui fut cher !

Par M Gaucher, Graveur, des Académies de Londres, Rouen, etc