1785, n°245, vendredi 2 septembre, Vers sur l’exposition des Tableaux, au Salon du Louvre

Honneur des Grecs, tendre Dibutadis,

Qui, sur le mur, osas d’une main sûre,

De Polémon retracer la figure,

Et la fixant sous tes crayons hardis,

Grâce à l’Amour, inventas la Peinture :

Applaudis-toi de tes simples essais.

Dans l’Elysée, oui, tu dois être fière,

Puisque toi seule entr’ouvris la carrière,

Où tes rivaux ont de si grands succès ;

Mais viens jouir d’une autre récompense.

Revois le jour. Daigne me suivre. Avance.

Dans ce Salon, la grandeur de nos Rois

Offre à ton art le plus heureux des droits,

Le droit de plaire aux yeux d’un peuple immense.

Dieux ! Quel objet se montre à nos regards ?

Du brave Hector, c’est le pâle cadavre,

Qu’Illion vit traîner sous ses remparts.

Funeste excès des vengeances de Mars !

O barbarie ! ô douleur qui me navre !

Je vous entends gémir dans ce tableau,

Priam, Hécube, Andromaque si chère !

Astyanax, toi qu’il laisse au berceau,

Les bras tendus, tu pleures vers ta mère.

Tel est le Peintre : oui, Vien, par son pinceau,

Nous a rendu l’Art sublime d’Homère.

A ce chef-d’œuvre un autre est opposé.

A la lueur d’un Palais embrasé,

La mort d’étend, le massacre s’achève.

L’ardent Pyrrhus, sur un autel brisé,

Atteint Priam, et le perce d’une glaive.

Je crois revoir l’effet dévastateur

De cette nuit cruelle, infortunée,

Où périt Troye, aux Grecs abandonnée ;

Et de Virgile heureux imitateur,

Renaud me fait encore entendre Enée.

Mais, plus loin, sont des débris de vaisseaux.

Sur un rocher grimpent des Matelots.

Le grand Vernet conjure ces tempêtes.

Nouveau Neptune, il soulève les flots,

Et fait gronder la foudre sur nos têtes.

Le crayon doux succède au pinceau fier.

Grâce à l’aimable et sage le Barbier,

Là Jupiter dort près de son épouse,

Qui, conservant une terreur jalouse,

Même au sommeil craint de se confier.

Ici, l’Amour, pour séduire nos âmes,

D’une Bacchante a fait une Vénus

Et nous montrant ses charmes presque nus,

Dans notre sein lance ses vives flammes.

Mais quel Tableau s’élève avec splendeur ?

D’un Roi chéri c’est l’épouse adorée.

De ses enfants elle marche entourée.

Nous admirons sa beauté, sa candeur,

Et, mère tendre, elle en est plus sacrée.

Un peu plus bas, d’un air mystérieux,

Brille un objet à la taille divine,

Au regard vif, au souris gracieux :

Voilà Gramont, ou l’aimable Euphrosine

Convenons-en, même aux yeux des Censeurs :

Si la première est la Reine des Grâces,

L’autre paraît une de ces trois Sœurs,

Que la Déesse enchaîne sur ses traces.

Mais quelques-uns de ces Tableaux brillants,

Dibutadis, pourras-tu bien le croire ?

Sont de ton sexe et l’ouvrage et la gloire.

Oui, nos Beautés s’ornent par les talents.

Tel est chez nous leur noble privilège :

A tous les Arts on les voit s’essayer ;

Et, dans le tien, le Brun et Valayer,

Suivent de près l’Albane et le Corrège.

Par M de C***