5. Antoine Renou, correspondant artistique du “Journal”

Lettres de l’“Amateur des Artistes”

1777, 9 février, n°40, Arts, Lettre première sur les arts, par un Ami des Artistes, aux Auteurs de ce Journal

Je vous félicite, Messieurs, de votre engagement pris avec le public, de l’informer de toutes les nouvelles productions de nos Artistes ; mais j’aurais désiré, avant d’entrer dans le détail des travaux particuliers, que vous eussiez donné une idée générale de la situation actuelle des Arts en France. Je les cultive par amusement ; ils sont les plus doux consolateurs de ma vie ; ils me sauvent de l’ennui d’une existence oisive. Comme je fréquente journellement ceux qui s’y distinguent le plus, chaque jour je puise dans leurs entretiens des réflexions justes et des principes lumineux. Pour les fixer dans ma mémoire je les jette aussitôt sur papier au courant de la plume. Si ces larcins vous plaisent, tels qu’ils sont, je les rassemblerai et vous les enverrai feuille à feuille, comme ils auront écrit, et comme ils me tomberont sous la main : les longs ouvrages me font peur, et pour parler le langage des arts, je ne puis tracer qu’une légère esquisse du tableau que je laisse exécuter à un plus habile que moi.

Vous ne m’entendrez point entonner une déclamation mille fois rebattue contre le siècle présent ; déclamation héréditaire, que l’on tient de ses pères et que l’on transmet à ses enfants. Vous ne me verrez point non plus, par un travers tout opposé, prodiguer des éloges insensés et exclusifs à mes contemporains. La critique et la louange outrée sont en morale pour les Artistes, ce que sont pour eux au physique la misère et l’opulence ; il ne faut point les conduire ni dans les campagnes de Capoue, ni dans les déserts de l’Arabie, il en résulte ou la mollesse ou le découragement.

Les temps passés ont produit de grands hommes, et nos jours en ont vu naître, qui seront connus et honorés de la postérité. Je conviens que ce nombre n’est pas le plus grand ; mais le fut-il jamais ? Les siècles, du point de vue d’où nous les considérons, entassés les uns sur les autres, semblent nous offrir à la fois une foule d’hommes rares et sublimes : nous jugeons mal de la distance qui les sépare, et de la lenteur que la nature a mise à reproduire des phénomènes. On doit donc se trouver heureux de compter parmi nombre de talents estimables, quelques-uns d'un ordre supérieur, qui planent dans la plus haute région, tandis que les autres marchent et se soutiennent encore avec honneur dans la carrière. C’est sous cet aspect que j’envisage l’état des Arts dans ma Patrie ; et je pense que la France possède actuellement plus de peintres, de sculpteurs et d’architectes qu’aucune autre Contrée de l’Europe. ; mais en supposant qu’en effet les arts y penchent vers leur ruine, je citerai des faits, dans ma seconde lettre qui mettront à portée de juger si M le comte d’Angiviller, chargé du soin honorable de veiller à leur conservation, a trouvé les moyens de les ranimer et de reculer la décadence (lundi, 8 février 1777)