1777, n°43, 12 février 1777, Arts, Lettre seconde sur les arts aux auteurs de ce journal

La peinture, la sculpture, comme vous l’avez remarqué, messieurs, avaient été de tous les temps parmi nous asservies au joug d’une maîtrise avilissante, mais depuis que plusieurs personnes distinguées par leur rang et par leur naissance, ne dédaignent point de consacrer à la pratique des arts quelques moments de leurs loisirs et s’honorent de s’environner d’artistes célèbres, un sentiment d’estime pour des talents qui contribuent à la gloire de la nation, avait déterminé l’opinion publique contre la persécution qu’ils éprouvaient ; un cri général réclamait leur liberté. Les Citoyens dont l’opulence peut appeler la peinture et la sculpture à l’embellissement des édifices qu’ils élèvent, choisissaient souvent pour leur décoration de jeunes artistes qu’ils protégeaient, qui possédaient à la vérité des talents, mais qui pour me servir de l’expression des marchands, n’avaient point malheureusement de la qualité, alors il arrivait que les protecteurs n’étaient pas moins surpris qu’indignés d’apprendre que les ouvrages commencés pour eux et même achevés venaient d’être saisis et couraient risque d’être enlevés de l’atelier de leurs protégés.

N’était-il pas douloureux de voir des frelons privilégiés fondre sur les abeilles laborieuses, fermer leurs cellules et confisquer leur miel jusqu’à ce qu’ils eussent payé le droit de mettre en oeuvre les dons précieux qu’ils ont reçu du ciel, quel découragement ne partait pas dans le cœur des artistes un acte de rigueur exercé en plein jour, avec tout l’appareil de la loi, et ce cortège effrayant de ceux qui la font exécuter. Quel scandale, flétrissant même pour la réputation, lorsque la scène se passait chez de jeunes demoiselles occupées à se procurer par des talents aimables une ressource honnête contre l’infortune et ses suites cruelles ; la beauté n’osait peindre qu’en tremblant les fleurs dont elle allait se parer.

Une association d’artistes et de marchands de peinture était vicieuse en elle même, ceux qui tournent leurs vues du côté du commerce acquièrent plus rapidement de la fortune que ceux qui l’attendent du simple travail de leurs mains. Les opulents d’un corps étant toujours choisis pour le gouverner, les marchands et entrepreneurs appelés aux premières charges accablaient du poids de leurs richesses les artistes, ce qu’ils étaient pourtant forcés de confier la fonction la plus brillante, la direction de l’école publique de dessin. Ces derniers avec raison, fiers de cette prérogative et du mérite personnel qu’elle suppose, se révoltent contre les premiers lorsque dans les assemblées et leurs bureaux ils prétendaient leur parler en maîtres. De là naissaient des divisions intestines il y a quelques années qu’une guerre ouverte parut se déclarer entre eux, mais la nécessité pacifia tout. Les arts cependant supportaient impatiemment la servitude et désiraient de respirer un air qui leur est si naturel, celui de la liberté. Bientôt les limites abattues se relèvent de toutes parts, les chaînes nécessaires sans doute au bon ordre se rétablissent sur tous les états, les arts étaient menacés de rentrer sous le joug, lorsque M le Comte d’Angiviller, aussi ami des arts que le grand Colbert mais plus heureux que lui dans cette circonstance a obtenu de notre jeune monarque pour la peinture et la sculpture une franchise pleine et entière qu’on n’a jamais été obligé de solliciter pour l’architecture, leur compagne et leur sœur.

Vous avez eu raison de dire messieurs que les artistes doivent à Mr le comte d’Angiviller une éternelle reconnaissance. Cette époque sera pour eux à jamais mémorable. Eh bien, je viens d’apprendre pour les artistes mêmes et qui m’ont paru indignés que l’on avait osé faire soupçonner dans un écrit public que l’on devait cet heureux événement à tout autre motif qu’à celui qui a dessein d’élever et d’encourager les arts. J’examinerai ce fait et le discuterai dans un autre moment.