1777, n°50, 19 février, Arts, Troisième lettre aux Auteurs de ce Journal

Les arts de génie sont les enfants de la liberté ; c’est sous ses étendards qu’ils croissent, se fortifient et courent à la gloire. J’ai prouvé, Messieurs, combien la crainte d’une saisie et son éclat scandaleux désolaient les talents naissants ; j’ai démontré quel était le vice de la constitution d’un corps composé de Marchands et d’Artistes ; enfin j’ai annoncé avec quelle reconnaissance ces derniers applaudissaient à leur libérateur.

Cependant des esprits chagrins, semblent, dans un écrit public, en célébrant cette heureuse révolution n’en point attribuer la cause au projet d’encourager les talents et de les ennoblir. On lit page 93, dans l’Almanach des Artistes : “un Amateur (on suppose que c’en est un qui parle) ose encore, malgré l’égoïsme et l’envie, parler des Artistes qui formaient autrefois l’ancienne Académie de Saint Luc. L’anéantissement d’une école où se formèrent autrefois ces artistes fameux, l’honneur et l’élite des Artistes français, a dû chagriner et surprendre. Les nœuds de confraternité qui unissaient les membres de ce Corps, la dispersion de tableaux précieux, où le jeune Artiste puisait des lumières, l’extinction des moyens qui annonçaient leurs talents, tous ces avantages évanouis, ils n’auraient conservé que le sentiment de tant de privations, si la liberté de leur état, qu’ils regardent comme un témoignage dont Sa Majesté honore les Arts, n’avait adouci le chagrin”.

Ce discours ne porte point l’empreinte du caractère essentiel, l’impartialité. A quels artistes cet amateur reproche-t-il l’égoïsme et l’envie ! Il parle de la chute de l’Ecole de Saint-Luc comme de celle des Arts ; il ignore sans doute que la splendeur de cette école était disparue depuis longtemps ; elle s’est éclipsée à la naissance de l’Académie Royale ; dès ce moment, cette Académie compte au nombre de ses membres, les Artistes fameux qui depuis ont honoré la France. Cet Amateur déplore la dispersion des tableaux précieux où le jeune élève puisait des lumières. Ces tableaux étaient-ils en si grand nombre ? et les élèves n’ont-ils point encore de quoi s’éclairer à la vue des chefs-d’œuvre dont tant de grands-hommes, depuis plus d’un siècle, ont orné les salles du Louvre, où Sa Majesté accorde un asile honorable à son Académie ? Il regrette les nœuds de la confraternité : avec qui, avec des entrepreneurs de peinture ? S’il ne veut parler que des Artistes, cessent-ils d’être frères pour ne plus assister aux assemblées d’un bureau de Communauté ? prétend-il aussi faire accroire que c’est à l’Ecole de Saint-Luc que l’on doit tous les artistes célèbres qui ont illustré l’Académie royale depuis sa fondation ? Il serait démenti par ceux même dont il prétend la défense ; ils lui diraient ; votre zèle indiscret nous afflige et nous outrage. Les Membres de l’ancienne école sont aujourd’hui les élèves de la nouvelle ; c’est à l’Académie et dans l’atelier de ceux qui la composent que nous avons puisé les principes de notre art. Si nous nous sommes soumis au joug, nous y avons été contraints par la nécessité et la faiblesse de nos talents ; nous n’avons pas même la vanité de nous être crus Académiciens ; une lettre de Maîtrise (nous ne pouvons nous le dissimuler) est incompatible avec un si beau titre. La liberté nous est rendue, elle nous rapproche des grands Artistes dont nous étions séparés ; ils sont libres et nous le sommes. Heureux si nos talents nous donnent un jour avec eux le droit de confraternité : peu alarmés d’une rigueur juste autant qu’utile aux Arts, nous croyons que si l’Académie a été forcée par son devoir de refuser quelques fruits trop verts, elles les acceptera dans leur maturité. Ses portes ont été de tous les temps ouvertes à quiconque présente une somme de talents suffisante pour y entrer