1777, n°77, 18 mars, Arts, Cinquième lettre

Je ne quitte point, MM, la vente de M de Boisset, et je m’amuse presque autant des propos que j’entends, que des chef-d’œuvres qu’on expose tous les jours à la curiosité du Public. Depuis quelques temps, voilà des collections considérables de tableaux qui se vendent en détail, et il en résulte un dédoublement de passion pour la peinture, qui s’est emparé de tous les Amateurs ou de ceux qui prétendent l’être. On rougirait maintenant de ne pas connaître les différentes Ecoles, et c’est la chose la plus plaisante que de voir des jeunes gens qui souvent n’ont pensé qu’à des dessus de porte, ou des femmes qui ne connaissent que le vernis de leurs boudoirs, prononcer avec prétention les termes de ragoût, flou flou, bon effet, fini, précieux, touche vigoureuse, composition riche etc,etc. Risum teneatis Amici. C’est l’effet que produisent pareilles décisions et souvent elles tournent à l’avantage des héritiers, parce que l’amour propre d’un acheteur lui fait sacrifier des formes considérables pour se contenter, et se donner en public la réputation d’un dilettante. Ce n’est pas là ce qui m’étonne, MM, mais ce qui me surprend toujours, est de ne voir dans toutes ces belles collections, celle, par exemple, de M Boisset, qui avait voyagé deux fois en Italie, aucun tableau de cette étonnante mosaïque si peu connue en France, et qui mériterait de l’être à tant de titres. On demandait il y a quelque temps, dans les Papiers publics, un projet d’embellissement pour l’Eglise de Sainte Geneviève, et je donnai celui de placer dans le fonds du temple un grand tableau de mosaïque exécuté à Rome, d’après le tableau original d’un de nos meilleurs Maîtres, tel que la Descente de la Croix, par Jouvenet. Ce projet me paraissait réunir deux avantages ; le premier, de faire connaître un genre de peinture dont nous n’avons aucune idée ; le second de donner pour ainsi dire, une immortalité physique au chef d’œuvre d’un de nos Artistes. Tempus edax rerum, et dans quelques siècles tous ces ouvrages qui nous étonnent et nous enchantent, subiront le même sort que ceux des grands peintres, des Zeuxis, des Appelles, dont l’histoire seule nous rappelle les noms, tandis que la Ste Petronille de Saint Pierre de Rome, ouvrage admirable par la beauté de l’exécution, transmettra le nom du Guevelin à la postérité la plus reculée, et durera (peut-être) plus que la Basilique dont elle fait l’ornement. Les gens à cabinet objecteront peut-être que ce genre de travail réussit mieux dans les grands sujets que dans les petits ; mais leur prévention n’aurait pas lieu, s’ils connaissaient les anciennes mosaïques du capitole et de petits tableaux exécutés nouvellement avec une finesse et une précision incroyable. Je conseille à ceux qui voudront s’instruire sur ce sujet, de lire le quatrième volume du Voyage en Italie, par M de Lalande, pag 562. C’est un ouvrage dont j’ai eu lieu de reconnaître l’exactitude, et j’ai vu la plupart des Anglais ne visiter les cabinets, en Italie, que son livre à la main. Il me serait aisé, MM de faire une longue dissertation sur ce sujet que je n’ai fait qu’effleurer ; mais la brièveté de votre feuille m’oblige de finir, en vous assurant que j’ai l’honneur d’être, etc.