1777, n°99, 9 avril, Arts, Lettre quatrième du Marin, aux Auteurs de ce Journal, du 8 mars 1777.

Savez-vous, mes braves Journalistes, que je commence à m’accoutumer au roulis de votre galiote littéraire ? Je ne puis plus m’en passer. Il me faut tous les matins ma pipe et le Journal. Je vous donne ma parole qu’on s’y habituera comme au tabac. La raison en est simple, c’est qu’il est établi sur un usage de toute antiquité parmi les hommes, de tous les temps on s’est demandé, en se rencontrant :quid novi ? qu’y a-t-il de nouveau. Vous vous êtes chargés de nous l’apprendre sans sortir de chez nous ; cela est commode. Il est vrai que les nouvelles, dont vous êtes porteurs, ne s’étendent guère plus loin que la ville ; mais Paris est un si grand vaisseau, que tel, qui est à la poupe ne sait ce qui se passe à la proue. Par exemple, j’ignorais que la statue de M Buffon fût placée au Jardin du Roi. Vous me l’avez appris, et j’y ai couru. On est toujours curieux de voir les traits d’un grand homme. Je ne l’ai jamais vu. Mais d’après ses écrits, je me figurais qu’il devait avoir bonne mine. Morbleu, j’avais raison ; il a l’air d’un chef d’escadre ; il a l’œil du génie ; il semble lire dans le ciel, ce qu’il écrit, et écrire ce que le ciel lui dicte. Il n’est pas jusqu’au mouvement de ses cheveux qui annonce une inspiration divine. J’aime beaucoup l’idée du sculpteur, d’avoir mis près de lui, un chien de Berger, qui, par reconnaissance du bien qu’il en a dit, il lui lèche les pieds. L’éléphant en aurait pu faire autant ; mais je vois pourquoi l’artiste ne l’a pas introduit. Il a cru sans doute que cela tiendrait trop de place. Il n’a pas tort et je ne lui cherche pas chicane là-dessus. Enchanté de la belle exécution de ce morceau, de la manière grande et hardie de travailler et de fouiller le marbre, de l’agencement et du rendu de tous les accessoires, j’ai demandé quel en était l’Auteur. M Pajou, m’a-t-on répondu : Oh ! oh ! ventrebleu, ai-je dit, je ne m’en étonne plus.

Comme votre Journal est un coche, soit dit sans vous fâcher où chacun porte son paquet pour être remis à son adresse, faites lui, je vous prie, mes compliments. J’en fais peu, mais ils sont francs. Souhaitez bien le bonjour à votre Amateur ; il me plaît, parce qu’il est honnête et impartial. Surtout quelques mots de politesse de la part du Marin à l’Anonyme de Vaugirard, son style n’a pas le goût du terroir. Adieu. Bon voyage. Toujours force de rames malgré vent et marée.