1777, n°120, 30 avril, Lettre septième du Marin, aux Auteurs de ce Journal, ce 29 avril 1777

Non : non : ventrebleu, non : je ne dirai pas un mot à ces nouveaux Mandarins de Senlis. Si les Lettrés de la Chine ne sont pas plus savants que ceux-ci, je plains bien ce pays-là. D’ailleurs, siérait-il à un capitaine de haut bord de se mesurer contre de petits écumeurs de mer ? Ils ne valent pas le coup de canon. Vous avez cru sans doute me venger et les punir, en insérant leur lettre dans votre Journal ; vous avez eu raison. Le Public a jugé que ce sont des Provinciaux, qui n’ont pas encore commencé leur cours de politesse dans la capitale. N’en est-ce pas assez et pour vous et pour moi ? Croyez-moi, mes chers patrons, il est des gens à qui il est glorieux de déplaire. Au fond, quel mal m’ont-il fait ? Que signifie leur verbiage ? Leur histoire de Liniere de la Présidente, qui devine l’énigme dont on lui a dit le mot, est-elle une facétie bien amusante ? Leur style est-il bien noble ? ont-ils voulu nous donner un échantillon de celui dont on doit se servir, en parlant des Arts ? Il s’est blousé, disent-ils dans un endroit, et plus loin, en vous apprenant le dégoût que leur a causé ma grimace bouffonne, nous vous en avertissons, continuent prudemment ces Messieurs, par intérêt à un papier qui fait connaître l’état journalier de nos Arts, etc… L’intérêt qu’on doit à un papier ! et l’état journalier des Arts ! Ils parlent de votre feuille, comme d’un effet de banque, ou comme d’un Journal de recette et de dépense. Ce qui me divertit, c’est de les voir annoncer des choses plus importantes dans quelques jours. Nous verrons sans doute les principes peu connus des Arts débarquer dans Paris par la voiture de Senlis. Je conseille les amateurs d’aller les entendre à la descente du coche, pour les recevoir avec dignité. Parbleu, l’Anonyme de Vaugirard a dû bien se rengorger aux compliments qu’il a reçus de ces Docteurs. Mais à propos, gardez-vous bien de mettre ce que je vous écris dans votre feuille. Nos Mandarins se plaindront encore de la fadeur de mes adulations ; car ils m’ont dénoncé au Public, comme un flatteur, et ils l’ont prouvé. Un flatteur est celui qui, par des louanges viles et intéressées, qu’il prodigue au premier venu, veut s’acquérir des amis et des protecteurs pour aller à ses fins. Or, on voit clairement, que j’ai dit que M de Buffon était un grand homme, dans l’espoir qu’il sollicitera pour moi, qu’il n’a jamais vu, un grade de Chef-d’Escadre ou d’Amiral. Je n’ai loué Carle Vanloo et Bouchardon, qui sont passés dans l’autre monde, que pour qu’ils me protègent dans celui-ci. Il en faut convenir, j’ai eu beau me cacher, nos fins renards m’ont découvert. Adieu, patrons. Ne faites pas difficulté d’insérer dans votre Journal les nouvelles productions qui pourront vous venir de Senlis ; quand on commerce, il faut se charger de toutes sortes de denrées : dans une Ville aussi grande que la nôtre, on est toujours sûr d’en trouver le débit.