1778, n°53, dimanche 22 février, Aux Auteurs du journal

Je ressens ; Messieurs, une extrême douleur de devoir vous annoncer la mort de mon oncle Gilles Kergolé, dit le Marin, qui m’a chargé en mourant de bien des compliments pour vous. C’était l’homme de France qui articulait le plus proprement un juron. Il parlait des arts en homme qui avait pratiqué toutes les côtes de Barbarie. On l’a accusé d’être un peu colère, parce qu’il voulait massacrer tous ceux qui ne lui faisaient pas peur ; mais au demeurant c’était un très bon enfant ; et la preuve en est la quantité de legs que vous seuls pouvez délivrer, étant destiné à M Pro Patria, votre Correspondant, que personne ne connaît. C’est un gros carton avec cette inscription : “paquet de vieux dessins et projets pour mon gobe-mouche”. On m’a dit que ce M Pro Patria était son gobe-mouche et en avait pris le titre. Si j’avais envie de rire, Messieurs, je vous conterais la mort de mon oncle ; mais je triomphe d’être inconsolable, parce qu’on m’a dit que c’était la mode. J’ai donc l’honneur d’être, etc,

Maclou Kergolé

Patron des Barques de Nantes

PS J’ai fait enterrer mon oncle ; mais je ne serais pas étonné qu’il revint, parce qu’il a fait de ces tours-là. Cet été il a fait un voyage à Civita Vecchia, sans sortir de Paris. Je délivrerai toujours ses legs et je boirai son vin, le tout sans me consoler.