Polémique à propos de St Sulpice

1778, n°237, 25 août, Arts.

On vient d’ouvrir, dans l’Eglise de S Sulpice, la Chapelle de la Sainte Vierge. Elle a été commencée, de même que toute l’Eglise, en 1645, par M Jean-Jacques Olier, Curé, Fondateur et Premier Supérieur de la Communauté et du Séminaire. La Reine Anne d’Autriche posa la première pierre le 20 février 1646. Lorsque M olier mourut en 1657, cette Chapelle n’était pas encore couverte et il n’y avait que les deux piliers du fond du chœur de l’Eglise qui fussent élevés. Cette Chapelle était du même ordre que les bas-côtés de l’Eglise, la voûte était un peu plus élevée que celle du petit dôme qui est entre la Chapelle et le chœur. Dans ce petit dôme il y avait une tribune où était placé un jeu d’orgue pour accompagner le clergé pendant la psalmodie.

En 1733, d’après les dessins de Messonnier, M Languet fit élever à la place de la voûte de la chapelle, un second ordre Corinthien de très mauvais goût, percé de cinq fenêtres, et sur lequel on éleva la voûte qui existe maintenant. Sevandoni vint et corrigea, autant qu’il le put, le mauvais goût de Messonnier, et fit revêtir en marbre le premier ordre et peindre en marbre le second. Il composa le retable de quatre colonnes de cipolin, d’ordre composite. Les chapiteau sont de bronze doré ; le couronnement fut composé et exécuté par les Slodtz ; il était d’un très mauvais goût et vient d’être changé. Le plafond fut peint à fresque par François le Moine. En voici le sujet : la Sainte Vierge est assise sur un nuage au milieu d’une multitude d’Anges, dont les uns portent ses attributs, d’autres à l’opposite, forment un concert (c’est le même groupe qui avait été peint par la Fosse au Dôme des Invalides) elle intercède la divinité représentée par un Gehova dans une Gloire, en faveur des Paroissiens qui lui sont présentés par S Pierre et S Sulpice. Les Paroissiens sont désignés par une grande multitude du peuple, représentée en prières dans la partie inférieure du plafond. Ils ont à leur tête M Olier, Curé, revêtu d’un aube et d’une étole, et accompagné des demoiselles de la Communauté de l’intérieur de la Sainte Vierge, qu’il avait établi.

Sur les côtés à droite paraissent les Pères de l’Eglise et les Fondateurs d’Ordres qui ont célébré les grandeurs de Marie ; à gauche les Vierges qui se sont mises sous sa protection et qui reçoivent des palmes de la main d’un Ange.

La Chapelle était éclairée par huit croisées, dont les jours empêchaient de sentir l’effet du plafond. Il était presque impossible d’en distinguer les figures. Ce plafond avait été considérablement encouragé par l’incendie de la Foire S Germain. La niche du retable d’antil était de bois doré, d’un très-mauvais goût et pas assez profonde ; d’ailleurs elle était éclairée par deux fenêtres collatérales qui bien loin d’éclairer la statue, n’auraient servi qu’à la mettre dans l’ombre. M d’Wailly, des Académies d’Architecture, de Peinture et de Sculpture, imagina de faire une trompe sur la rue, afin de pouvoir tirer le jour d’enhaut, et c’est ce qu’il a exécuté, en ajoutant deux colonnes devenues absolument nécessaires, tant pour diminuer la largeur de l’ouverture qui aurait presque été quarrée, que pour faire valoir davantage la statue en faisant du tout un espèce de tableau dont elle serait l’objet principal et à laquelle toutes les autres seraient sacrifiées et ne serviraient que de repoussoir. Voici le sujet de cette vision ou plutôt fiction.

On a feint que la Sainte Vierge nous était envoyée du Ciel pour vaincre nos ennemis et nous donner un Sauveur. On a saisi le moment où dans une Gloire brillante, amico sole, elle arrive sur la terre représentée par un globe. Elle y foule aux pieds le plus terrible de nos ennemis, le serpent ; elle nous présente un Enfant symbole de notre Sauveur. A côté du globe paraît St Joseph assis sur un nuage, de l’autre côté de St Jean l’Evangéliste, à genoux sur un autre nuage ; l’un et l’autre invitent le peuple à rendre ses hommages à Marie.

Du même côté que St Jean sont St Joachim et Ste Anne et de l’autre l’Ange Gabriel, tous en contemplation. La Vierge est en marbre et de sept pieds de proportion, M Pigalle (Note : Cette Vierge fait un honneur infini dans l’esprit des connaisseurs à M Pigalle. La douceur, la modestie, la virginité enfin, peintes sur son visage font l’admiration de tout le monde ; l’Enfant est charmant et potelé ; les draperies sont simples, sages et pleines d’esprit. Quelques personnes ne trouvent pas l’Enfant assez mignard, elles voudraient apparemment qu’un Enfant de six mois eût un visage de six ans) en est l’Auteur. Les autres statues, toute la Gloire et les nuages sont en stuc, fait avec de la poussière de marbre.

Pour donner du jour au plafond, M de Wailli a imaginé une seconde voûte qui masques les jours d’en haut, et qui les reflète sur le plafond. Pour les augmenter on a percé quatre oeils de bœufs du côté de l’Eglise, et on a ouvert la grande croisée qui était au-dessus du retable de l’autel. Le plafond a été réparé par M Callet, de l’Académie de Peinture et de Sculpture. La corniche du second ordre de cette Chapelle étant supprimée au-dessus du retable il a été obligé de faire une augmentation au bas du plafond. Elle représente un grand nombre de Paroissiens de tous états, mais surtout des pauvres et des malades présentés à la Sainte Vierge par M Linguet. M Callet a peint sur la nouvelle calotte, quatre sujets de la Sainte Vierge, en bas reliefs de bronze, deux grands vases et plusieurs anges portant des emblèmes.

Les Sujets sont la Nativité de la Sainte Vierge, sa Présentation au Temple, sa Compassion et enfin le quatrième sujet sur ces paroles de l’Ecriture Sainte ; Maria conservabat omnia verba haec conferens in corde suo. L’Enfant Jésus fait la lacture dans la jonction de la petite coupole de la Chapelle avec la voûte du petit dôme, il a peint deux anges qui paraissent faire parti du grand plafond. Un d’eux tient d’une main une baderolle, sur laquelle sont ces paroles : Virgini Matri fine labe conceptae, et de l’autre invite le peuple d’aller à Marie. L’autre ange répand des fleurs. Ces deux anges sont de toute la peinture de cette Chapelle, celle qui fait le plus d’illusion, surtout depuis midi jusqu’à deux heures.

Le Petit Dôme, entre la Chapelle et le Chœur, est éclairé dans le haut par une ouverture de cinq pieds et demi, et est décoré de sculpture analogue à la Ste Vierge : le tout est en pierre et pris de l’ancienne masse.

L’Autel a été élevé de deux marches et renfoncé de 27 pouces. Le bas relief des Noces de Cana, qui était au-dessus de l’ancien Tabernacle sert maintenant de devant de l’Autel. Le nouveau Tabernacle est une espèce de piédestal qui porte un agneau sur la croix et le livre des sceaux ; il est de M Mouchy. Le piédestal est de marbre blanc statuaire et l’agneau avec tous les ornements, en bronze doré. Sur le piédestal il y aura, pour servir de porte au Tabernacle, un bas relief aussi en bronze représentant Jésus-Christ sur la croix, avec la Sainte Vierge et Saint Jean ; on a bouché les deux croisées du côté de l’Autel et on y placera deux Tableaux de Carle Vanloo, qui se trouveront vis-à-vis les deux qui seront dans les cadres dorés.

Il est inutile de faire ici l’éloge de M Wailly, qui a donné tous les dessins de cette Chapelle. Il y a longtemps qu’il a fait ses preuves, tout le monde sait qu’il est plein de génie.

Le Public crie beaucoup contre les deux colonnes ajoutées ; il voudrait tout voir d’un seul coup d’œil ; plusieurs blâment par la même raison la nouvelle calotte, parce que dans la Chapelle, ils ne voient uniquement que le plafond de le Moine, et non l’augmentation qui n’a été faite que pour être vue de l’Eglise et cacher le défaut du fond de la Chapelle, qui était dans cette partie, en ligne droite ; de manière que l’ovale intérieur de la Chapelle avait été tronqué dans cet endroit par Messonnier. Mais tous les artistes en sentent la nécessité et jugent que la Chapelle serait ridicule sans ces deux additions. La Vierge surtout ne ressortirait en aucune manière. Elle est, encore une fois, l’objet principal ; tout doit lui être tellement sacrifié que le Spectateur en arrivant, ne voye pour ainsi dire qu’elle, et que tout le reste ne lui serve que d’ombre et de repoussoir.