1778, n°255, samedi 12 septembre, Aux Auteurs du Journal ; Gravure

Messieurs,

C’est avec bien de la peine que j’ai pu achever de lire dans votre numéro d’hier l’article où il est question du plafond de la Chapelle de Saint-Sulpice, peint par le fameux Le Moine et retouché par le sieur Callet. L’indignation m’a saisi quand j’ai vu que, pour relever le prétendu mérite du Restaurateur, on osait attaquer les talents de le Moyne lui-même. Il n’est plus ; c’est aux honnêtes-gens à prendre sa défense contre les injustes détracteurs et contre les louanges indécentes que l’on donne à un Artiste inconnu, qui a eu la témérité de replâtrer ce grand homme : oui, replâtrer, c’est le terme. Avant ce replâtrage, ce plafond avait une harmonie douce et cette mélodie délicieuse de tons, qui était le talent particulier de son Auteur ; actuellement il est méconnaissable ; on n’y voit plus qu’un cliquetis de couleurs âcres, on n’y aperçoit plus aucunes masses de clairs et d’ombres ; aucuns objets ne se détachent ne se détachent les uns des autres ; c’est une cacophonie insupportable et un amas indigeste de figures, qui semblent toutes prêtes à tomber en masse sur la tête des spectateurs ; et cependant, à entendre l’Auteur de l’article, il faut plaindre le sieur Callet “d’avoir été obligé de suivre exactement l’esquisse”. Plût à Dieu qu’il l’eût suivie de point en point, on retrouverait au moins de la netteté dans l’effet et du charme dans le coloris. J’y renvoie les vrais Connaisseurs et l’esquisse justifiera pleinement mon estimable indignation. Comment a-t-on eu le front d’écrire cela ? Comment avez-vous osé vous mêmes, Messieurs, l’insérer dans votre journal ? mais vous vous annoncer pour mettre indistinctement le pour et le contre : eh bien, soit. Recevez donc aussi ma déclaration contradictoire au nom de tous les Artistes éclairés. Il est faut qu’il aient applaudi au sieur Callet, ils ont unanimement blâmé son sang froid, (pour ne pas dire plus) à retoucher l’ouvrage d’un homme, dont il ne sera jamais qu’à deux mille toises. Quoi donc, on aura dans notre siècle la fureur de retoucher et Quinault et le Moyne ! Si j’avais voix dans les Académies, je tonnerais pour qu’il fût fait un règlement solennel, par lequel on rayerait de la Matricule, quiconque à l’avenir se rendrait coupable du crime de corriger les grands Maîtres de l’art. Que les poètes et Peintres médiocres vivent de leurs faibles productions ; à la bonne heure : mais qu’ils soient punis, s’ils gâtent ou défigurent des chef-d’œuvres.

Une autre fois je reviendrais sur l’Architecte Restaurateur, qu’on prétend aussi avoir mieux fait que tous ceux qui l’ont précédé ; j’examinerai si sa décoration est noble et digne d’un lieu où l’on célèbre le plus auguste des mystères ; j’examinerai, etc, etc. Votre très humble, etc

Le Comte de B***

Ce 11 septembre 1778