1778, n°261, vendredi 18 septembre, Aux Auteurs du Journal

Messieurs,

Je rentre en lice, puisque l’on me provoque. Oui : j’ai été et je suis encore indigné, comme tout le monde, de ce que vous avez inséré dans votre N°253, au sujet du plafond de le Moine à Saint Sulpice. Je vais, puisqu’on m’y force, rapporter les phrases entières qui m’ont choqué, pour justifier ma prétendue diatribe. Les voici :

“Lorsqu’on examine attentivement cette esquisse, il ne paraît pas surprenant qu’on ait eu tant de peine à déterminer M Callet à retoucher le plafond. Aucune des figures, si on en excepte peut-être celle de la Vierge, n’y sont en plafond, et pour les y mettre en exécution, il aurait fallu faire de nouvelles études de tous les sujets ; mais on l’a obligé à suivre exactement l’esquisse”.

Tenir un pareil propos, n’est-ce pas dire que l’ouvrage que M Callet a été obligé de suivre de point en point, était si mauvais qu’on doit savoir gré à un aussi habile homme que lui, d’avoir bien voulu s’y prêter ? Quel personnage fait-on jouer à M Callet vis-à-vis de le Moine ?

“On remarque cependant (continue le Louangeur) qu’il a mis (M Callet) beaucoup plus d’air dans le plafond que la gloire perce bien mieux que dans l’esquisse”. O ciel ! que celui qui voit cela a la vue courte ! J’en appelle au Public éclairé et impartial. Je le prie seulement d’examiner alternativement le plafond et l’esquisse qui est dans le plafond de la chapelle de S Maurice. Dans l’esquisse, la gloire est d’un ton vraiment céleste, la gradation en est admirable, et les groupes qui sont, pour ainsi dire, absorbés dans la lumière, se détachent tous avec netteté sur un fond pur et argentin ; l’œil distingue sans fatigue tous les objets dans une nuance convenable à la place qu’ils occupent. Retournez au plafond, ces mêmes groupes, soutenus dans l’esquisse de masses larges et douces, sont picotés de noirs et de clairs égaux de force entre eux et sans dégradation, ce qui occasionne cette cacophonie, dont je me suis plaint avec raison.

Poursuivons notre Défenseur jusque dans ses derniers retranchements. Il paraît à l’entendre que ce qui a du rebuter M Callet, est d’avoir eu à retoucher des figures “qui n’étaient point en plafond, dont il eut fallu faire des nouvelles études (quelle modestie !) on voit par l’addition qu’il y a faite, ce qu’il était en état de faire”. J’en conviens. “Ses sujets sont plus en plafond que ceux de le Moine”. Je le nie. Les figures , très-inutilement ajoutées par M Callet, sont d’abord trop colossales de moitié, elles sont mal dessinées, d’une couleur crue et si peu entendue de perspective, qu’on y remarque une figure de femme, à main droite, vue “en-dessus” au lieu de l’être “en-dessous”. Et voilà l’homme que l’on nous dit en savoir plus que le Moine !

Si l’on peut reprocher à ce grand homme, comme a beaucoup d’autres, d’avoir mal fait plafonner ses figures, on voit qu’on peut faire le même reproche à M Callet. Mais M Callet n’a pas comme lui une grâce infinie, même dans ses incorrections, “une harmonie douce, une mélodie délicieuse de tons, de la netteté dans l’effet et le charme du coloris”. Delà je conclus, que M Callet devait se renfermer dans les conditions sagement imposées par MM de la Fabrique ; celles de suivre pas à pas l’esquisse, avouée admirable, même par mon adversaire. Les vrais Connaisseurs, d’accord avec MM de la Fabrique, ne lui en demandaient pas davantage. Ils l’auraient même prié de leur faire grâce de ces grosses figures de sa façon qui auraient été très bien remplacées par quelques masses du rocher prolongé : il nous aurait par ce moyen, épargné le torticolis, qu’il faut se donner pour les découvrir en entier.

Je demande pardon, si j’ai dit que M Callet était un artiste inconnu en comparaison de le Moine. Je ne savais pas qu’il fût de l’Académie, et quoique j’aie vue ses plafonds de Gênes, et du Palais Bourbon, j’avoue mon ignorance ; je ne le croyais pas pour cela en état de corriger le Moine. Mais je veux bien qu’il ait tous les talents imaginables, ils étaient inutiles dans cette circonstance, on n’exigeait de lui que le mérite d’un Copiste fidèle. Il avait beau jeu de faire une excellente Copie, puisque de ce plafond incendié il subsiste une esquisse aussi admirable. Mais dira-t-on, elle n’est pas conforme au plafond ; vous deviez savoir qu’il en existait une autre, qui (dit-on) est tout à fait semblable et sûrement il est à présumer que le possesseur se serait prêté au désir de l’Artiste.

Que l’Architecte restaurateur ne croie pas que le juge avant d’avoir vu, et qu’il soit persuadé que je louerai ce que je trouverai d’estimable, avec la même franchise que je blâmerai ce qui sera jugé de mauvais goût par les gens de l’Art que je consulte sur tout ; ce que j’ai dit est le résultat de leur avis : j’aime avec passion les belles choses, j’ai de la vénération pour les grands hommes, et ne vois pas sans humeur attaquer leur réputation, et défigurer leurs ouvrages. Dites, je vous prie, Messieurs, au grand discoureur qui m’attaque, que je ne fais rien et je ne veux rien savoir de tous les détails dont il nous a si longuement ennuyé. (Je ne sais et ne dis qu’une seule chose), il fallait prendre tous les moyens de faire revivre le Moine tel qu’il était et tel qu’on l’a vu : Je soutiens et soutiendrai toujours qu’il est méconnaissable, et c’est mon dernier mot.

J’ai l’honneur d’être, etc Le Comte de B***

Ce 15 septembre 1778