1778, n°264, 21 septembre, Lettre en réponse à celle de M le Comte de B*** insérée dans le n°261.

Vous convenez donc, M le Comte, que les figures de le Moine ne plafonnent point ? c’est ce qu’on avait avancé ; et à quoi bon toutes vos diatribes ? A quoi bon tout ce tapage, puisque vous revenez au point d’où l’on était parti. Vous ajoutez de nouvelles injures ; vous en a-t-on dit ? on vous a donné des raisons, pourquoi n’en pas répondre ? Est-ce que vous n’en avez pas eu le temps ? eh bien, on vous le donnera, et on vous promet de ne revenir sur vos attaques que lorsque la Chapelle sera entièrement finie ; mais en attendant, on va encore vous donner quelques raisons, le moins longuement qu’il sera possible de crainte de vous ennuyer ; peut être que des injures seraient plus de votre goût, mais encore une fois, on n'en sait point dire.

Oui, M le Comte, “lorsqu’on examine attentivement l’esquisse, il ne paraît plus surprenant qu’on ait eu tant de peine à déterminer M Callet à retoucher le plafond”. Pourquoi ? parce qu’il n’y avait autant de différence entre l’esquisse et le plafond peint par le Moine, qu’entre un excellent tableau et une copie médiocre. (Note 1 : Que M le Comte lise donc ce qu’il a forcé de dire dans le N°258, qu’il lise surtout la note qui est au bas de la première col. P. 1030). Pourquoi encore ? c’est qu’on n’a permis à M Callet que de restaurer ce qui était entièrement tombé et qu’on l’a obligé de suivre les traits tracés sur le plâtre par le Moine lui-même. Il est vrai qu’à sa demande, on lui a permis de se servir de l’esquisse, mais à condition qu’il ne s’en servirait que pour les objets dont il ne restait aucune trace. (Note 2 : dans le N°253 on a mis qu’on avait obligé M Callet à suivre exactement l’esquisse : l’Auteur de cet article n’a pas été exact, et l’on avait assez indiqué comme on vient de le répéter, dans la réponse p1030, à la fin de la seconde col MM de la Fabrique ne se sont mêlés de cet objet que pour faire faire une contre visire de celle qu’on avait fait faire M le Curé, et cela afin de mieux constater le mauvais état du plafond). Et, encore une fois, (car avec M le Comte il faut toujours se répéter) comment aurait-il pu la suivre pour le reste du plafond, puisque l’exécution entière ne lui était nullement conforme ; et la preuve en existe encore : il suffit de comparer avec les deux esquisses les figures qui subsistent sans avoir été repeintes. Il est encore vrai qu’il a demandé de restaurer ce plafond en entier, en le repeignant à fresque, d’après l’une ou l’autre esquisse ; mais on l’a refusé à cause de la dépense considérable que cette restauration aurait occasionnée.

M le Comte dit qu’il consulte les gens de l’Art ; mais ces gens de l’Art, et M le Comte lui-même, n’ont point vu ce plafond avant qu’on y travaillât ; ils ne l’ont point vue pendant qu’on y travaillait ; ils ne l’ont point vue de près depuis qu’il est restauré ; et certainement ils ignorent quelles sont les figures qui n’ont point été retouchées. Qu’en conclure ? que M le Comte devait laisser juger ce procès par les premiers Maîtres de l’Art, qui ont tout vu, tout examiné, avant, pendant et après. On est aussi sûr de ces faits qu’on est sûr que ces MM ne l’ont point chargé de parler en leur nom, puisqu’il ne lui ont pas même parlé. Qu’il choisisse donc ses Conseillers parmi ces MM, qui ont fait depuis longtemps leurs preuves et qui jugent toujours bien plus sainement que des jeunes gens, dont le public a droit d’attendre de bons tableaux, mais non pas des critiques dictées trop souvent par la passion, et qui ne tournent jamais au profit des jeunes Artistes ; que M le Comte consulte surtout la Lettre d’un Amateur à un Ami de Province, qui a été insérée dans le Journal des Sciences et des Beaux-Arts, du 15, n°17. Il y trouvera de la bonne critique et des leçons d’honnêteté ; en attendant qu’elle lui tombe sous la main, on va lui en citer quelques traits qui ont rapport à la question présente. Au reste, l’Auteur s’est nommé, c’est M Pingeron, Capitaine d’Artillerie et Ingénieur au service de Pologne, et connu depuis longtemps par ses rares talents, et l’homme peut-être le plus en état de parler de ces matières.

On a cru nécessaire de réparer la décoration de cette Chapelle et de la “remoderner”, si l’on peut se servir de ce terme Italien, et dont on devrait enrichir notre langue. Le choix ne pouvait tomber sur des artistes plus connus que ceux que l’on a chargés de ce travail ; savoir, M de Wailly, Architecte du Roi, célèbre par ses talents pour la décoration ; M Pigalle, statuaire, connu par plusieurs morceaux considérables, et M Callet, Peintre de l’Académie Royale.

M de Wailly, voulant d’abord obvier au défaut de lumière, qui empechait qu’on ne pût voir les peintures de la coupole, a cru devoir agrandir une ouverture qui était dans la partie antérieure de ce dôme, et le cacher ensuite par le même artifice qu’employa, pour un pareil objet, celui qui a construit le dôme des Invalides à Paris. Cet habile décorateur a donc supprimé l’attique qui regagnait au-dessus de l’ordre et a élevé, dès l’entablement, une arrière voussure qu’il a décorée avec autant de richesse que de goût. La Peinture et la Sculpture lui ont fourni tour à tour leurs secours ; et l’on ne voit qu’or et azur. Ces voussures qui ayant été continuées auraient formé une calotte hémisphérique un peu trop aplatie, laissent au milieu d’elles un percé ovale assez grand pour que l’on puisse apercevoir les partie les plus essentielles du plafond, sans pouvoir découvrir toutefois l’ouverture qui l’éclaire.

On objectera peut être qu’un appareil expédient cache de très beaux groupes, mais quelque grand qu’il soit il est préférable à ces ténèbres éternelles qui cachaient la plus grande partie de l’années, les peintures de la coupole. (Note : Etant placé au centre de la Chapelle on voit entièrement le plafond de le Moine, sans rien voir de l’addition).

Ces voussures terminent l’architecture, et ce petit Temple ne paraît plus découvert comme cela fut arrivé, si la peinture, commençant à représenter le vague des airs, dès l’entablement de l’ordre, produisait une illusion complète. C’est aussi pour obvier à cet inconvénient, que vous devez vous rappeler que la plupart des plafonds célèbres d’Italie supposent tous des arrières voussures pour éviter ce passage trop brusque des murs verticaux des églises ou des grandes salles au ciel supposé.

Cer dernières voussures que M de Wailly a été obligé d’imaginer, ont en même temps fourni un repoussoir, pour faire fuir davantage son plafond et produire plus efficacement ce que les Italiens appellent la Lontananza. Comme leur reins ou parties supérieures sont blanchies, la réflexion de ce blanc contribue encore à éclairer le plafond. L’effet pittoresque de cette coupole vous paraîtrait très agréable et vous donnerait une idée de la Jérusalem céleste, où les groupes des différentes classes de Saints et de Bienheureux, doivent être placés sur des nuages à diverses distances du principal groupe formé par le Père éternel, Jésus-Christ, le Saint-Esprit et la Sainte Vierge. Le triangle de lumière symbole de la trinité qui occupe le milieu du dôme qui est censé éclairer tous les groupes par le haut, produit d’un autre côté l’illusion la plus complète. Ceux qui ignorent que le temps affaiblit les couleurs, trouveront les peintures de ce plafond trop dures, ainsi que celles des tableaux représentant des bas-reliefs qui décorent l’arrière voussure dont on vient de parler.

Ces différents groupes qui sont cachés en partie par cette saillie, et que l’on découvre en changeant de place dans la Chapelle, produit encore un effet optique assez piquant. On découvre ainsi le portrait en pied du célèbre Languet de Gergy, Curé de cette Eglise, qui l’avait bâtie sans négliger toutefois son Eglise spirituelle, composée de véritables pauvres. Ce Saint homme, l’honneur du Sacerdoce, est censé présenter à la Vierge un groupe d’infortunés, pour lesquels ils implorent son assistance. Il n’a manqué à ce vertueux Curé qu’un plus grand théâtre pour être au rang de ces illustre bienfaiteurs de l’humanité, dont l’histoire se glorifie. S’il ne surpassa pas Saint-Vincent de Paul, la gloire de notre nation, il se rendit digne de lui être comparé…

Comme la Chapelle n’était pas assez profonde pour admettre la grande niche qui renferme toute cette composition, et qu’il se trouve une rue derrière on a pris cette espace sur une trompe très bien appareillée, qui a dispensé d’anticiper sur la largeur de la rue. On a donc élevé sur cette trompe une demi-tour ronde, décorée extérieurement d’une manière aussi sage que noble, où l’on a placé la Sainte Vierge et les deux autres figures ; telle est, MM, l’idée de cette belle Chapelle, sa richesse n’interrompt point la décoration de l’Eglise d’une manière choquante, puisque cet oratoire se trouvant précisément derrière le maître autel, il paraît en quelque façon isolé…

Je ne vous donne pas, Monsieur, mon dernier avis, parce qu’il serait injuste de prononcer sur un ouvrage qui n’est point encore achevé, et dont toutes les parties ne sont pas en conséquence au ton où elles doivent être. Je n’ai voulu que vous prouver mon empressement à vous instruire des progrès des Arts dans cette Ville. On doit attendre beaucoup des talents distingués de M de Wailly, pour la décoration. Le beau Salon qu’il a fait construire au Palais Spinola à Gênes, de même qu’une foule d’excellents dessins de cet Artiste, sont les sûrs garants de ce que j’ose vous promettre.

Vous ne devez pas vous dissimuler, Monsieur, que les entraves et les difficultés sans nombre qui se trouvent dans les reconstructions, gênent prodigieusement un Architecte. On doit même lui savoir plus de gré du côté de la difficulté vaincue quand il surmonte ces obstacles avec un peu de succès que lorsqu’il fait du beau d’après ses idées, etc…

Ce 18 septembre 1778