1778, n°280, 7 octobre, Lettre de M le Comte de B*** en réponse à celle insérée n°264

Quoi ! M l’éternel Discoureur, vous y revenez encore ? Je vous croyais suffisamment battu ; j’avais dit mon dernier mot, mais je reparais sur la scène puisque vous m’y rappelez.

Vous commencez par chanter victoire, en disant, “Vous convenez donc M le Comte, que les figures de le Moyne ne plafonnent point ?” D’abord, je ne suis point convenu d’une manière absolue, que les figures de cette coupole étaient mal en plafond. J’ai dit “si l’on peut reprocher à ce grand homme, comme à beaucoup d’autres, d’avoir mal fait plafonner les figues, on peut faire le même reproche à M Callet”. Le si n’est point affirmatif. D’ailleurs, ne voyez-vous pas, M le Docteur, que j’ai voulu mettre un moment, pour m’égayer, M Callet sur la même ligne que les grands hommes ? il n’y a que vous qui n’ayez pas senti cette ironie ; demandez à lui-même ce qu’il en pense. Mais quand je serais convenu, (ce qui n’est pas), que les figures plafonnent mal, je n’en aurai pas conclu de-là que cet ouvrage était une mauvaise chose. Si tous les plafonds de France et d’Italie, où l’on peut remarquer ce défaut, étaient pour cela réputés de mauvais ouvrages, et qu’ils fussent en conséquence condamnés à être retouchés par M Callet, ce M Callet détruirait bien des chef-d’œuvres.

On ne peut pas dire sans injustice, que les figures ne soient point en plafond ; mais vous croyez peut-être vous et les vôtres, que pour dessiner ces sortes de figures, il faut leur donner à toutes des raccourcis outrés ? de tels raccourcis doivent être fort rares et ne conviennent que dans certaines places. Par exemple, le Moyne a senti qu’un pareil raccourci était indispensable à la Vierge, qui est presque perpendiculaire sur la tête des Spectateurs, et que les groupes placés vers le bas de la coupole demandaient à être plus développés. Il n’y aurait pas (remarquez bien ceci, s’il vous plaît,) introduit une figure vue en-dessus, comme s’en est avisé M Callet. Avec des yeux plus clair-voyants, vous n’auriez pas touché la corde de la perspective pour l’honneur de votre protégé, parce que vous auriez aperçu le défaut de la cuirasse.

Vous me taxez de dire des injures ; mais permettez-moi de vous faire observer que c’est vous qui avez commencé par injurier le Moyne, et que de plus vous y revenez à chaque fois. Sans cette sortie, je me serais tu et contenté de gémir comme tout le monde, de voir les modernes mutiler tranquillement les anciens. Avant le nouveau “peinturage”, ce plafond passait pour être beau et harmonieux, on n’entendait pas dire que ce fût “une mauvaise chose”. Quand cele eût été vrai, il est plus malhonnête à vous de le dire, pour élever votre héros, qu’à moi de faire descendre cotre homme du piédestal pour y placer le Moyne. Soyez persuadé que, de l’avis du Public, je joue le rôle le plus honnête.

Vous assurez, ce me semble, qu’il a été tenu un comité par les plus habiles Maîtres de l’Art, qui ont été émerveillés de la restauration. Eh bien : je vais vous donner un moyen de me battre. Fournissez par la voie de ce Journal, une attestation signée des plus grands Artistes de l’Académie Royale, dans laquelle ils disent et prouvent par des raisons démonstratives, que le plafond retouché par M Callet, est plus beau que sortant de la main de le Moyne, comme vous avez voulu le faire entendre. Vous direz que c’est peut-être exiger ; allons, je veux bien me relâcher ; je vous propose seulement d’obtenir un écrit signé de ces grands Artistes, par lequel ils attestent qu’il est aussi bien qu’auparavant, et que cet ouvrage de le Moyne était mauvais. Convenez que je suis bien généreux de vous offrir des armes pour me vaincre.

Vous me citez pour modèle d’une excellente et honnête critique, un long éloge de M Pingeron, Capitaine d’Artillerie, et ingénieur au service du Roi de Pologne. Je vous avoue, d’après ce que j’ai lu, que je le crois plus en état de donner une bonne tactique sur son métier, qu’un traité sur les Arts. Vous aimez sans doute M Pingeron, parce que son style ressemble un peu au vôtre, qu’il est obscur et entortillé et qu’il loue vos amis. Il dit d’abord, en parlant des travaux de St Sulpice, “le choix ne pouvait tomber sur des Artistes plus connus que ceux que l’on en a chargés, MM Wailly, Pigalle et Callet” ; qu’il ait parlé de M Pigalle comme d’un statuaire connu par des morceaux considérable, à la bonne heure : mais qu’il mette à ses côtés MM de Wailly et Callet, en vérité cela est trop fort ! Vous Croyez de bonne foi qu’on n’aurait pas pu trouver un plus grand architecte que M de Wailly et un plus grand Peintre que M Callet ? Qu’a donc fait ce M Callet pour être si célèbre ? un ouvrage très-médiocre et très-incorrect à Gênes, quelques jolies petites choses au Palais Bourbon. Et quoi encore ? le dirai-je ? oui, puisque vous m’y forcez, il a presque fait un faux pas sur le seuil de l’Académie ; il m’entendra du reste et tous les Académiciens m’entendront aussi, car c’est d’eux que je tiens tout récemment cette anecdote particulière.

Quels édifices rendent témoignage des grands talents de M de Wailly ? Sont-ce les maisons qu’il construit au Faux-bourg St Honoré, et dans la rue de Menard, où il a tant prodigué son amour pour les formes circulaires ? Serait-ce la décoration du Salon du Palais Spinola ? Hélas ! hélas ! je ne parle point du projet de la nouvelle comédie, cet ouvrage est en commun, et je ne le juge que pour sur ce qui lui appartient en propre. Serait-ce enfin la restauration de la Chapelle de St Sulpice ? Mais chut ! taisons-nous, on m’attend là. N’ayez pas peur M le Docteur, je n’en parlerai que dans le temps. Cependant ce que j’entrevois me donne de furieuses démangeaisons de parler : J’aperçois déjà deux calottes pour une ; une voussure surchargée de dorures ; une foule de petits Anges colorés et bas reliefs qui ressemblent à des amours ; des médaillons, des vases, des bronzes et des fleurs. Si je m’avisais de demander d’avance à cet Architecte de quels autres ornements il décorerait une salle de bal ou le salon d’une petite maîtresse, je crois qu’il serait bien embarrassé de me répondre ; mais j’attends pour l’interroger à l’entière découverte de la Chapelle.

Avant de finir, il faut que je vous ouvre mon cœur, car vous me paraissez un bon homme, qui ne vous y connaissant pas, écrivez de bonne foi sous la dictée d’autrui : vous criez miracle quand on vous assure que cela est beau. Aussi n’est-ce pas à vous que j’en veux, c’est à ceux qui abusent de votre bonhomie pour vous compromettre. Ne me répondez pas, croyez-moi, vous n’êtes pas de ma force. Ceux qui vous mettent en avant sont de jeunes Artistes impatients de se faire mouler, remouler et surmouler par vous des éloges dans les Journaux, dans l’espoir de se bâtir à la hâte une grande réputation. Ne vous prêtez point à cette espèce de charlatanisme. Les Artistes doivent s’occuper modestement dans leur atelier à produire de vraiment belles choses, et non point à sétoyer des hommes de Lettres, ou soi-disant tels, pour se faire enfumer d’encens depuis les pieds jusqu’à la tête.

Je suis etc, le Comte de B***